Contribution officielle au débat 5G à Nantes

Au-delà d’une technologie imposée et très discutable, il s’agit d’un vrai choix de civilisation

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Contribution officielle de R5GN au débat 5G à Nantes 210826

Extraits

Quelles sont, pour vous, les menaces (points négatifs), les opportunités (points positifs) d’un déploiement de la 5G dans votre commune ?

La 5G est un marqueur et accélérateur d’un monde du tout-numérique qui est un « fait social total » comme l’énoncent les sociologues.

Bien plus que prendre parti “pour” ou “contre”, il s’agit de TOUT mettre sur la table de la discussion quant aux réels enjeux, avantages et risques potentiels qu’une “innovation technologique” peut susciter. Il serait très difficile de revenir en arrière si dégâts il y avait — nous le savons déjà — dans des sociétés et une civilisation mondiale déjà bien malades et dangereusement conflictuelles, sur une planète tout aussi malade de nos excès, notoirement dus à notre civilisation industrielle. C’est donc, plus que jamais, le moment de faire le point en toute conscience sur les enjeux soulevés à un moment-clé où la « technoscience » s’écarte de plus en plus de la science du Vivant et de l’espace, dans une démocratie représentative qui a perdu la confiance citoyenne car gangrenée par le poids accru des lobbys industriels.

La 5G, avec son monde de milliers d’objets connectés, de Big Data glouton, de voitures autonomes, ne va pas dans le sens de la sobriété et du tri sélectif électronumériques, voire de dénumérisation sectorielle à envisager très sérieusement (tout n’étant pas automatiquement numérisable), auxquels nous sommes désormais obligés avec l’urgence climatique : « Le déploiement de la 5G est à remettre dans le contexte d’une croissance exponentielle des usages numériques dont les effets sur le climat sont maintenant notoires. Alors que l’urgence commande de limiter drastiquement nos usages numériques, la 5G nous éloigne à toute vitesse de cet objectif. » (1)

Il n’y a pas que les fréquences, les antennes, les terminaux et objets connectés qu’on ne cesse d’empiler et accumuler massivement pour des changements continus sur fond d’obsolescence programmée, mais aussi l’ancien extractivisme fossile (pétrole, gaz, charbon) qui ne disparaîtra pas de sitôt, à moins d’extrême naïveté, auquel s’ajoute le nouveau (métaux et terres rares), tout aussi fossile. Nous n’avons jamais autant retiré de ressources de la terre qu’en 2019 jusque vers l’épuisement. (2). Est-ce raisonnable ? Bien sûr que non.

Comment ne pas voir que l’intensification du numérique fortement encouragé comme une solution magique au nom d’un sacro-saint « Progrès » en perte de sens civilisationnel complet – et qui n’est devenu que technique ou technoscientiste – ne va pas aujourd’hui dans le sens du bien-être et de la justice sociale, loin de là, et bien peu dans le sens d’une impérative transition écologique et énergétique réussie. Quand finira-t-on par dresser un bilan lucide des 20 à 30 dernières années de notre fameuse « révolution numérique » avec ses réelles avancées sociétales, mais aussi sa part d’ombre au spectre de plus en plus large ?

 Les politiques trouveront-ils un peu de lucidité quant à cette mutation dangereuse ? Ne risquent-ils pas d’être, vis-à-vis des « nouvelles technologies numériques », des zélateurs adossés à un pouvoir décisionnel de plus en plus méprisant, hautain, lointain, verticalement infantilisant, et qui, de fait, lui échappe au profit de lobbys plus puissants ? Et que dire de médias technolâtres devenus les ventriloques de leurs maîtres et qui n’investiguent plus avec une profonde conscience des enjeux.

Ne serions-nous pas passés de l’euphorie des années numériques qui ont pu apporter de l’accès à l’information et à la culture, de réels avantages et commodités, voire de réelles libertés, à l’addiction accélérée et inconsciente de ces dernières années vers un très possible asservissement généralisé (3) ? En plus d’une aberration écologique, énergétique, d’une fragilité de nos systèmes hyperconnectés, d’une fumeuse promesse de création d’emplois par milliers compensant ceux massivement et très visiblement détruits ou dégradés que l’on observe partout autour de soi sur fond accentué d’inégalités économiques et sociales. À quoi s’ajoute un risque sanitaire que l’on ne pourra nier ou minimiser trop longtemps.

