Jusqu’ici tout se passe comme prévu

Un article de Jacques Lantier sur son blog à mediapart

Résumé

Le capitalisme a conquis la planète. Il bute aujourd’hui sur un monde fini, à la fois du point de vue écologique, et pour ses possibilités d’extension. Les rivalités entre les 1% qui profitent de ce système et les 99% s’accroissent. Les rivalités au sein de ces 1% aussi. Le chaos que Poutine et Trump génèrent est une manifestation de ces contradictions et en même temps les aggravent.

Revue des différentes parties

Un déroulement capitaliste prévu

Le chaos apparent actuel

Dire que tout va comme prévu ne veut pas dire que tout va bien

Lutte contre la fascisation

Le communisme inéluctable

Le crime organisé

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Dans le paragraphe sur l’Intelligence artificielle, il écrit ceci :

L’Intelligence artificielle, apparaît comme une nouvelle révolution technologique majeure : exploiter, optimiser toute l’information produite par les humains va accélérer de façon extraordinaire les connaissances. En même temps elle suscite de l’inquiétude et des oppositions. À juste titre : pourquoi, basée sur l’exploitation des données de chacun, sur les productions intellectuelles, artistiques, scientifiques de millions de gens, elle ne bénéficierait qu’à un petit groupe d’oligarques, seuls à même de mobiliser les fonds nécessaires aux gigantesques data centers ? Les peurs que l’IA engendre en système capitaliste sont tout à fait justifiées. Le manque de confiance aussi. En même temps toute tentative de régulation est elle aussi vouée à l’échec. On n’a pas l’exemple d’une technologie nouvelle qui ne se répand pas si elle apporte des avantages, et ceux de l’IA sont fantastiques. Restreindre les accès de l’IA aux données, limiter son utilisation, serait brider ses potentialités. C’est dommage par rapport à l’ensemble des difficultés et des possibilités auxquelles est confrontée l’espèce humaine sur notre planète et au-delà (dans l’espace, pas au ciel !). Puisque les données sont communes, pour rétablir la confiance et libérer toutes les potentialités de l’IA, il faut que ses résultats soient aussi mis en commun, et non captées par quelques-uns.  Le communisme est la solution aux différents problèmes soulevés par le développement de l’IA. Voir aussi le billet Comment chevaucher l’IA ?  On a ici le cas où le développement des forces productives, dont l’IA est la dernière manifestation, rentre en contradiction avec l’organisation de la société, le système capitaliste. Comme prévu.

Pour que tout continue comme prévu… et que ça se passe bien ! il faut que les travailleurs s’organisent. Outre leur organisation spontanée, syndicats, comités de lutte, grèves, occupations etc. il faut aussi qu’ils fassent leur le projet communiste. Pour cela il faut que le projet communiste soit convainquant, qu’il soit dégagé de la gangue de calomnies où les 1% ont intérêt à l’enfermer, mais aussi que les erreurs et échecs réels soient pris en compte dans un projet communiste démocratique, écologique, internationaliste.

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Réponse adressée à Jacques

Je suis en grande partie en désaccord sur ce que tu as écrit à propos de l’IA.

Notamment – mais pas que ! :

exploiter, optimiser toute l’information produite par les humains va accélérer de façon extraordinaire les connaissances.

Ce ne seront qu’une infime partie de la population qui vont pouvoir – c’est d’ailleurs comme cela qu’ils pensent. Les autres deviendront « des crétins digitaux » (dixit Desmurget) et assujettis à la machine. On le voit déjà avec la surexposition des écrans chez les jeunes. Je ne détaille pas : c’est en grande partie fait sur le site du collectif ACCAD.

C’est fait aussi chez les moins jeunes qui sont addicts à ce processus.
Pour rappel, une phrase de Jacques ELLUL : «
Ce n’est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique ».

Thibault PREVOST a écrit un livre « les prophètes de l’IA » ; il précise que l’IA est un culte, ne fonctionne (toujours) pas, est un écocide, un pillage, une bulle financière, un autoritarisme et une discrimination

Il faut aussi rappeler que tout cet ensemble aura besoin de beaucoup d’eau, de beaucoup d’électricité ; je ne développe pas -ce serait trop long ; mais on court à la catastrophe, par exemple à cause de l’exploitation de plus en plus importante des énergies fossiles ( ce n’est qu’un des aspects du problème).

