5G mon amour

Nicola Bérard a écrit un livre

https://lundi.am/5G-mon-amour-Nicolas-Berard

Extraits de son intervention

Depuis plus d’un an et particulièrement ces derniers mois, les sabotages d’antennes-relais se sont multipliées, en France (voir l’article du Parisien paru il y a quelques semaines) et en Europe. À Grenoble, où plusieurs antennes ont été incendiées en mai, le procureur Éric Vaillant privilégie la piste de « l’ultragauche anarcho-libertaire ». D’autres incriminent volontiers des « complotistes » pour qui la 5G serait responsable de la diffusion du dernier Coronavirus. Dans 5G mon amour, Nicolas Bérard apporte un autre éclairage à cette question : que l’on soit électrohypersensible, simplement muni d’un peu de bon sens ou que l’on tende l’oreille à des médecins et des scientifiques qui s’inquiètent depuis quelques années à ce sujet, il y a aurait des raisons parfaitement raisonnables modérées de refuser la 5G.

Dans son livre, 5 G, mon amour, aux éditions du Passager Clandestin, en librairie mardi, Nicolas Bérard appuie son propos sur un terrain de données solide, déjà exploré par d’autres, mais rassemblé par lui dans un langage simple dont le ton familier n’exclue pas la rigueur. Ce terrain, c’est celui de l’activité des lobbies industriels qu’on a vu successivement œuvrer tout au long du 20e siècle : lobby du plomb, de l’amiante, du nucléaire, des pesticides… On sait qu’ils se sont employés, pour le plus grand profit des magnats de ces industries, à corrompre les gouvernements et à empoisonner les esprits aussi bien que la planète grâce au soutien de scientifiques à leur solde. S’agissant de la téléphonie mobile, l’escroquerie des normes, le noyautage des structures de contrôle, la promotion du smart world, et les liens consanguins entre ce secteur économique et les médias constituent l’arsenal qui explique la rapidité avec laquelle il a conquis le monde. Bérard nous en fournit une analyse fouillée avant d’attaquer le cœur de la question : la 5G constitue-t-elle une menace sanitaire majeure, pour les insectes aussi bien que pour nous ? Indiscutablement, la réponse est oui.

L’électrohypersensibilité, mal du xxie siècle ?

Je te propose maintenant d’enfiler tes bottes, d’emprunter les chemins boueux d’une forêt des Hautes-Alpes et de crapahuter sur plusieurs kilomètres. Tu rencontreras peut-être Emma. Électrohypersensible, elle s’est réfugiée dans ce coin reculé encore relativement épargné par les ondes, que son corps ne supporte plus [1]. Des ami·es lui ont fabriqué une petite cahute en bois, qui lui sert de cuisine et de garde-manger. Pour dormir, elle se glisse dans un minuscule abri en terre, recouvert d’une bâche anti-ondes. C’est le seul endroit où elle peut se reposer, protégée des rayonnements électromagnétiques. Elle a trente-trois ans, ne demande qu’à vivre normalement, mais ne peut plus sortir de son refuge.

« Si je passe la barrière [située à 100 mètres de son campement], ça me brûle l’arrière de la tête, j’ai une sensation de décharges électriques, des fourmis, des douleurs neuromusculaires, de la tachycardie, des montées d’angoisse et des convulsions », explique-t-elle. Ses ami·es ont cherché un endroit plus décent, plus humain, comme « une maison semi-enterrée avec des murs épais ». Ils ont fait le tour de cinq départements, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, les Pyrénées et l’Aveyron, mais « il n’y a plus de bâti isolé, faiblement irradié, […], il n’y a plus de zones blanches ». Elle a auparavant vécu deux années dans un bâtiment agricole qu’elle a dû fuir lorsque le niveau d’irradiation a augmenté, à cause de l’installation de nouvelles antennes. Depuis août 2017, c’est dans cette forêt qu’elle a trouvé refuge. Beaucoup de personnes électrohypersensibles souffrent aussi de « chimicosensibilité », qui les rend allergiques à tout produit chimique, comme si leur corps, saturé de pollutions en tout genre, n’en supportait plus aucune. Emma en fait partie. Étés comme hivers, elle reste donc là, dans des conditions extrêmes, vivant seule, exclue du corps social, hormis les moments où ses ami·es viennent lui rendre visite et lui apportent de la nourriture, des vêtements, des bouteilles de gaz pour se chauffer un peu et faire la cuisine. « Le premier hiver, il y avait 2,5 mètres de neige. J’ai failli mourir de froid ». Tu l’auras compris, c’est pas Byzance, et Emma vit moins qu’elle ne survit. Mais elle s’angoisse à l’idée de perdre ce refuge, qu’elle va vraisemblablement être contrainte de fuir malgré tout : le gouvernement, ne tenant aucun compte de ces situations humaines, a demandé aux opérateurs de faire disparaître toutes les zones blanches du pays. Free a donc été désignée pour installer une antenne à proximité de son lieu d’asile. L’intérêt de cet équipement ? Que les skieur·euses qui dévalent les pentes de la petite station du coin puissent passer des coups de fil et regarder des vidéos de petits chats en prenant le télésiège. Les ami·es d’Emma ont bien tenté d’alerter les autorités, notamment la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Le directeur n’a pas fait preuve de mauvaise volonté mais a dû se contenter de leur dire qu’il n’avait reçu aucune instruction en la matière, qu’il ne disposait d’aucun pouvoir pour empêcher l’implantation de l’antenne, et qu’il encourageait l’entourage d’Emma à chercher de nouvelles zones blanches.

