Qu’est-ce que le big data

La réponse est dans la tête des patrons de Google Apple Facebook Amazon (GAFA)

Extraits du livre L’homme nu, la dictature invisible du numérique de Marc Dugain et Christophe Labbé, mai 2016, éditions Robert Laffont et Plon

Extraits sélectionnés par Annie Lobé, journaliste scientifique indépendante :

La lecture de ce livre, qui décoiffe, est indispensable pour tous les utilisateurs de Google et de FaceBook, pour chaque détenteur d’un smartphone, d’une tablette ou d’une simple liseuse, pour chaque internaute qui télécharge des musiques ou des films, ou qui envoie des emails : il est important que nous sachions tous dans quelle aventure nous avons été enrôlés à notre insu, et à quelle sauce ces nouveaux ogres veulent nous manger. Et de découvrir à quel point, comparé à ce nouveau modèle de société qu’ils préparent en investissant des milliards de dollars, Big Brother était un nain (référence au livre 1984 de Georges Orwell paru en 1956) et la Stasi, police secrète est-allemande chargée de surveiller la population, un enfant de choeur.

Le directeur d’ERDF Philippe Monloubou a déclaré le 2 février 2016 lors de son audition à l’Assemblée nationale dont le sujet était le nouveau compteur électrique Linky : « ERDF est un opérateur de Big Data ».

Cela signifie qu’ERDF a l’intention de vendre nos données de consommation électriques qu’elle aura collectées par le Linky, transmises toutes les dix minutes, qui permettent d’ores et déjà de savoir quels appareils électriques nous utilisons à l’instant T, et même quel film nous regardons à la télévision.

Notre domicile, ce dernier espace de liberté où nous pouvions préserver notre vie privée à l’abri de murs et d’une porte fermée à clé, sera ainsi rendu « transparent » par le Linky, comme si tous les murs, le plafond et le plancher avaient été remplacés par de grandes baies vitrées sans rideaux ni volets.

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Extraits de L’Homme nu 

p 75-85

« Avec un objet connecté, on en sait plus sur vous qu’avec votre empreinte digitale. » Eric Peres, vice-président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, décembre 2014

On les appelle entités communicantes. Des objets banals de notre quotidien, comme une lampe, une chaise, une poubelle, une cafetière électrique ou un frigo qui dialoguent entre eux. Ils n’ont qu’un sujet de conversation : nous, les humains. Bienvenue dans le monde des commères numériques. Grâce à la prolifération des capteurs ou des puces sans contact, similaires à celles des cartes bancaires ou des pass de transport, notre environnement épie tous nos faits et gestes. Il les collecte et les transmets à la Matrice. On assiste à une numérisation accélérée du réel. Selon Google, dans moins de cinq ans, la moitié des compteurs électriques de la planète seront connectés. De même que 118 millions d’appareils ménagers. Au total plus de 20 milliards d’entités communicantes peuplent notre environnement. En 2020, leur nombre aura sans doute dépassé les 30 milliards (…) Jusqu’à présent, pour pénétrer dans le monde numérique, il nous fallait une passerelle, qui pouvait être l’ordinateur, la tablette ou le mobile. Les Big Data s’activent à réduire les dernières zones blanches.

La Toile nous enveloppe sans même que l’on ait besoin de se connecter. Le smartphone géolocalisé n’était que l’avant-garde de cet « Internet des objets », comme le lancement très médiatisé des lunettes à réalité augmentée, les fameuses Google Glass, ou l’iWatch, la montre connectée d’Apple. (…) … la promesse de nous faciliter la vie pour mieux nous monétiser. L’Internet des objets poursuit un seul but : satisfaire l’avidité de la Matrice pour les métadonnées. Tel un Moloch, son appétit est insatiable. C’est la logique du « toujours plus », cette goinfrerie inhérente aux Big Data. Une accumulation de données qui va alimenter sans fin la richesse d’une minorité et l’omniscience de l’appareil de surveillance. Nous croyons être des coqs en pâte, alors que nous sommes comme des moucherons pris dans une toile d’araignée, dont chaque mouvement est détecté, localisé, analysé. De nos habitudes, les firmes du numérique vont extraire un minerai à haute valeur ajoutée vendu aux annonceurs. La promesse de nous faciliter la vie vise en fait à nous réduire en consommateurs compulsifs. (…)

Grâce aux Big Data, les marques fidélisent sans coup férir. Mais la matière la plus précieuse contenue dans les métadonnées, c’est le « taux de conversion », la probabilité de faire d’un consommateur potentiel un client. Un service pour lequel les annonceurs sont prêts à payer le prix fort. Pourquoi donc Google s’est-il lancé dans la construction d’une voiture ? (…) D’abord pour tout savoir sur le conducteur et ses passagers, façon de conduire, radio préférée ou destinations favorites, afin de fournir des profils utra-documentés pour un marketing ciblé.