Quand on sait que nos élu.es sont technophiles, et même technolâtres, il y a de quoi craindre pour arriver à ce que tu proposes.

Nous nous battons contre cette société qui se numériser à la vitesse grand V ; ce qui a pour conséquence une robotisation à outrance, une surveillance, un formatage à grande échelle, une prolifération sophistiquée d’armes (on voit ce que cela donne à Gaza !).

Quant à tes autres propositions, je voudrais être d’accord, mais je ne suis pas aussi optimiste que toi quant aux réactions des peuples face à ce déferlement. Pour l’instant, on est écrasé. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut rien faire !

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Commentaire reçu

Jacques fait l’apologie du vieux communisme productiviste adossé au surconsumérisme de masse – ressort de la société capitaliste qui ne peut à aucun moment arrêter la machine dont les flux de capitaux s’investissent massivement dans la high tech qu’ils soient américains, européens, chinois ou russes (et autres). On peut en mesurer les dégâts environnementaux exponentiels sur l’humain et le vivant, en plus d’un néo-colonialisme de fait entre ceux exploités dans les mines ici et là, dont des enfants, et les milliers de petites mains exploitées pour fabriquer de la donnée au Kenya ou à Madagascar. L’alliance Russie-Chine est une alliance sur fond d’énergie fossile : pétrole d’hier + minerais et terres rares d’aujourd’hui. Le conflit Chine-Taïwan peut se voir sur fond d’avance techno sur les semi-conducteurs sur l’île et de contrôle n°1 sur les minerais et terres rares sur le continent. D’où le but de la réunification pour devenir les maîtres du monde. Donc, impérialistes capitalistes de contrôle des populations dictatorial. Trump veut acheter le Groënland et ses terres rares ; son 1er geste envers Zelinsky était de signer un accord pour les minerais et terres rares et la production électrique nucléaire. C’était son cynique « accord de sécurité ». L’IA est la pointe la plus avancée de « l’écosystème » électro-numérique qui se développe partout sur fond intrinsèquement guerrier. Lire Asma Mhalla sur ce sujet : Technopolitique et juger ce qu’est « l’informatique de la connaissance » devenu un technototalitarisme militaire de fait (et policier). L’esprit scientifique étant totalement dévoyé vers un technoscientisme utilitariste et impérialiste qui mène l’humanité et notre planète droit à la catastrophe.

Sortons des doux rêves de l’émancipation par la machine et revenons sur terre, très matériellement. Il n’y aura pas assez de minerais et terres rares pour cette folie d’ici 20 à 30 ans. Nous les épuiserons très vite. Les minerais ramenés de l’espace est une fiction car le coût en est exorbitant. Trump a tout compris et nous l’a dit très haut : exploitons les océans. C’est-à-dire notre destruction définitive.

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Commentaires lus … « dans les algorithmes »

 L’écriture est l’activité la plus essentielle d’un scientifique, car sans écriture, il n’y a pas de réflexion »Dennis Hazelett

« Le potentiel révolutionnaire de l’IA est d’aider les experts à appliquer leur expertise plus efficacement et plus rapidement. Mais pour que cela fonctionne, il faut des experts. Or, l’apprentissage est un processus de développement humain désordonné et non linéaire, qui résiste à l’efficacité. L’IA ne peut donc pas le remplacer », explique la sociologue Tressie McMillan Cottom dans une tribune au New York Times. « L’IA recherche des travailleurs qui prennent des décisions fondées sur leur expertise, sans institution qui crée et certifie cette expertise. Elle propose une expertise sans experts ». Pas sûr donc que cela fonctionne.

Mais, si ce fantasme – qui a traversé toutes les technologies éducatives depuis longtemps – fascine, c’est parce qu’il promet de contrôler l’apprentissage sans en payer le coût. Plus que de réduire les tâches fastidieuses, l’IA justifie les réductions d’effectifs « en demandant à ceux qui restent de faire plus avec moins ». La meilleure efficacité de l’IA, c’est de démoraliser les travailleurs, conclut la sociologue.

Apprêtez-vous à parler aux robots !

