Electrohypersensibilité

Une maladie qui n’a rien de psychiatrique, selon le Professeur Belpomme

Les personnes se déclarant électrohypersensibles en France sont de plus en plus nombreuses. Nous avons interrogé le Professeur Belpomme sur cette maladie émergente.

Douleurs articulaires, troubles du sommeil, crises d’épilepsie aggravées ou encore acouphènes. Depuis l’installation d’un parc éolien à proximité de leur exploitation à Nozay (Loire-Atlantique), les problèmes de santé se sont accumulés pour Murielle et Didier Potiron. « Ça puise toute notre énergie. » Le couple d’éleveurs n’est pas le seul concerné dans les alentours : les riverains se plaignent aussi de maux de tête et d’insomnies.

A près de 200 km de là, à Allineuc, dans les Côtes d’Armor, Stéphane Le Béchec a vu lui aussi sa santé se dégrader en même temps que son troupeau de vaches dépérir. « Quand je mets les mains dans l’eau, ça me fait des crampes aux mains, ce n’est pas normal. Beaucoup de gens sont malades autour de moi, il y a des cas d’AVC nombreux ».

Dans la Sarthe, l’éleveur bio Didier Brault a été diagnostiqué électrosensible et suit un traitement remboursé par la MSA.

Ces troubles de la santé imputés à l’exposition aux champs et ondes électromagnétiques sont loin d’être réservés aux agriculteurs : depuis plusieurs décennies, le nombre de personnes se déclarant électrohypersensibles se multiple, même si aucun chiffre officiel n’est connu en France (1).

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Un diagnostic biologique objectif

Le Professeur Dominique Belpomme, cancérologue depuis près de 40 ans, est l’un des premiers médecins français à s’être intéressé de près à l’électrohypersensibilité. Référent sur le sujet après des années de recherches en médecine environnementale, il est aussi controversé auprès de certains de ses pairs (il a reçu un avertissement du Conseil national de l’ordre des médecins en 2018) qui n’approuvent pas ses méthodes, certains refusant de prendre au sérieux cette maladie émergente.

Le Pr Belpomme a reçu en consultation plusieurs des agriculteurs que nous avons rencontrés au cours de cette enquête. Nous l’avons interrogé.

actu.fr : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’électrohypersensibilité (EHS) ? 

Pr Dominique Belpomme : Cela fait neuf ans que je travaille sur l’EHS. A l’époque, je recevais à l’hôpital parisien Georges Pompidou des patients atteints de tumeurs au cerveau qui se disaient électrosensibles. J’ai commencé à faire des recherches puis j’ai mis en place un examen clinique et des tests biologiques. On peut parler de diagnostic biologique objectif aujourd’hui, contrairement à ce qu’affirment certains… (2)

Aujourd’hui, j’ai examiné et investigué biologiquement plus de 2 000 cas.

Quels sont les symptômes de l’EHS ?

Cela se manifeste par des maux de tête, une chaleur et une douleur dans l’oreille que l’on utilise pour téléphoner avec son portable, des picotements dans les mains et les pieds, des acouphènes, des troubles cognitifs de type perte de la mémoire immédiate, troubles de la concentration, et des insomnies, une fatigue intense et parfois – dans 40% des cas – des idées noires qui peuvent conduire au suicide.

Quelles sont les personnes les plus touchées ?

Dans la population générale, cela touche surtout les femmes – deux sujets sur trois- et les enfants et adolescents. On voit aussi beaucoup d’agriculteurs en détresse car leur élevage est perturbé (morts d’animaux, baisse de production, etc.) et qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Mais il y a encore trop peu d’études sur l’impact des champs électromagnétiques sur les animaux.

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Vous parliez de diagnostic biologique objectif de l’EHS. Quel est-il ? 

Nous avons mis en place des tests biologiques qui montrent une inflammation neurologique provoquant une augmentation du taux d’histamine dans le sang. Il y a en plus un mécanisme de stress oxydant dans 80% des cas. Sous l’influence des champs électromagnétiques ou des produits chimiques (souvent les électrosensibles sont aussi sensibles aux produits chimiques), l’organisme fabrique des radicaux libres qui créent des dégâts moléculaires ou cellulaires sur l’organisme.

Ce n’est donc pas une maladie psychiatrique mais une maladie organique qui touche le cerveau.

Les électrosensibles souffrent généralement de migraines, de vertiges, de troubles du sommeil, de la mémoire… (©Illustration Adobestock)

  • Comment ça marche : les champs et ondes électromagnétiques

Dans son rapport publié sur le sujet en 2018, l’Anses reconnaît l’existence des symptômes de l’EHS mais souligne qu’aucun lien de corrélation ne permet de mettre en cause les ondes électromagnétiques…

Comme l’indique l’OMS, les liens de causalité avec les ondes sont encore en cours de recherche. C’est une démarche scientifique qui est longue et compliquée. Mais il y a des arguments indirects qui nous mettent vers la voie d’association de faits. On est au stade de l’observation épidémiologique. En attendant, face aux graves faits constatés, le minimum serait d’appliquer le principe de précaution.

