Le tout numérique

Intervention du collectif ACCAD sur RadioPlus  Douvrin

Nombreuses sont les personnes à déplorer cette situation du « Tout numérique » … Que pensez-vous de ce désarroi …

On est en train de vivre une révolution sociétale, du même ordre que celle de la fin du 18ème siècle, avec l’avènement de la révolution industrielle ; cela ne s’est pas fait facilement car il y a eu une opposition à l’apparition des machines. Cela s’est appelé le luddisme c’’est à dire la casse des métiers mécaniques par les ouvriers, les mettant hors d’état de nuire à… leur travail. On assiste actuellement à un phénomène plus grave encore et plus dramatique. Saura-t-on s’y opposer ?

Un chercheur anglais en cybernétique a défini notre avenir de façon cynique : « Il y aura des gens implantés, hybridés, et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas, ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré. » Et encore, « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur. » (Kevin Warwick).

C’est ce qu’on appelle le progrès.  André Breton disait à ce sujet : « tout progrès scientifique accompli dans le cadre d’une structure sociale défectueuse ne fait que travailler contre l’homme, que contribuer à aggraver sa condition. »

 D’ici 2022, l’Etat français prévoit un schéma de digitalisation important. Il est ici question de dématérialiser l’ensemble des démarches administratives du pays ce qui veut dire, en clair, que toute démarche administrative se fera via internet … Ce qui veut dire aussi en clair qu’internet ne sera plus un choix … Ce sera donc difficile d’échapper à la transformation digitale de la société … une lame de fond qui s’avère être porteuse de nouvelles formes d’exclusion et d’abord, il va y avoir cassure générationnelle

C’est vrai. La grande majorité des jeunes est addicte à son Smartphone, sa tablette, son ordinateur, ses réseaux sociaux. Dans le même temps, globalement ce sont les personnes âgées qui sont principalement en difficulté face à l’outil numérique –notamment dans les domaines de l’administration, et du commerce.

Tout est fait pour montrer qu’il faut être à la page. Brune Poirson, ancienne secrétaire à la transition numérique au début du mandat Macron, et actuelle directrice du développement durable du groupe privé ACCOR, ose dire qu’il ne peut pas y avoir transition écologique sans transition numérique ! C’est le langage de nos dirigeants actuels pour faire passer la pilule : il faut toujours, dans une conversation, utiliser les mots : transition, écologie, numérique, développement durable ; C’est grâce à ce langage qu’on est dans le coup ! Ce n’est pas comme cela qu’on avance sereinement.

4 français sur 10 redoutent la perspective de devoir accomplir des démarches en ligne … une proportion qui atteint 72 % chez les 70 ans et plus et il est vrai que les personnes âgées sont soumises à une injonction paradoxale … On leur dit « restez autonomes et prenez en charge votre vieillesse » mais la marche forcée vers le numérique les confrontent à des situations qu’ils n’arrivent pas à maîtriser et bien souvent ils doivent faire appel à des associations ou à leur famille.

Il  y a un film franco-anglais qui montre bien la situation. Il s’agit de « Moi, Daniel Blake » de Ken Loach. Il montre l’impuissance de ce chômeur âgé, confronté à des administrations au personnel de plus en plus réduit et amené à gérer des situations très compliquées d’une manière très peu compatissante. On voit même comment c’est la machine-ordinateur qui dicte sa façon de pensée souvent incompréhensible, ce qui aboutit à un échec total de l’individu.

En plus, on comprend bien que les personnes âgées ne voient pas l’intérêt d’acquérir un ordinateur dont elles ignorent le fonctionnement.

Cela a été dit en début de cette chronique. Il y a ceux qui savent se servir de cet outil informatique et il y a les autres qui sont considérés comme des moins que rien. Mais tout n’est pas perdu. Je prends l’exemple de ces personnes qui abandonnent leur travail professionnel parce que l’informatique prend trop de place ; tout cela pour faire le jardin. Il y en a d’autres qui, lorsqu’on leur demande une adresse mail, répondent simplement : « je n’ai pas d’adresse mail, je n’ai pas d’internet, je n’ai pas d’ordinateur mais cela ne m’empêche pas de vivre, et de vivre de bons moments ».

Et quid des personnes âgées qui restent chez elles …. Et puis nous allons assister aussi à une cassure sociale.

Non seulement, il y aura une cassure sociale mais aussi une casse sociale.

Les premières personnes concernées par ces cassures sont majoritairement celles qui sont peu ou pas diplômées et aussi celles qui ont des bas revenus.

Mais il y a plus grave. C’est ce qu’explique avec beaucoup de brio le collectif Ecran total : « L’informatique et la gestion détruisent nos métiers et dégradent nos relations sociales. Nous voyons disparaitre les marges de liberté qui nous permettent d’échapper aux impératifs de la rentabilité. On parle évidemment de progrès. Mais, pour les humains que nous sommes encore, ce processus est le progrès de notre dépossession, de notre soumission ».