Emma souffre-t-elle réellement des ondes, ou est-elle simplement folle ? Cette question fera évidemment souffrir tou·tes les électrohypersensibles qui la liront et qui en ont assez de passer pour des dingues. Mais elle ne peut être évitée, car c’est celle-là que beaucoup se posent en découvrant des personnes vivant ainsi recluses ou protégées par des vêtements anti-ondes. Si cette interrogation s’impose ainsi dans le débat, c’est notamment parce que nous sommes tou·te·s à peu près soumis·es aux mêmes ondes. Alors, pourquoi elles, elles seraient électrohypersensibles, et pas moi, pas toi, pas d’autres ? Rappelons d’abord que, les années passant, les preuves s’accumulent sur l’existence d’effets sanitaires des ondes électromagnétiques. Et les cas de personnes se déclarant électrohypersensibles se multiplient. J’en ai rencontré de nombreuses en animant des conférences sur le compteur Linky, atteintes à différents degrés, et ai ainsi pu constater que leurs profils étaient très variés : des personnes âgées, des jeunes, des électricien·nes, des informaticien·nes, des enseignant·es, des travailleur·euses en tout genre, des retraité·es… Si ces quidams ne te suffisent pas, on peut évoquer le cas de l’auteur Jean-Yves Cendrey1, époux de l’écrivaine Marie NDiaye, qui a été obligé de quitter son appartement berlinois pour s’installer en Gironde dans une zone moins exposée. Ça ne te suffit pas ? Citons alors Gro Harlem Brundtland. On peut sans mal supposer qu’il s’agit d’une personnalité ayant la tête sur les épaules : elle a été Première ministre de Norvège pendant près de dix ans, puis directrice de l’Organisation mondiale de la santé, de 1998 à 2003. Dès 2002, elle a fait part de son hypersensibilité aux ondes au quotidien norvégien Aftenposten [2] ]] « Au début, je ressentais une chaleur locale autour de mon oreille. Mais la douleur s’aggravait et cela devint un malaise intense et des maux de tête chaque fois que j’utilisais un téléphone mobile. […] Après quelque temps, j’ai ressenti que j’avais développé une sensibilité au rayonnement.

Et afin de ne pas passer pour hystérique – du fait qu’on pourrait croire que c’était simplement quelque chose que j’imaginais – j’ai fait plusieurs tests : des gens sont venus dans mon bureau avec leur téléphone portable caché dans leur poche ou dans leur sac. Sans savoir s’il était allumé ou éteint, nous avons testé mes réactions. J’ai toujours réagi lorsque le téléphone était allumé, jamais lorsqu’il était éteint. Il n’y a donc pas de doute. »

En fait, comme pour tout le reste, nous ne sommes pas égaux·ales face à cette pollution. Certaines personnes vont développer des cancers du poumon sans jamais avoir fumé et, inversement, ton grand-oncle a peut-être fumé des Gitanes Maïs toute sa vie avant de mourir à quatre-vingt-dix ans d’un mauvais rhume. De la même manière, il semble que certaines personnes développent une intolérance aux ondes et d’autres pas. Gardons néanmoins cette analogie avec le tabac. La téléphonie mobile s’est réellement développée depuis une vingtaine d’années. Nous n’avons donc, en réalité, que très peu de recul sur les effets de cette technologie : fumer durant vingt ans augmente certes considérablement le risque de contracter un cancer, mais beaucoup moins que le fait de fumer durant quarante ans. Avec l’avènement de la téléphonie mobile, c’est un peu comme si nous étions tou·te·s devenu·es fumeur·euses depuis l’an 2000. Et, même si notre corps a plutôt bien encaissé ces vingt premières années, supportera-t-il aussi bien les vingt prochaines ? De plus, en sachant que l’exposition moyenne augmente au fur et à mesure que les réseaux s’intensifient, c’est un peu comme si tu fumais de plus en plus de clopes par jour. Quant aux enfants, on leur fume sous le nez dès la naissance et même avant qu’ils et elles ne soient venu·es au monde, puisque les femmes enceintes sont également irradiées, et leur fœtus avec. Dans quel état de santé seront-ils après trente années passées dans cette atmosphère de plus en plus saturée ? Je laisse ces interrogations sans réponse, et j’espère vraiment que nous n’assisterons pas à une catastrophe sanitaire. Mais pour certains individus, malheureusement de plus en plus nombreux, la catastrophe est déjà là.