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« Dans ce futur nouveau, vous n’êtes jamais perdu. Nous connaîtrons votre position au mètre près et bientôt, au centimètre près », vantait ainsi Eric Schmidt, le patron de Google. (…)

C’est ce que fait déjà Foursquare de votre mobile puisqu’elle connaît votre localisation et donc vos lieux de sortie favoris. De précieuses informations qui, une fois revendues, vont permettre aux marques de concocter des programmes de fidélisation ad hoc. (…)

Des voitures autonomes qui circuleront dans des villes « intelligentes », telle est bien sûr l’une des ambitions des Big Data, bâtir la cité radieuse, où les lampadaires comme les trottoirs seront des mouchards… Nice a ainsi inauguré, en mai 2013, le premier boulevard connecté d’Europe. La chaussée, les réverbères, les conteneurs à ordure ont été farcis de capteurs qui analysent en temps réel le trafic, la qualité de l’air, le bruit ambiant, la température. Les poubelles, lorsqu’elles sont pleines, alertent les services de propreté. La luminosité des trottoirs est modulée en fonction du nombre de piétons. La ville est truffée de caméras « intelligentes » capables de lire sur les lèvres à 200 mètres. Ce mobilier urbain qui communique en wifi renseigne un ordinateur central qui pilote la ville.

Data City est une ville politiquement neutre, gouvernée par un mélange d’électricité et de numérique, de bases de données et d’ordinateurs. La gouvernance locale est en partie déléguée aux machines, jugées plus efficaces.

Mieux qu’un conseil municipal encombré par le débat politique, la cité radieuse s’autogère sans idéologie. Son unique programme est la rentabilité du temps et de l’espace. Une ville sans citoyens, donc, peuplée seulement de consommateurs dont il faut optimiser les achats. Un univers marchand parfait. (…)

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » s’interrogeait Lamartine. Oui, une âme de surveillants. Le réveil des objets participe à la Grande Inquisition.

(…)

Après avoir changé les objets qui nous entourent, les Big Data pourraient demain faire de l’homme lui-même un objet. Une start-up américaine teste déjà une puce sans contact qui, insérée sous la peau, permet de déverrouiller une serrure électronique ou de régler certains achats. En 2015, la société suédoise Epicenter l’a implantée à 250 salariés volontaires qui s’en servent notamment pour payer le self. Le géant du paiement en ligne, PayPal, travaille sur une pilule qui, une fois avalée, permettra de ne plus avoir à taper ni à se souvenir d’aucun mot de passe. Une variante étant le tatouage électronique. Mis au point par des chercheurs américains, ces circuits imprimés qui se collent à la peau surveillent par exemple la température, la fréquence cardiaque, le taux de globules blanc ou la pression artérielle. Voilà le symbole ultime de l’aliénation. Porter sur la peau la marque des Big Data…

p 22-24

Chaque minute, environ 300 000 tweets, 15 millions de SMS, 2014 millions de mails sont envoyés à travers la planète et 2 millions de mots-clés sont tapés sur le moteur de recherche Google… Les portables et autres smartphones sont autant de tentacules grâce auxquels la pieuvre Big Data récupère nos données personnelles. Médias, communication, banque, énergie, automobile, santé, assurances…, aucun secteur n’échappe à ce siphonage. L’essentiel étant fourni par les internautes eux-mêmes. Ce que nous achetons ou aimerions acheter, ce que nous allons consommer et même faire de nos journées, notre santé, notre façon de conduire, nos comportements amoureux et sexuels, nos opinions, tout est examiné. Depuis 2010, l’humanité a produit autant d’informations en deux jours qu’elle l’a fait depuis l’invention de l’écriture il y a cinq mille trois cents ans. 98 % de ces informations sont aujourd’hui consignées sous forme numérique. On assiste à une véritable mise en données du monde. Tout y passe, photos de famille, musiques, tableau de maître, modes d’emploi, documents administratifs, films, poèmes, romains, recette de cuisine… Une datification qui permet de paramétrer la vie humaine dans ses moindres détails.

