Un électrosensible se bat

Pour sauver son lieu de vie

Réfugié dans une vallée des Alpes-de-Haute-Provence pour échapper aux ondes, Philippe Tribaudeau, comme beaucoup d’autres électrohypersensibles, après avoir échappé à une expulsion, voit une nouvelle fois son campement menacé par l’installation d’une antenne Free.

Un camion, deux petites caravanes, une table et quelques chaises… C’est dans ce campement rudimentaire installé au bord de la rivière que vit Philippe Tribaudeau, depuis six ans et demi. Si l’été, la vie au grand air est agréable dans cette vallée des Alpes-de-Haute-Provence, l’automne et l’hiver sont rudes quand arrivent le froid, la pluie et la boue. Diagnostiqué électrohypersensible par le professeur Belpomme et reconnu adulte handicapé pour cette pathologie, il s’est réfugié en avril 2015 sur la commune d’Entrepierres, après avoir cherché sur l’ensemble du quart sud-est de la France, un lieu pour vivre. Ce n’est pas une zone totalement blanche, mais elle lui convient : « Ici, c’est le seul endroit que je connaisse, où je tiens, même s’il m’arrive de ne pas être bien. Les ondes sont faciles à fabriquer, pas simple à comprendre. » Il ne quitte pratiquement jamais son campement, ou seulement pour des périodes courtes (une heure en moyenne par jour), le temps d’aller chercher Lola sa fille de 5 ans, scolarisée à l’école maternelle du village. Lola, et sa maman Laure, compagne de Philippe, partagent leur vie entre le campement et un appartement à Sisteron, situé à 15 km.

À CE JOUR, PAS D’ALTERNATIVE AU CAMPEMENT

« Ce lieu n’offre pas une solution pérenne pour construire une vie de famille, explique Laure. Personne ne voudrait vivre en permanence dans ces conditions mais à ce jour on n’a pas trouvé mieux. » La recherche d’un habitat pour une personne EHS relève d’une mission devenue quasiment impossible. Il faut trouver un lieu sans ondes, ce qui est de plus en plus difficile du fait de la multiplication des antennes relais pour les téléphones portables, qui est menée au nom de la lutte contre la fracture numérique. Trouver une maison n’est pas simple : les personnes électrohypersensibles ne supportent pas non plus les compteurs Linky, les box, le wifi des éventuels voisins, les groupes électrogènes, les paraboles… À ce jour, le couple n’a pas trouvé d’alternative au campement et ce n’est pas faute d’avoir cherché.

L’année dernière, Philippe et Laure se sont positionnés pour acheter une maison isolée, mise en vente par la commune, et ont obtenu le droit de la tester avant de l’acheter. « Je n’étais pas bien dans la maison et la cave n’était pas mieux. Les murs n’étaient pas très épais. On a renoncé à l’acheter. »

« ON EST DES SDF À QUI ON A RETIRÉ LA LIBERTÉ DE POSER LEUR CARTON OÙ ILS VEULENT ! »

Échoués sur leurs quelques centaines de mètres carrés entre la rivière et le chemin en surplomb, la petite famille n’a pas d’autres choix que de s’accrocher à ce terrain qui appartient pour une partie à la commune d’Entrepierres et pour une autre à l’État, la gestion relevant de l’ONF (Office national des forêts). Pour y rester, en attendant des jours meilleurs, il faut se battre en permanence. En 2018, Philippe Tribaudeau a été prié par Florence Cheilan, maire d’Entrepierres et Benoît Loussier, directeur départemental de l’agence de l’ONF, de libérer les lieux dans la mesure où il occupait des terrains qui ne lui appartenaient pas. Sollicitée pour le reloger, la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) a répondu qu’elle ne pouvait proposer aucun logement adapté aux EHS. Personne n’ayant de solution, le préfet de l’époque, Olivier Jacob, a décidé de le maintenir sur son campement et a bloqué l’expulsion.

« Nous, les électrosensibles, on est des SDF à qui on a retiré la liberté de poser leur carton où ils veulent », s’insurge l’intéressé.

PHILIPPE PROPOSE UN MORATOIRE PARTIEL

Dernier coup de Trafalgar : la construction d’une antenne 4G par l’opérateur Free, sur le site de Grauzou, à 3 km à vol d’oiseau du campement de Philippe Tribaudeau, menace à nouveau sa survie.