On le voit bien avec l’exemple de cette entreprise omnivore qui s’appelle Amazon. Elle dit qu’elle crée des emplois. Mais elle oublie de dire qu’elle en supprime quatre fois plus. Le travail de ses employés est très proche de celui des esclaves, avec un chronométrage de plus en plus précis des tâches et une surveillance de plus en plus importante. Comme toute entreprise capitaliste, elle vise à rentabiliser le plus possible ; ce qu’elle fait déjà maintenant. Son objectif est de remplacer le plus d’humains-esclaves par des robots ou des drones qui, évidemment, ne font pas grève. Le savoir-faire de l’humain est nié, dévalorisé.

C’est un exemple parmi tant d’autres ; ce qui est grave est que cette tendance de fond a déjà des répercussions sur les rapports à la nature et entre humains.

Personne âgée, un non diplômé, mais aussi un habitant de zone rurale, personne sujette à être délaissée par un réseau téléphonique et à être exclue de la société numérique et donc victime comme les autres, de nouvelles sources d’inégalités donc cassure aussi territoriale.

On peut parler aussi de cassure géographique. Cela se voit bien dans le milieu rural qui a moins facilement accès aux réseaux sociaux. Du temps de la présidence Hollande, le gouvernement avait noté ce problème : beaucoup de zones rurales sont dans ce qu’on appelle des zones blanches, c’est-à-dire des zones privées de 2G, 3G … D’où cette promesse d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique de l’époque : « En 2022, la France sera totalement connectée au très haut débit ».

Mais cette politique amplifiée avec l’actuel président est excessivement dangereuse. On l’a déjà évoqué lors d’émissions précédentes. Pour connecter toute la France, il faudra implanter de nombreuses antennes 5G, voire 6G. Comme ce sont des antennes avec des ondes millimétriques, cela veut dire qu’on aura besoin de grandes antennes  mais aussi d’antennes miniatures … avec une portée de seulement cent mètres. On va donc être entouré d’ondes, avec toutes les conséquences que minimise l’ANSES, c’est-à-dire notamment des problèmes de santé. Il y aura en particulier recrudescence de la maladie que l’on appelle EHS.  Le plus grave dans l’histoire est que, à terme, on n’aura plus de zones blanches, ce qui signifie que les EHS n’auront plus d’endroits pour se réfugier et se protéger des ondes.

N’avez-vous pas l’impression que cette fracture numérique est une bombe à retardement ?

Je viens effectivement juste d’en parler dans le domaine sanitaire.

Mais il n’y a pas que cela. Par exemple, la période qui a commencé avec le premier confinement de 2020, a permis de tester grandeur nature ce que cela donne dans le domaine du télétravail, de celui de l’école et de celui de la médecine.

Le télétravail peut plaire à certains employeurs pour deux raisons. Ils ne devront plus louer certains locaux. Tout ce domaine sera pris en charge par le travailleur … chez lui. Deuxième intérêt : comme les personnes ne se rencontrent plus, sauf en visio, il n’y a aucun danger pour l’exploitant quant aux éventuelles grèves puisqu’il n’y a aura pas beaucoup de rapports sociaux entre les travailleurs.

Quant à l’école, le ministre Blanquer a voulu profiter de cette période pour tester les cours à distance. Qui a trinqué ? Les jeunes qui n’ont pas le matériel électronique, et/ou qui ne savent pas bien s’en servir. Cela crée un fossé supplémentaire au niveau de cette génération qui pense s’en sortir en se servant à tout bout de champ des Smartphones. Il faut rappeler que des études scientifiques ont montré que l’utilisation continuelle de ces outils informatiques n’apporte pas de bénéfices dans les résultats scolaires …bien au contraire.

Un petit mot sur la télémédecine : cela va coûter très cher, cela va créer une fracture sociale entre ceux qui peuvent payer et les autres. Cela occasionnera évidemment des conflits et des risques de déflagration plus ou moins collective.

Enfin, la fracture numérique constitue effectivement une bombe à retardement dans la mesure où 100 % des services publics seront dématérialisés d’ici 2022.

Toutes ces demandes faites via internet ce qu’on appelle des démarches dématérialisées ne sont-elles pas, avant tout, des économies potentielles pour l’Etat ?

Rien n’est moins sûr quand on sait que tous ces outils vont utiliser beaucoup d’énergies, notamment électriques. Il faudra donc  remettre des centrales nucléaires –c’est ce à quoi pense le gouvernement, avec tous les risques que cela occasionnera et toutes les dépenses qui s’en suivront. Donc, ce ne sera pas la solution miracle. Mais ce n’est pas ce qui préoccupe nos dirigeants actuels qui continuent à mettre en place leur politique à la manière d’un rouleau compresseur, sans s’inquiéter outre mesure des dégâts sociaux et environnementaux.

Et nous avons encore en tête cette phrase d’Emmanuel MACRON « La France, c’est le pays des lumières, c’est le pays des innovations » … Une déclaration de septembre 2020 …. Osera t’il cette fois encore s’en prendre au modèle « amish » pour les personnes âgées, les non diplômés ou les ruraux en les traitant de rétrogrades voulant revenir à la lampe à huile parce qu’ils n’utilisent pas internet ou parce qu’ils font preuve d’illectronisme … comme on dit pour désigner cette exclusion numérique …

Nous y reviendrons dans une prochaine émission

Emission « l’air du temps » ; lundi 28 juin, à partir de 9 h 40 environ.

Radio Plus Douvrin ; https://www.radioplus.fr/ ; 104.3 FM