Le tout-numérique que l’on nous impose demande beaucoup d’énergie électrique, des matières très polluantes extraites dans des conditions souvent sanglantes ou esclavagistes loin de nos yeux rivés sur nos écrans (4), sans parler des data centers polluants et énergivores. Tout ceci est évidemment incompatible avec le réchauffement climatique et la sobriété indispensable pour notre survie. Entre les impératifs de la COP 21 et la 5G et le monde qu’elle annonce, déjà bien préparé, il faudra donc choisir et rester cohérent avec la plus grande conscience, honnêteté et indépendance de jugement dans la décision politique.

La société high tech hyper-électronumérique avec ses machines est antagoniste de la lutte contre le réchauffement climatique, la défense de la biodiversité, et va à rebours des enjeux de l’Histoire. Nous roulons à contre-sens de l’essentiel et du vital. Forcés à emprunter de vastes autoroutes interconnectées pour maximiser le culte vertigineux de la vitesse à tout prix, autoroutes qui occuperont tout le paysage de nos existences avec de moins en moins d’arbres, de moins en moins d’abeilles pollinisatrices et d’oiseaux, de moins en moins d’autonomie, de libertés individuelles et collectives – de moins en moins de ressources. Ceci pouvant présager conflits régionaux et black-out en série, est-ce bien sage ?

Pour cela, plus que jamais, il faut impérativement envisager des solutions low tech, des outils  technologiques pluriels promus par la demande citoyenne et non subis, sous peine d’incohérence complète. Et plus que jamais les décisions technologiques devront être soumises à des collèges citoyens – il en va du sens et de l’esprit de la démocratie.

Le tout-numérique est en train d’envahir toute la sphère de notre quotidien, de notre existence. Nul ne pourra demain échapper à ses machines, son outillage, son contrôle. Il concourt à la déshumanisation, à une vie sans contact, à ce que chacun devienne une monade isolée devant ses écrans. Comment ne pas voir que le « tout connecté » est le fantasme techniciste d’une conception totalitaire de la société, d’une volonté de « biopouvoir » exercé sur les corps et les esprits sur fond de trans-humanisme. Sous cet angle, la Chine (encore plus que les États-Unis)  est bien le modèle non avoué de nos « décideurs » et de la gouvernance de nos « experts ».

Il faut calmer dès maintenant l’enthousiasme béat et technolâtre de la « 3ème Révolution industrielle » qui pourrait nous conduire à un désastre humain et écologique, en plus d’abîmer ce qui nous reste encore de libertés.

 Nous revendiquons donc le droit à la non-connexion, à la déconnexion. Nous souhaitons vivement que ce droit soit inscrit dans notre Constitution.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité nos objets, devenus au fil du temps manufacturés, jetables, non réparables, obsolescents, sans plus de valeur autre que consommables, devraient nous dorloter, nous parler, veiller sur notre petit confort individuel, et nous contrôler, nous surveiller par des injonctions et prédictions machiniques numérisées externes – évidemment autoproclamées infaillibles. Désormais, notre relation personnelle à l’objet sera intermédiée par un maître-robot – comme si derrière le robot, il n’y avait pas l’action d’humanoïdes anonymes qui programment la machine ! Ceci évidemment au nom de la résilience, de la planète, de notre bien-être, de notre santé, de notre sécurité… et par le miracle d’un petit rectangle portatif aux pouvoirs magiques.

On est en train d’abîmer, dans une bien grande indifférence, la Terre, la biodiversité, le ciel étoilé – alors, de grâce, qu’on laisse au moins nos objets du quotidien tranquilles !

« Amish » versus « technolâtres »… Vu la crise écologique et sociétale sur fond d’un tout-numérique en développement exponentiel, lui-même très polluant et s’immisçant au plus intime de la personne humaine, présenté comme LA solution technologique suprême pour sauver le monde et la société, de façon éminemment fallacieuse, le premier écogeste responsable pour un monde vraiment soutenable – à moins de se payer de mots et faire fi du réel –, est celui de la sobriété numérique. Celle-ci doit donc s’accompagner du droit à la déconnexion et du libre choix citoyen.

Ainsi, les frugaux du numérique font un acte fondamental de civisme puisqu’ils désengorgent de toute évidence les fameux « tuyaux » de données qu’on veut les forcer à engraisser pour l’unique intérêt des industriels et des opérateurs alors que la conscience de l’intérêt général et du bien commun de ces derniers est fort discutable. Là est l’enjeu d’un renouveau profondément démocratique dont les politiques doivent finir par prendre  conscience pour leur propre crédibilité républicaine.