Le poison, c’est la répétition des doses ou la longueur de l’exposition. C’est valable pour tout, pour les champs électromagnétiques comme pour les produits chimiques.

Avez-vous trouvé un traitement efficace ?

Oui, il existe des traitements contre les anomalies détectées dans le sang : des antihistaminiques, des antioxydants, corriger les carences en vitamine D, zinc, etc. et il existe aussi d’autres produits comme la papaye fermentée qui diminue les symptômes. Mais ce n’est pas efficace si le malade ne se protège pas des champs électromagnétiques. Ça implique donc un changement radical de mode de vie.

L’électrosensibilité, c’est comme un coup de soleil dans le cerveau. Si vous prenez quelque chose pour soulager la douleur mais que vous ne cessez pas de vous exposer, cela ne sert à rien.

Vos travaux sont soumis à la controverse, notamment auprès du Conseil de l’ordre des médecins. Pourquoi selon vous ? 

On ne veut pas voir les choses en face car il y a trop d’intérêts économiques contradictoires. Pourtant, il y a des millions de personnes dans le monde intolérantes aux champs électromagnétiques. Ce n’est pas un petit problème, ni une maladie psychiatrique je le répète, mais un problème de santé publique majeur et mondial ! J’ai publié une dizaine d’articles dans des revues internationales reconnues par la communauté scientifique. De très nombreux articles reconnaissent que les champs électromagnétiques sont toxiques pour les plantes, le vivant en général. Mais les lobbys en face sont trop puissants…

C’est un peu comme pour le réchauffement climatique. On cherche toujours à nier l’impact des facteurs environnementaux sur la santé humaine.

Peut-on encore venir vous consulter ou la liste d’attente de votre cabinet est saturée ? 

Je reçois cinq à six nouveaux malades par semaine. Des généralistes, des médecins du travail, des psychiatres m’envoient des patients. Mais il y a aujourd’hui plus de 200 médecins en France qui délivrent des certificats pour électrohypersensibilité. La relève est là, il lui faut une formation digne de ce nom.

L’électrosensibilité reconnue comme responsable dans un accident du travail et comme maladie professionnellePour la première fois en France, en septembre 2018, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles a jugé qu’un électrohypersensible devait être pris en charge au titre des accidents du travail. Diagnostiqué électrohypersensible depuis 2011, le requérant, technicien d’un service client d’une entreprise de télécommunications, avait été maintenu à un poste sans aménagement malgré les préconisations de la médecine du travail recommandant un changement de poste moins exposant aux ondes électromagnétiques. Son malaise, survenu le 6 novembre 2013 sur son lieu de travail a été reconnu comme accident du travail par le tribunal.
Quatre mois plus tard, en janvier 2019, une autre décision de justice fait date : le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise enjoint à un organisme public de reconnaître l’électrohypersensibilité de l’un de ses techniciens de recherche comme imputable au service, autrement dit comme maladie professionnelle.
« Une fois de plus la justice est en avance sur le politique et le législatif dont l’inaction coupable nous contraint à passer par des procédures lourdes et coûteuses pour obtenir gain de cause », salue Sophie Pelletier, présidente de Priartem.
L’association Priartem, créée en 2000, fait figure de chef de file en France dans la défense des personnes électrosensibles. « Nous participons à diverses réunions, faisons de la veille scientifique, contribuons au comité de dialogue de l’Anses sur les radiofréquences, essayons de solliciter le ministère de la Santé, même si c’est extrêmement laborieux », explique Sophie Pelletier. L’association a aussi appelé à un moratoire sur la question de la 5G. Et elle est aux côtés de l’association Animaux sous tension dans son combat (elles ont d’ailleurs le même avocat). « Il y a du progrès : on est passés du statut de fous qui s’enfuient au fond des bois à celui de malades avec des symptômes reconnus sur le plan médical ! »
Pour en savoir plus, contactez Priartem au 01 42 47 81 54.

Notes

(1) Dans son rapport de mars 2018 sur l’hypersensibilité électromagnétique, l’Anses indique que son groupe de travail n’a pas eu connaissance d’études sur la prévalence de l’EHS en France dans la population générale. Concernant les données internationales et sur la base de 14 études publiées dans la littérature scientifique que le groupe a consulté, ce dernier estime que la prévalence de l’EHS dans la population mondiale devrait se situer autour de 5%.
La prévalence n’est pas un taux mais une proportion, c’est le rapport entre le nombre de personnes atteintes d’une maladie et l’effectif de la population concernée susceptible d’être atteinte par cette maladie.

(2) Dans son rapport de mars 2018, l’Anses appelle à la réplication des travaux du Pr Belpomme par des équipes indépendantes, notamment en ce qui concerne le débit sanguin, le métabolisme énergétique du cerveau et la tomosphygmographie cérébrale.

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