Si 70 % des données générées le sont directement par les individus concernés, ce sont des entreprises privées qui les exploitent. C’est ainsi qu’Apple, Microsoft, Google ou Facebook détiennent aujourd’hui 80 % des informations personnelles numériques de l’humanité. Ce gisement constitue un nouvel or noir. Rien qu’aux Etats-Unis, le chiffre d’affaires mondial de la Big Data – le terme n’a fait son entrée dans le dictionnaire qu’en 2008 – s’élève à 8,9 milliards de dollars. En croissance de 40 % par an, il devrait dépasser les 24 milliards en 2016.

Les Gafa – pour Google Apple Facebook et Amazon – ont réussi à conquérir en une dizaine d’années l’ensemble du monde numérique. Ces « sociétés du septième continent », comme on les appelle, sont la nouvelle incarnation de l’hyperpuissance américaine. Pour asseoir leur suprématie économique, les Etats-Unis ont d’abord entremêlé leurs intérêts avec ceux de l’industrie pétrolière, sur fond de coups d’Etat à l’étranger (Panama…), soutien logistique et financier à des mouvements de guérillas (Nicaragua…), interventions militaires extérieures (Irak…). Avec les majors du numérique, Washington est allé encore plus loin. Cette fois, les intérêts ne sont plus enchevêtrés mais fondus. Cet accouplement entre l’Etat le plus puissant de la planète et les conglomérats industriels issus de la science des données est en train d’enfanter une entité d’un genre nouveau. Cette puissance mutante, ensemencée par la mondialisation, ambitionne ni plus ni moins de remodeler l’humanité. (…)

Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis qui contrôlent les Big Data. Les Bill Gates et autres Mark Zuckerbert patron de FaceBook, sont les nouveaux Rockefeller.

Ceux auxquels l’Etat américain a délégué l’exploitation, le stockage et le raffinage des gisements numériques. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, un aussi petit nombre d’individus n’aura concentré autant de pouvoir et de richesse. Le monde digital aura donné naissance à une hyper-oligarchie.

p 25

En moins de quinze ans, l’américain Google, rebaptisé Alphabet, est devenue la plus grosse entreprise du monde. En 2016, sa valorisation boursière, avec 544,7 milliards de dollars, est près de deux fois plus élevée que celle du géant pétrolier Exxon Mobil. Derrière Alphabet, on trouve désormais trois autres Big Data – Apple, Microsoft et FaceBook. Exxon Mobil, qui en 2011 occupait encore la première marche du podium des capitations boursières mondiales, est relégué à la sixième place. A elles seules, Apple et Alphabet sont assises sur une montagne de cash de 289 milliards de dollars !

Comme dans l’industrie pétrolière, la plus-value sur la matière première se fait au moment du raffinage. Après le gavage des ordinateurs nourris de toujours plus d’informations, le raffinage s’opère grâce des algorithmes sophistiqués, un traitement de l’information rendu possible par une mémoire informatique exponentielle et des processeurs de plus en plus puissants. Pour ce faire, une firme comme Google possède au bas mot quarante-cinq fermes de calcul, disséminées à travers le globe. Le chiffre est secret. Des serveurs en batterie qui moissonnent une partie du trafic Internet mondial. On estime que chacun de ces immenses data centers, ou centres de traitement de données, consomme en électricité l’équivalent d’une ville américaine de 40 000 habitants. Et tout ça n’a rien de très écologique. Google a reconnu en 2012 émettre 1,5 million de tonnes de CO2, soit l’empreinte carbone annuelle du Burkina Faso. Il est vrai que tous les jours, le moteur de recherche indexerait 24 pea-octets, l’équivalent de mille fois la quantité de données conservées dans la plus grand bibliothèque au monde, celle du Congrès de Washington.

Plus les données sont raffinées, plus elles prennent de la valeur, et le niveau de filtration dépend de la qualité des algorithmes. Google est né d’un algorithme baptisé « Page Rank », inventé en 1998 par ses deux fondateurs, Sergueï Brin et Larry Page. Grâce à cet algorithme révolutionnaire, la firme de Mountain View est devenue le moteur de recherche universel, trustant 70 % des requêtes Internet mondiales. En Europe, 90 % des recherches effectuées par les internautes passent par Google Search.

 

Pour en savoir plus :

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