Google vient de lancer Gemini Robotics, une adaptation de son modèle d’IA générative à la robotique (vidéo promotionnelle), permettant de commander un bras robotique par la voix, via une invite naturelle, son IA décomposant la commande pour la rendre exécutable par le robot, rapporte la Technology Review. L’année dernière, la start-up de robotique Figure avait publié une vidéo dans laquelle des humains donnaient des instructions vocales à un robot humanoïde pour ranger la vaisselle. Covariant, une spinoff d’OpenAI rachetée par Amazon, avait également fait une démonstration d’un bras robotisé qui pouvait apprendre en montrant au robot les tâches à effectuer (voir l’article de la Tech Review)Agility Robotics propose également un robot humanoïde sur le modèle de Figure. Pour Google, l’enjeu est « d’ouvrir la voie à des robots bien plus utiles et nécessitant une formation moins poussée pour chaque tâche », explique un autre article. L’enjeu est bien sûr que ces modèles s’améliorent par l’entraînement de nombreux robots.

L’automatisation est un problème politique

L’automatisation remplace les hommes. Ce n’est bien sûr pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui, contrairement à la plupart des périodes précédentes, les hommes déplacés n’ont nulle part où aller. (…) L’automatisation exclut de plus en plus de personnes de tout rôle productif dans la société.” James Boggs, The American Revolution, pages from a negro workers notebook, 1963.

La réponse actuelle face à l’automatisation est la même que dans les années 60, explique Jason Ludwig pour PublicBooks : il faut former les travailleurs à la programmation ou aux compétences valorisées par la technologie pour qu’ils puissent affronter les changements à venir. Le mantra se répète : ”le progrès technologique est inévitable et les travailleurs doivent s’améliorer eux-mêmes ou être balayés par sa marche inexorable”. Une telle approche individualiste du déplacement technologique trahit cependant une myopie qui caractérise la politique technologique, explique Ludwig : c’est que l’automatisation est fondamentalement un problème politique. Or, comme le montre l’histoire de la politique du travail américaine, les efforts pour former les travailleurs noirs aux compétences technologiques dans les années 60 ont été insuffisants et n’ont fait que les piéger dans une course vers le bas pour vendre leur travail.

Pour Ludwig, il nous faut plutôt changer notre façon de penser la technologie, le travail et la valeur sociale. Dans les années 60, Kennedy avait signé une loi qui avait permis de former quelque 2 millions d’américains pour répondre au défi de l’automatisation. Mais dans le delta du Mississippi, la majorité des noirs formés (comme opérateurs de production, mécanicien automobile, sténographes…) sont retournés au travail agricole saisonnier avant même d’avoir fini leur formation. En fait, les formations formaient des gens à des emplois qui n’existaient pas. “Ces programmes ont également marqué un éloignement de l’espoir initial des leaders des droits civiques de voir une politique d’automatisation faire progresser l’égalité raciale. Au lieu de cela, l’automatisation a renforcé une hiérarchie racialisée du travail technologique”. Ceux qui ont suivi une formation dans l’informatique sont restés pour la plupart dans des rôles subalternes, à l’image des travailleurs des plateformes d’aujourd’hui. Travailleur noir dans l’industrie automobile de Détroit des années 50, James Boggs a d’ailleurs été le témoin direct de la manière dont les nouveaux contrôles électroniques ont remplacé les travailleurs de la chaîne de montage, et a également observé les échecs de la direction, des dirigeants gouvernementaux et du mouvement ouvrier lui-même à faire face aux perturbations causées par l’automatisation. Dans ses écrits critiques, Boggs a soutenu que leur incapacité à concevoir une solution adéquate au problème de l’automatisation et du chômage provenait d’une croyance qu’ils avaient tous en commun : les individus doivent travailler !

Pour Boggs, la voie à suivre à l’ère de l’automatisation ne consiste pas à lutter pour le plein emploi, mais plutôt à accepter une société sans travail, en garantissant à chacun un revenu décent. Pour Ludwig, les recommandations de Boggs soulignent les failles des prévisions contemporaines sur l’avenir du travail, comme celles de McKinsey. La reconversion des travailleurs peut être une mesure temporaire, mais ne sera jamais qu’une solution provisoire. La présenter comme la seule voie à suivre détourne l’attention de la recherche de moyens plus efficaces pour assurer un avenir meilleur à ceux qui sont en marge de la société, comme l’expérimentation d’un revenu de base ou la réinvention de l’État-providence pour le XXIe siècle.