Tou(r)s sous surveillance

Pour une critique active et engagée de la vidéo-surveillance à Tours

L’auteur – prononcer J point… comme point de vidéo-surveillance ! – a récemment proposé à L’Antivol de publier ses écrits sur le sujet. Nous n’avons pas hésité un seul instant, vu leurs qualités tant informatives que réflexives et leurs façons de marier éclairages généraux et enquête locale, en l’espèce tourangelle. Sans oublier quelques pointes d’humour qui ne gâchent rien. Voici donc le premier volet de la série, distribué au format papier en juin 2023…

Il y a encore une vingtaine d’années, les personnes s’intéressant aux questions liées à la vidéo-surveillance pouvaient penser que Tours était épargnée par la frénésie sécuritaire qui s’emparait à cette époque-là d’autres métropoles françaises. De plus, la ville n’était pas connue pour son taux de délinquance élevée ou pour ses activités militantes répréhensibles (arguments pouvant servir parfois à justifier l’implantation de caméras).

Mais il s’avère que depuis, les différentes équipes municipales ont eu à cœur de combler consciencieusement ce retard. Elles pouvaient compter pour cela sur les incitations idéologiques et financières des gouvernements (relayées par les préfectures) et le lobbying des entreprises commercialisant le matériel servant au vidéo-flicage.

À ce jour, le site de la mairie annonce toujours 106 caméras (1) (dans les faits, il y en a plus de 170) réparties dans toute la ville (certains quartiers étant plus concernés que d’autres) et reliées à un Centre de supervision urbain (CSU, inauguré en 2017). Même si depuis l’arrivée aux affaires de la municipalité écolo, d’après un adjoint, « le nombre de caméras reste numériquement constant », il est indéniable qu’elles pullulent actuellement dans le Vieux Tours (2), leur installation coïncidant avec la rénovation de certains secteurs (Place de la Victoire ou Place du Grand Marché).

Ainsi ce n’est plus chose aisée, dans ces zones, de boire un verre à la terrasse d’un bar sans être espionné.es par les agent.es du CSU.

Cette présence de plus en plus massive doit questionner chaque citoyenne et citoyen sur les raisons politiques du recours à la vidéo-surveillance. À l’heure où l’État, à l’approche des prochains J.O., est en roue libre sur les dispositions liberticides (autorisation des algorithmes et de la reconnaissance faciale notamment) (3), il est temps de s’opposer à cette organisation de l’espace public et d’en démanteler les infrastructures.

Le recours aux caméras de surveillance pose un ensemble de questions qui englobe des champs tels que l’écologie, l’économie ou encore la liberté de circulation (et ses corollaires que sont l’intimité voire l’invisibilité qui devraient être considérées comme des droits inaliénables).

De la Méga-Machine au Méga-Gaspillage

Outre les matériaux et l’énergie utilisés pour la construction et l’acheminement des caméras et des supports (mats en acier par exemple), la transmission et la sauvegarde des images demandent des infrastructures spécifiques et du matériel de traitement et d’archivage des données : ordinateurs puissants, écrans, serveurs, logiciels.

Les caméras et le CSU, étant opérationnels H24, nécessitent donc une grande consommation d’énergie.

Que ce soit au niveau local ou national, les récentes équipes municipales écolos élues en 2020 ne se sont pas embarrassées de ces considérations pour limiter, stopper ou même supprimer la surveillance de la voie publique. Finalement, cette duplicité ne fait que mettre en exergue le vrai visage d’une écologie dénuée de toutes radicalités et compatible avec des technologies énergivores, inutiles et liberticides. Une écologie start-up nation en adéquation idéologique avec le capitalisme et le néolibéralisme.

Des innovations sans limites

Répondant aux principes du développement capitaliste, l’industrie de la surveillance est basée sur la recherche, l’innovation et la volonté de promouvoir sans cesse de nouveaux produits à refourguer aux municipalités et à l’État. Que ce soit pour le hardware ou le software, chaque nouvelle invention sera présentée comme plus performante, intelligente (sic) et pourquoi pas un jour éco-responsable, rendant le matériel utilisé jusqu’alors obsolète. Ce véritable bluff technologique encourage à changer régulièrement le parc de caméras et à se munir du dernier petit bijou de chez Hikvision ou Netatmo.

Et, on argumentera, qu’avec les nouvelles capacités de la EXIR 2.0 IPC-D140H HiLook, on aurait réussi à zoomer sur la personne qui a déposé ses ordures dans un fossé sis à la Gloriette.

Le boulevard que viennent d’ouvrir le gouvernement français, l’Assemblée Nationale et le Sénat aux entreprises, en légalisant l’analyse des images par des algorithmes, devrait motiver les valeureux et valeureuses VRP du milieu à vendre le plus de camelote possible et ainsi remporter le fabuleux voyage aux Seychelles sans doute promis à celui ou celle qui fera le plus de chiffre.