Quant au « devenir chinois » de nos cités, ou syndrome des mégalopoles, c’est un problème qu’il faudra aborder au plus vite. Qui dit accroissement non ou mal contrôlé de nos grandes villes, dit artificialisation mal compensée par des ilots « verts », complexification technique accrue, et creusement des inégalités sociales – ce qui se constate partout (5).

Développer des réseaux techniques hyper-sophistiqués, réticulaires universels, outre leur très probable fragilisation, risque d’accompagner la concentration urbaine et l’hypertrophie métropolitaine – les deux phénomènes étant interdépendants. Est-ce un “progrès” pour l’équilibre de nos territoires, de nos quartiers, l’intérêt et l’autonomie du local ? Nous pouvons en douter, à moins de nous résigner à survivre dans des mégalopoles davantage inégalitaires, avec des individus de plus en plus contrôlés, de plus en plus atomisés derrière leurs écrans devenus obligatoires, et dans la déshumanisation et artificialité les plus complètes.

Sortir du mythe hypnotique de la « complexité » technique considérée comme un inéluctable « progrès », et bifurquer vers des solutions plus simples et rationnelles – tel  serait un avenir désirable et soutenable pour l’humanité et le Vivant.

Quand les territoires, les cités, auront-ils le courage de reprendre leur autonomie politique contre la verticalité des pouvoirs imposés, monopolistiques et privés sous la férule autoritaire de l’État, au détriment de la res publica, la volonté d’opter pour une déconcentration plurielle des territoires, des savoirs et compétences, ainsi qu’une différenciation ici et là des technologies utilisées selon leur réelle utilité ? Là réside peut-être la « modernité » simplifiée de demain, une voie d’avenir plus saine et plus sobre, où se reprofilerait un horizon possible pour revivifier notre démocratie, pour que nos cités et notre planète puissent davantage respirer.

– Des psychologues, des neuropsychiatres, des associations parentales, l’enquête internationale Pisa elle-même, constatent les dégâts causés par les écrans à l’école (sur la concentration des élèves notamment). Des enquêtes sur le terrain démontrent la catastrophe de l’enseignement à distance. Nombre d’enseignants et d’élèves ne supportent plus « le distanciel ».

 – On va « dématérialiser » (oxymore accablant de non-sens) les services encore publics à coups de « nuages » électro-numériques. Question : cela maintient-il l’emploi public ? Personne ne le constate, bien au contraire.

– La Poste, qui fut un modèle de service public, devenue un centre de collecte de données, une banque, une marchande de smartphones, surveille numériquement ses dernières factrices et facteurs au cours de leur tournée. Un « progrès » ?

Peut-être faudrait-il se poser la question : est-ce que des forêts bien entretenues et agrandies, regagnant sur les espaces bétonnés, ne pourraient pas produire du papier que l’on recyclera au lieu de services « dématérialisés » ? Ne serait-ce pas un moyen d’éviter la casse en cours de l’Administration des Eaux et Forêts ? En plus de nous ré-oxygéner. Des calculs ont été faits : il n’est pas sûr que l’on gagne en moindre pollution et diminution de GES avec la « dématérialisation », et certainement pas si on finit par faire une sortie papier avec son imprimante (6).

– On voit des gares en France où il n’y a plus d’employés humains et où il est indispensable d’avoir un smartphone pour pouvoir voyager (ce que l’on ne peut plus faire anonymement…).

– La publicité (ou propagande) des opérateurs nous dit que la 5G va aider à la télémédecine et apporter des bienfaits inestimables à nos services de santé, et bien sûr aux populations. Le robot va  faire des prédictions médicales infaillibles. Le numérique avec ses écrans va combler les déserts médicaux. En médecine, l’humain serait-il  devenu l’erreur ?

A-t-on demandé aux médecins, au personnel médical et hospitalier, s’ils avaient réclamé et s’ils ont besoin de la 5G ? Bien sûr que non. Vu leur état de fatigue, d’usure morale, le délabrement de leurs locaux, cela relève de la plus cynique indécence.

– Les opérateurs nous vantent aussi la 5G pour venir en aide aux agriculteurs. Il est tout aussi indécent de vouloir les aider au moyen de la 5G salvatrice alors que certains utilisent déjà drones, GPS et gestion par ordinateur, que beaucoup trop ont besoin d’aide financière et morale, qu’il y a bien d’autres urgences pour eux. Il est sûr, vu leur état souvent sinistré, qu’ils n’ont certainement pas réclamé la 5G !

