Le très noir tableau des énergies vertes

Cela concerne aussi les compteurs communicants et la 5G qui ont besoin de minerais

Cobalt, lithium, nickel… La transition énergétique exige toujours plus de minerais, dont l’extraction est responsable d’« atteintes à l’environnement et aux droits humains », alerte l’ONG Sherpa. Cette gloutonnerie minérale risque même d’accentuer la crise climatique au lieu de l’atténuer.

Faire rouler des voitures électriques ou capter de l’énergie solaire nécessite des minerais. Beaucoup de minerais. Cobalt, lithium, cuivre ou nickel… Ils sont la face souterraine de la transition énergétique. Or leur extraction croissante peut « engendrer des atteintes à l’environnement et aux droits humains », alerte l’ONG Sherpa dans un rapport paru jeudi 29 octobre : travail forcé des enfants, pollution des eaux par des produits toxiques, destruction d’espèces protégées. La liste est longue et vient noircir le tableau vert de la transition.

« La transition énergétique fait augmenter de manière significative la demande en minerais », constate Jean François, juriste au sein de Sherpa. Ainsi, l’éolien nécessite de l’aluminium, du chrome, du cuivre, du fer, du plomb, du zinc, du manganèse, du nickel, du molybdène et du néodyme. Pas moins de onze minerais sont également nécessaires pour fabriquer des batteries électriques. Et notre gourmandise minérale n’est pas prête de s’atténuer : pour les batteries des véhicules électriques et le stockage de l’énergie, l’Union européenne aurait besoin, en 2050, de près de soixante fois plus de lithium et de quinze fois plus de cobalt. Selon la Banque mondiale, dans un scénario de limitation du réchauffement à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle, la demande en graphite – qui entre dans la composition de certaines batteries – pourrait augmenter de plus de 400 %.

Les pouvoirs publics l’ont bien compris. Le 4 septembre 2020, la Commission européenne publiait ainsi une liste de matières premières critiques ainsi qu’un « plan d’action » pour sécuriser ses approvisionnements. « Un certain nombre de matières premières sont essentielles pour que l’Europe joue un rôle de premier plan dans la transition verte et numérique et reste le premier continent industriel au monde », insistait alors le commissaire au marché intérieur Thierry Breton. Fin septembre, 234 organisations non gouvernementales lui répondaient : « Plus d’exploitation minière entraîne plus de perte de biodiversité, plus d’air, de sol et d’eau contaminés, un manque d’accès aux terres arables et à l’eau douce, des déplacements et une érosion des moyens de subsistance, des impacts sur la santé et plus de conflits ». Ainsi, les écosystèmes et les droits humains pourraient bien finir sous le rouleau compresseur de la croissance verte. Au risque même d’accentuer la crise climatique.

Dans une note publiée le 28 octobre, France Stratégie rappelait en effet que « l’extraction et le raffinage des métaux sont à l’origine d’un dixième des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». Certains sont d’ailleurs très polluants : la production d’une tonne de platine émet 20.600 tonnes de CO2. Ces émissions proviennent « pour partie du changement d’affectation des sols — via la déforestation — mais surtout de la source d’énergie utilisée pour l’extraction et la transformation des métaux, précisent les analystes. Cette boucle énergie/métaux est à prendre en compte dans l’évaluation carbone des produits technologiques « verts » car ces derniers peuvent voir leur impact de réduction des émissions de GES être en partie annulé, voire totalement. »

Les pouvoirs publics s’inquiètent, les scientifiques aussi. En septembre dernier, quatre chercheurs publiaient dans Nature un article documentant la montée des menaces pesant sur la biodiversité en lien avec l’essor des énergies renouvelables. D’après eux, l’exploitation minière a potentiellement des impacts sur près de 50 millions de km² de la surface terrestre, « dont 8 % coïncident avec des zones protégées, 7 % avec des zones clés pour la biodiversité et 16 % avec des zones sauvages restantes ». Or, 82 % des zones minières identifiées « ciblent les matériaux nécessaires à la production d’énergie renouvelable ». À terme craignent-ils, « les menaces minières pour la biodiversité pourraient dépasser celles évitées par l’atténuation du changement climatique ».