Caméras partout, Invisibilité nulle part

L’indifférence face à la vidéo-surveillance relève soit d’un manque d’observation de l’espace urbain soit d’un je-m’en-foutisme délétère (4). La banalisation de la vidéo-surveillance se nourrit de cette indifférence. Par la suite, il est d’autant plus facile de la légitimer auprès du grand public. Légitimation qui repose dans un premier temps sur sa prétendue utilité et dans un deuxième temps sur le fait qu’une personne n’ayant rien à se reprocher n’aurait rien à craindre du dispositif.

Concernant l’utilité de la vidéo-surveillance, à part les hérauts du flicage (entreprises, flics, ministres de l’Intérieur et de la Justice et au hasard Christian Estrosi), on est loin de l’unanimité. Nombreux sont les travaux et articles remettant en cause son efficacité (5). Même la Cour des Comptes dans un rapport de 2020 en questionne le rapport coût/efficacité (6). Mais finalement, ce qui doit le plus nous interroger, c’est que même, si à ce jour, certains et certaines n’ont rien à se reprocher, qu’en sera t-il à l’avenir ? La création de lois de plus en plus liberticides démontre que certains comportements autrefois licites deviennent par le truchement de la législation, illicites. Ainsi, certains rassemblements non autorisés et le fait de cacher son visage sur la voie publique sont d’ores et déjà criminalisés. Demain, ce sera peut-être se réunir à plus de 5 personnes, marcher dans certaines zones après 2h00 du matin (7), tracter sur la voie publique ou pour deux personnes du même genre, s’embrasser dans la rue.

Ces technologies sont en elles-mêmes dangereuses et contiennent les germes de l’autoritarisme, du contrôle et de la répression. Mais, ce qui est encore plus dangereux, ce sont les personnes qui sont derrière les caméras (physiquement et idéologiquement). Celles qui organisent et légifèrent sur ce qu’elles doivent détecter et signaler comme étant anormal et/ou illégal.

Gardons à l’esprit qu’une technologie n’est jamais neutre.

Une fois à l’œuvre, il n’y a jamais de retour en arrière (8).

À suivre…
Pour faire part de vos retours et/ou proposer des contributions,
écrire à
TSS37@proton.me

Notes

  1. https://www.tours.fr/services-infos-pratiques/298-vi
    (référencement participatif)
  2. La dernière en date a été installée au 70 rue du Grand Marché à la mi-juin 2023.
  3. https://www.laquadrature.net/2021/10/15/jo-2024-la-frene
  4. En conséquence, il importe de se questionner sur qui fait la ville et pour quelles finalités. Lire notamment M. Adam et E. Comby, Le capital dans la cité, Ed. Amsterdam, 2020 ; D. Mangin, La ville franchisée, Ed. de la Villette, 2004 ; S. Graham, Villes sous contrôle, La Découverte, 2012.
  5. Lire notamment, L. Mucchielli, Vous êtes filmés, Armand Colin, 2018.
  6. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-polices-municipales
  7. Durant les différents confinements et couvre-feux de tels lois ou décrets sont apparus et leurs retours ne seraient qu’une formalité.
  8. Écouter à ce propos : https://archive.org/details/rmu-080-jarr

Références sélectives

  1. Bibliographie

Anonyme (2023), Pas vue pas prise, auto-édition, à télécharger sur https://we.riseup.net/assets/881357/Texte-v1.pdf
Codaccioni Vanessa (2021),
La société de vigilance, Textuel.
Fœssel Mickaël (2010)
État de vigilance, Le Bord de l’eau.
Graham Stephen (2012),
Villes sous contrôle, La Découverte.
Lemaire Elodie (2019), L’œil sécuritaire, La Découverte.
Ligue des droits de l’Homme – LDH (2009),
Contre la liberté surveillée, à télécharger sur https://www.ldh-france.org/contre-la-liberte-surveillee/
Manière de voir (N°133 – 02/03 2014),
Souriez vous êtes filmés, Le Monde Diplomatique.
Mucchielli Laurent (2018),
Vous êtes filmés !, Armand Colin.
Richard Claire (2021),
Technopolice, défaire le rêve sécuritaire de la safe city, 369 éditions.

  1. Webographie

https://tours.sous-surveillance.net/
https://technopolice.fr/
https://www.laquadrature.net/
https://www.cnil.fr/fr/videoprotection-quelles-son
https://www.notrace.how/resources/fr/

  1. Documentaires, reportages

Lamour Olivier (2021), Fliquez-vous les uns les autres, France Tv
Louvet Sylvain (2020),
Tous surveillés, 7 milliards de suspects, Arte Tv
Etcheto Antoine, Faubert Serge (2021),
Vidéosurveillance intelligente, une menace pour nos libertés ?, Blast