Dans les cas extrêmes, comme celui d’Emma, les malades débutent une vie d’errance, se réfugient dans des abris isolés, des grottes parfois, sont contraint·es de fuir leurs refuges au gré des nouvelles implantations d’antennes, telles des bêtes traquées, des parias de la société rendus invisibles par la nécessité de vivre « loin du monde ». Dans les cas moins graves, ils·elles parviennent à vivre encore à peu près normalement, entre douleurs, migraines, insomnies, dépressions. Après avoir longtemps nié l’existence réelle de cette pathologie, l’Anses, en se basant sur des estimations qu’elle a jugées fiables ayant été réalisées dans plusieurs pays, a estimé en mars 2018 à 5 % de la population la prévalence à l’électrohypersensibilité [3].

Rien qu’en France, cela représenterait 3,3 millions de personnes. 385 millions à l’échelle de la planète.

C’est dans ce contexte que quelques illuminés milliardaires souhaitent mettre en orbite près de 50 000 satellites autour de la Terre pour arroser le moindre centimètre carré d’ondes millimétriques. Et, dans l’immédiat, c’est aussi dans ce contexte que le gouvernement français désire supprimer toutes les zones blanches, qu’il espère mettre en place au plus vite un nouveau réseau 5G, qui se juxtaposera aux réseaux existants, et qu’il a supprimé la seule taxe destinée à financer la recherche indépendante sur le sujet.

Un combat médical inégal

De la recherche, les professionnel·les de santé en réclament, pourtant. Les praticien·nes reçoivent en effet de plus en plus de personnes leur expliquant souffrir d’électrohypersensibilité. Ce constat est fait par les associations, mais pas seulement. À l’issue du « Grenelle des ondes » de 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait mis en place vingt-quatre « centres investigateurs » vers lesquels envoyer les patient·es disant souffrir des ondes. Les médecins qui y travaillent ne sont néanmoins guère mieux armé·es que les autres pour répondre à leurs souffrances. Dans un courrier daté de 2015 que nous nous sommes procuré, la responsable de l’un de ces centres explique ainsi à son confrère qui venait de lui envoyer une personne électrohypersensible : « Nous voyons de plus en plus de personnes atteintes d’IEI [4], qu’il s’agisse d’IEI-CEM [5] ou d’IEI-MCS [6] (appelée en français syndrome d’intolérance aux odeurs chimiques) […]. Nous sommes tous désarmés devant ces patients, mais je suis particulièrement frappée par la grande détresse de beaucoup d’entre eux, les intolérants aux champs électromagnétiques étant encore plus handicapés que les intolérants aux odeurs, du fait de la quasi-impossibilité d’une éviction de la nuisance alléguée. »

La patiente faisant l’objet de ce courrier a été reconnue travailleuse handicapée par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), avec un taux compris entre 50 et 75 %. Cela ne lui a pas suffi pour obtenir une carte d’invalidité, dont l’octroi est accordé à partir de 80 %. Heureusement, son employeur a bien voulu aménager son poste : elle fait désormais du télétravail grâce à une connexion filaire, quatre jours sur cinq, ce qui « risque d’accentuer [son] isolement », note la praticienne. Signalons-le tout de même : cet employeur, c’est l’opérateur Orange.

La docteure indique aussi, dans ce même courrier, que la patiente « a le profil que l’on retrouve souvent dans ce type de pathologie avec des sympathies pour l’écologie, un régime végétarien depuis de nombreuses années ».