Quelles sont précisément ces « menaces » ? D’abord, l’extraction de minerais entraîne l’utilisation de nombreux produits chimiques. « Il peut dès lors en résulter des pollutions importantes des écosystèmes et des contaminations des communautés locales », pointe le rapport de Sherpa, citant la catastrophe de Brumadinho au Brésil. En janvier 2019, la rupture du barrage d’une mine de fer provoquait la mort de 115 personnes et la disparition de 248 autres, et libérait des millions de tonnes de résidus miniers toxiques. Dans certaines régions en stress hydrique comme dans les salar (déserts de sel latino-américains) prisés pour leur sous-sol riche en lithium, « l’activité minière peut avoir des conséquences importantes sur la disponibilité et la qualité de l’eau potable », poursuit le rapport. En Argentine, dans le Salar del hombre muerto, des communautés locales accusent l’exploitation du lithium d’avoir contaminé des ruisseaux, et donc l’eau qu’elles boivent et utilisent pour abreuver leur bétail et irriguer des cultures.

La difficulté, selon Sherpa, vient du fait que les entreprises fabriquant batteries, éoliennes et autres panneaux photovoltaïques se soucient bien peu de leurs effets écologiques. L’ONG a ainsi étudié les plans de vigilance établis par neuf sociétés françaises – dont Imerys, Total, EDF, Engie, Renault, PSA, Eramet – ayant des activités liées à la transition énergétique. Ces plans, obligatoires depuis une loi de 2017, sont censés « identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ». Problème, ces firmes ne paraissent pas pressées d’appliquer le droit : les plans présentés sont « incomplets », « inaccessibles » ou « imprécis », d’après l’ONG. En tout état de cause, ils ne permettent pas de prévenir efficacement les atteintes. Par exemple, Engie indique avoir établi « un plan d’actions intégrant l’ensemble de ces aspects environnementaux en concertation avec les parties prenantes locales », sans apporter davantage d’informations sur le contenu de ce plan. « Les sociétés n’ont pas vraiment changé leurs pratiques, note Jean François, elles se reposent sur ce qu’elles faisaient avant la loi sur le devoir de vigilance, en se contentant d’audits et de certifications qu’on sait relativement inefficaces. Tout ceci relève plutôt du greenwashing ».

« Ce sont les ONG qui lancent des poursuites judiciaires contre les entreprises en faute, ce n’est pas normal »

Autre hic, « ces multinationales ne savent généralement pas d’où viennent les minerais qu’elles utilisent, elles ne connaissent pas leurs fournisseurs ni leurs sous-traitants, souligne M. François. En clair, aucune société n’est en mesure de contrôler et de connaître l’ensemble de la chaîne de production. » Ce serait le cas d’EDF et d’Engie, qui font appel à la société SRGE pour leur fournir certaines éoliennes offshore. Or celles-ci sont fabriquées avec des aimants nécessitant du néodyme, extrait – principalement en Chine – à l’aide d’un mélange à base d’uranium et de thorium déversés ensuite dans l’environnement. Pour chaque tonne de néodyme produite, entre 340.000 et 420.000 m³ de gaz toxiques seraient produits, ainsi que 2.600 m³ cubes d’eau acide et une tonne de déchets radioactifs. Pour autant, aucune des deux entreprises françaises ne mentionnent ces risques dans leur plan de vigilance.

Pour Jean François, l’urgence est que la loi sur le devoir de vigilance soit effectivement appliquée. « Il faudrait que chaque société identifie précisément quels risques sont présents dans l’intégralité de ses chaînes de valeur, et qu’elles proposent des mesures ambitieuses pour y faire face », dit-il. Surtout, il serait temps que l’État se retrousse les manches : « Pour le moment, c’est la société civile – les ONG – qui veille au respect de ce texte, en faisant des enquêtes et en lançant des poursuites judiciaires contre les entreprises en faute, ce n’est pas normal », insiste le juriste.

Attention cependant à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. « Notre objectif n’est pas de décrier la transition énergétique mais de montrer que cette transition ne doit pas se faire en suivant les logiques actuelles, poursuit M. François. Promouvoir le passage du véhicule thermique à l’électrique n’est peut-être pas la solution ; mieux vaudrait réfléchir à réduire et à changer nos modes de déplacements. »

Même son de cloche du côté des ONG européennes. « Il est essentiel de veiller à ce que des mesures concrètes soient prises pour réduire la consommation absolue de ressources de l’Union européenne, » ont-elles insisté dans leur lettre ouverte.

Le maintien des niveaux habituels de consommation d’énergie et de matériaux entraînera une augmentation considérable de l’extraction de métaux et de minéraux. Nous ne pouvons pas fuir ou nous cacher des impacts qui pourraient être catastrophiques pour l’UE et pour l’action mondiale sur le changement climatique. »

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