– Doit-on aborder le projet infantile de la voiture autonome ? Des milliers de capteurs, de faisceaux électromagnétiques, le long de nos rues et de nos routes pour une meilleure santé et économiser les ressources de la Terre ? Est-ce sérieux ? Quel est l’assureur qui voudrait prendre en charge ce type d’engin ? Et qui va pouvoir s’offrir ce jouet ? Le professeur, l’infirmier, le postier, l’agriculteur ?

– L’internet des objets… Qui a demandé des frigos, des aspirateurs, des brosses à dents ou slips connectés ? Et tout ceci sans matière ? Sans débauche d’énergie ? Sans ressource en minerais et terres rares ? Pour le climat et contre les GES ? Qui le demande et qui en a ENVIE ?

– On nous fait la promesse mirobolante de créations d’emplois qu’offrira la 5G et le smart world annoncé, alors que tout le monde peut constater autour de soi que partout où la numérisation/robotisation passe, l’emploi trépasse, y compris dans les services encore publics. Et où seront fabriqués nos terminaux à changer ainsi que nos (inutiles) objets  connectés ? Certainement pas chez nous (ou très peu).

– Le Big Data… La “naturalisation” du développement numérique tentaculaire et d’un énergivore Big Data/Moloch de données, généralement non consenties, considéré comme une évidence de fait, est un vrai problème. Les citoyens n’ont aucunement demandé ces “innovations” numériques “disruptives” envahissantes, pseudo-“progressistes”, à grands coups de captations de données les plus personnelles (et le plus grave à venir : passeport biométrique, caméras à reconnaissance faciale – l’idéologie sécuritaire ambiante et s’amplifiant est en train de rogner nos libertés fondamentales).

Entre le gavage sans fin de l’Ogre à data énergivore et la sobriété numérique, il faut choisir très vite. Du Big Data/Big Brother, il faut passer au Thin Data localisé et citoyennement contrôlé, du tout-numérique à la ré-humanisation de nos services publics (santé, éducation…).

– On a su créer une véritable addiction au smartphone. Il est en train de devenir obligatoire de fait pour des achats, est réclamé par les banques, les services… Appareil qui demande des antennes partout sur les toits, le long des routes, et de plus en plus. Une campagne anti-addiction s’impose en urgence. Capter l’attention par l’écran est au cœur même du business model des industriels, on le sait depuis longtemps. N’en faire qu’une aide pratique sera très difficile. Jusqu’à maintenant, nous n’avons vu aucune campagne d’information sanitaire sur son utilisation, sur le DAS, sur l’origine extractive polluante et souvent sanglante qui pourrait pourtant ouvrir les consciences. Aucune campagne d’éducation et de prévention auprès de nos enfants.

Il faudra réorienter au plus vite le numérique vers le fixe, c’est-à-dire LA FIBRE (créée et développée à Lannion à l’époque ou France Télécom était un véritable service public, que les télécoms étaient encore un bien commun, non concurrentiel et abandonné aux intérêts privés), renverser le déséquilibre fixe/mobilité, aujourd’hui en faveur du mobile. C’est, pour nous, un combat essentiel à mener car il sera long et difficile. La 5G va donc totalement a contrario de cette urgente nécessité et esprit républicain.

 – Concernant la santé étendue à tout le Vivant, qui serait l’objet d’une controverse scientifique et qui est certainement l’angle mort n°1, nous retrouvons exactement le même schème historique que pour l’amiante, le tabac, les pesticides, les néonicotinoïdes, les perturbateurs endocriniens, les particules fines… exactement la même musique de la fabrication « scientifique » du doute (7) – alors que, en retour, les lobbys et leurs organismes de santé sont bien incapables d’en prouver l’innocuité !

Sur la question des ondes, ne serions-nous pas entrés dans l’ère du « négationnisme » sanitaire institué à coups répétés et bien connus de « non prouvé » ? Les industriels, opérateurs et marchands ont décidé de faire fi des principes de prévention et de précaution, acquis après des années de luttes citoyennes, au nom du principe « d’innovation ». Profitant de la sidération magique de foules entières pour le mobile, le déni sur cette question est et restera, sans aucun doute, officiellement ancré au vu des intérêts colossaux en jeu. Alors, toutes et tous seront davantage sujets à l’exposome, et pour longtemps (8).