Dans un courrier adressé à un autre confrère, au sujet d’une autre patiente qui a trouvé refuge à la Réunion, elle mentionne encore « une sympathie ancienne pour le bio ». Manger de la viande et des pesticides serait-il le bon remède pour se prémunir de l’électrohypersensibilité ? On peut plutôt émettre l’hypothèse qu’il s’agit là de personnes mieux informées que d’autres sur les pollutions environnementales et leurs effets potentiels, et qui ont donc pu faire le lien entre les ondes et leurs symptômes. Combien souffrent sans comprendre ? Et combien de praticien·nes connaissent réellement la problématique pour pouvoir la suggérer à leurs patient·es comme cause de leurs maux ? La question se pose, car le lobby du sans-fil n’a pas oublié de s’occuper des praticien·nes. C’était l’une des découvertes de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) lorsqu’elle avait épluché le travail si contesté de l’Afsse de 2003 [7]. Elle était notamment tombée sur une édition d’Impact Médecine, une publication à destination des médecins du pays. Ce numéro [8] comportait un dossier complet intitulé « Les ondes électromagnétiques et la santé », ayant été réalisé « en collaboration avec Orange ». Les deux principaux rédacteurs ? Bernard Veyret et René de Sèze, les deux experts qui tirent leurs revenus de l’industrie et dont nous avons déjà abondamment parlé. Tu l’auras deviné, le médecin consciencieux qui aura pris le temps de lire le dossier en est ressorti avec la conviction que les ondes ne présentent pas de risques.

De même, en 2009, La Revue du praticien – médecine générale a réalisé un supplément « avec le soutien de RTE », ayant pour titre : « Lignes à haute tension, quel impact sur la santé ? ». Avec un tel partenaire, on connaît déjà la réponse. Quant à l’expert interviewé pour répondre à la question, il s’agit d’André Aurengo. Nous en avons déjà parlé [9], mais rappelons un peu son pedigree : professeur au service de médecine nucléaire à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le même temps administrateur d’EDF, membre du conseil scientifique de Bouygues Telecom ainsi que de celui de l’Association française des opérateurs mobiles (Afom), président de 2005 à 2007 de la Société française de radioprotection (SFRP). Et c’est lui, enfin, qui avait été choisi par Roselyne Bachelot pour mener l’étude sur l’électrohypersensibilité après le Grenelle des ondes, étude dont on attend toujours les premiers résultats, dix ans plus tard. Inutile de préciser que, là encore, il ressort de l’interview qu’il a accordée à la revue médicale que les ondes à très basses fréquences des lignes à haute et très haute tension ne sont pas dangereuses.

Quant aux médecins qui ne se laissent pas enfumer et se retrouvent face à des patient·es électrohypersensibles, que peuvent-ils bien faire ? Je me souviens d’une médecin généraliste qui, à l’occasion d’une conférence sur le compteur Linky, m’avait posé la question, à moi, qui n’ai comme formation en médecine que le visionnage de quelques épisodes d’Il était une fois la vie.

Que pouvais-je bien lui répondre, alors que même les médecins en charge des « centres investigateurs » se disent « désarmé·es » ?

Certains médecins, mieux informé·es que d’autres et/ou plus à l’écoute de leurs patient·es, rédigent tout de même des ordonnances pour attester de l’électro-hypersensibilité de ces dernier·es. Nous en avons une sous la main : « Je soussigné Docteur [X], certifie que Mme [Y] souffre d’une importante hypersensibilité aux champs électromagnétiques doublée, comme c’est souvent le cas, d’une hypersensibilité chimique multiple. Dans l’attente des explorations en cours et des résultats des éventuelles prises en charge thérapeutiques qui pourront en découler, Mme [Y] est dans l’incapacité de supporter la proximité d’émissions électromagnétiques, tant dans les radiofréquences que dans les champs 50 Hz, et est très incommodée par de nombreuses odeurs fréquentes dans l’environnement urbain. Elle ne peut donc effectuer elle-même les déplacements les plus couramment nécessaires à la vie courante. » Ce certificat date d’avril 2012. Huit ans plus tard, les « explorations en cours » n’ont toujours rien donné, et il n’existe toujours officiellement aucune prise en charge thérapeutique pour ces malades. Les médecins sont abandonné·es en plein désert par les autorités sanitaires.

Le plus dérangeant, pour les praticien·nes (et leurs patient·es), est sans doute qu’aucune méthode de diagnostic n’a été validée par ces mêmes instances. Le diagnostic est donc « porté par les patients eux-mêmes, puisqu’il s’agit d’une affection médicalement inexpliquée se manifestant par des symptômes subjectifs », écrit notre médecin du centre investigateur. Un docteur, pourtant, propose bien une méthode : le professeur Dominique Belpomme. Ce simple nom donne des boutons aux lobbyistes de l’industrie et, s’ils·elles vous en parlent, ils·elles évoqueront immanquablement un « personnage controversé », conformément à une vieille technique visant à décrédibiliser les adversaires.