Cette antenne, qui était prévue pour octobre, relève du « New deal mobile », le plan gouvernemental d’éradication des zones blanches destiné à apporter une meilleure qualité de service. Après avoir étudié les zones de couverture des trois émetteurs de l’antenne, en présence de deux techniciens de Free, Philippe  Tribaudeau estime qu’on peut envisager de limiter leur impact sur son campement sans priver les habitants d’une amélioration de couverture : « Il faut supprimer l’émetteur n° 1 qui ne couvre que la montagne et décaler de 50 degrés l’azimut (1) de l’émetteur n° 2. Quant à l’émetteur n° 3, il ne me gêne pas. » Selon ce scénario, son campement ne serait plus « irradié » et une seule maison dans laquelle réside un monsieur de 90 ans, équipé d’un téléphone portable, échapperait à l’amélioration du réseau.

Philippe Tribaudeau a proposé à Violaine Démaret, préfète des Alpes-de- Haute-Provence, un moratoire partiel qui consisterait à « différer la mise en place de l’antenne numéro 1 et à recalculer l’azimut de l’antenne n° 2 ».

Dans sa réponse, la préfète mentionne que la maire d’Entrepierres n’a pas validé cette demande et propose d’accompagner Philippe Tribaudeau dans la recherche d’une nouvelle parcelle. Florence Cheilan, maire d’Entrepierres, sollicitée par la préfecture pour prendre position sur le dossier, comme l’impose le protocole

administratif, n’avait pas soutenu la demande de moratoire partiel et ne s’est pas montrée ouverte à la discussion.

La quasi-totalité des courriers que Philippe Tribaudeau lui a adressés sont restés sans réponse et ses demandes de rendez-vous n’ont pas reçu d’écho favorable : « J’avais demandé de participer à une réunion pour parler de mon électrosensibilité aux conseillers municipaux. La maire a refusé. » « On a été frappés de son manque d’empathie », témoigne le couple. La demande de L’âge de faire pour la rencontrer n’a pas été couronnée de succès non plus.

« L’ÉTAT A UN CONFLIT D’INTÉRÊT AVEC LA TÉLÉPHONIE MOBILE »

« Le déploiement du tout numérique augmente la fracture sociale et met en péril la vie de toutes les personnes EHS (2) réfugiées en zone blanche », écrit Michèle Rivasi, dans un courrier adressé à la préfète, Violaine Démaret, dans lequel elle a exprimé son soutien à la demande de moratoire partiel de Philippe Tribaudeau. La députée européenne, sensibilisée à la cause des électrosensibles depuis les années 2000, dénonce le fait qu’il n’y a toujours pas, en France, de reconnaissance officielle de l’électrohypersensibilité.

« Le problème c’est qu’on se heurte aux lobbies des opérateurs de téléphonie mobile avec la complicité de l’État. C’est malsain, car l’État a un conflit d’intérêt direct avec les opérateurs de téléphonie mobile. Il se fait de l’argent en vendant les bandes de fréquence. Sur la santé, il y a plusieurs rapports, dont ceux de l’Anses, qui reconnaissent que des gens sont malades, mais ils ne veulent pas établir la relation de causalité entre les symptômes des électrosensibles et la pollution électromagnétique. Même si sur le plan international, le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) reconnaît que les ondes sont probablement cancérogènes et que des milliers d’études montrent que sur les animaux, le risque de cancérogenèse est établi. Les électrosensibles sont gérés au cas par cas. Donc, il y a des Philippe Tribaudeau un peu partout qui essaient de se bagarrer contre le pot de fer. »

Depuis 2014, Michèle Rivasi au sein de l’Association Zones Blanches (AZB), travaille à la création d’un lieu dédié à l’accueil des électrosensibles à Durbon, sur la commune de Saint-Julien en Beauchêne, dans les Hautes-Alpes. « J’ai trouvé des bailleurs de fonds mais à un moment il faut que l’État reconnaisse qu’il faut des lieux comme ça. Ce n’est pas acquis encore. » Jusqu’à présent le gouvernement ne s’est pas engagé financièrement sur ce projet, car ce serait une façon de reconnaître implicitement l’existence de l’électrohypersensibilité. Les électrosensibles n’ont pas fini d’attendre…

Durbon pourrait ouvrir en 2024 si les obstacles qui jalonnent sa mise en œuvre parviennent à être surmontés.

 

Nicole Gellot

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1 – L’azimut d’une ligne droite est l’angle formé par cette dernière avec le nord magnétique.

2 – L’Anses dans son rapport de mars 2018 estime la prévalence nationale de l’EHS à 5 % soit 3,5 millions de Français.

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Cet article est tiré de l’excellent mensuel « L’Âge de Faire » ; dans son numéro 168 de décembre 2021

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