Compteurs Linky : ces centaines de millions d’euros de profits qui dérangent
Dans un nouveau rapport consacré au compteur communicant vert-jaune fluo, la Cour des comptes estime qu’Enedis a bénéficié d’une rémunération au-delà du raisonnable, générant d’ores et déjà un surcoût de plus de 700 millions d’euros pour les consommateurs. Un montant auquel s’ajouteront, au minimum, 785 autres millions d’euros dans les années à venir..
La Cour des comptes persiste et signe. Après avoir rendu un premier rapport en 2018 critiquant les conditions de financement dans lesquelles avaient été déployés les compteurs communicants Linky, la juridiction financière publie, ce vendredi, un nouveau rapport dit de « suivi » où elle constate que, six ans plus tard, rien n’a changé. Et ce, au détriment des consommateurs.
Dans le détail, les magistrats financiers estiment que le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité Enedis, qui a porté le projet, a bénéficié d’une rémunération très avantageuse, et regrettent que celle-ci ait été maintenue au cours des dernières années en dépit des demandes d’ajustement adressées à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ce qui, sur la période allant de 2016 à 2023, aurait généré un surcoût pour les consommateurs de plus de 700 millions d’euros. Tandis que les utilisateurs subiront sur la période 2022-2029, un surcoût de 785 millions d’euros. Soit un total proche de 1,5 milliard d’euros.
Un taux de rémunération bien plus élevé que la normale
Pour le comprendre, il faut revenir sur le modèle de rémunération d’Enedis. En France, la distribution de l’électricité est payée par le consommateur via le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (Turpe), une des trois composantes de la facture d’électricité, aux côtés des taxes et du prix de fourniture du kilowattheure. Ce Turpe n’est pas fixé par le marché, en raison de la situation de monopole dans laquelle se trouve Enedis, mais par la CRE. A la suite d’échanges contradictoires avec le gestionnaire du réseau de distribution, le régulateur de l’énergie fixe le niveau de dépenses autorisées, lesquelles se reflètent dans le Turpe.
Mais au-delà de la dimension budgétaire, la CRE fixe également le taux de rémunération du capital engagé par Enedis dans le cadre de ses investissements. Rémunération qui se répercute, elle aussi, dans le Turpe. Et c’est précisément sur ce point que les magistrats tiquent. Alors qu’un seul taux de rémunération unique doit être appliqué à tous les actifs d’Enedis, le compteur Linky a bénéficié d’un taux de rémunération différent et, surtout, bien plus rémunérateur que les autres actifs. Celui-ci s’élève à 7,25% contre 4% pour le reste de la base. Une différence de plus de trois points qu’Enedis justifie, encore aujourd’hui, par le caractère risqué du programme, compte tenu de l’ampleur du dispositif (à date quelque 34 millions de compteurs ont d’ores et déjà été déployés).
« Dans la maison, nous estimons que ce risque économique est faible. La doctrine consiste donc à pousser la rémunération d’Enedis vers les taux de rémunération sans risque », rétorquent les magistrats. Selon leurs calculs, ce taux très avantageux dont a bénéficié le gestionnaire aurait représenté un surcoût pour les consommateurs de 311 millions d’euros sur la période allant de 2016 à 2023.
« Une entreprise de service public n’est pas là pour se faire de l’argent »
Et la facture devrait encore s’alourdir au fil des années puisque ces conditions de financement ont été validées sur la totalité de la durée de vie théorique des compteurs communicants, soit jusqu’en 2041. Ce qui déroge là aussi au droit commun, car les composantes du Turpe sont habituellement définies pour une durée de cinq ans, puis réajustées périodiquement.
Ce n’est pas tout. En plus de cette rémunération avantageuse reposant sur la base d’actifs régulés, Enedis a également bénéficié d’une rémunération dite incitative. Autrement dit, le gestionnaire, 100% filiale d’EDF, a perçu des bonus au fur et à mesure qu’il atteignait différents objectifs, comme le respect du budget initial et du calendrier de déploiement. « Ce que nous avons constaté dès 2018, c’est que cette régulation incitative était assez avantageuse tandis que les objectifs étaient faciles à atteindre », pointent les magistrats.
A l’époque, la Cour des comptes avait demandé au régulateur de faire évoluer ce mécanisme de rémunération, en vain. Résultat,
« Enedis a perçu à ce titre plus de 400 millions d’euros de complément de rémunération » sur la période 2016-2022, indique le rapport. « Une entreprise de service public peut avoir une rémunération raisonnable, mais elle n’est pas là pour faire de l’argent », s’agace-t-on au palais Cambon.
« Enedis a joué le rôle de banquier »
Pour finir, la juridiction financière reproche à la CRE de ne pas avoir fait évoluer le mécanisme dit de « différé tarifaire », mis en place afin de faire coïncider les coûts liés au déploiement des compteurs jaunes fluos, avec les gains dégagés grâce à la généralisation de ces derniers. « Il s’agissait d’une mesure politique qui partait du principe que le programme Linky allait coûter de l’argent, mais qu’il ne produirait des effets positifs qu’ultérieurement. Il n’était donc pas question que les consommateurs paient un surplus lié à Linky tant que les gains générés n’étaient pas observables », retrace-t-on. Un moyen d’améliorer l’acceptabilité du dispositif à une époque où les boîtiers connectés suscitaient de vives oppositions relatives à la protection des données personnelles.
Reste que cette promesse de protéger le pouvoir d’achat des utilisateurs n’était que de courte durée car ce différé revêt un coût qui, in fine, pèsera pendant plusieurs années sur la facture des utilisateurs. En effet, ce mécanisme a conduit Enedis à financer les investissements sans percevoir immédiatement les recettes correspondantes. « C’est comme si Enedis avait joué un rôle de banquier en avançant le capital », schématisent les magistrats. Et ce, en moyennant, là encore, une rémunération, considérée comme élevée, avec un taux de 4,60%. Le coût total de l’opération est ainsi estimé à 785 millions d’euros. Une somme qui sera répercutée sur le Turpe de 2022 à 2029.
« On ne critique pas le choix de la mise en place d’un mécanisme différé, mais le niveau du taux de rémunération associé », précisent les magistrats. Selon la Cour des comptes, Enedis aurait pu emprunter à un taux bien plus bas auprès d’un organisme financier compte tenu de son profil monopolistique et donc peu risqué.
Mise en garde sur les futurs programmes d’investissements
Pourquoi le régulateur de l’énergie n’a pas suivi les recommandations de la juridiction financière ? « Remettre en cause le remboursement des sommes dues à Enedis aurait entraîné un déséquilibre économique pour Enedis qui s’est vu reporter dans le temps la couverture des coûts associés au déploiement de Linky », justifie aujourd’hui la CRE dans une réponse adressée à la Cour des comptes. Plus globalement, l’argument du régulateur repose sur l’insécurité juridique vis-à-vis des investisseurs qu’aurait généré quelconque modification des conditions de financement a posteriori.
De son côté, sans l’écrire noir sur blanc dans sa réponse officielle, Enedis nie le fait d’avoir réalisé des bénéfices dans le cadre de ce programme industriel. Dans les documents adressés à la Cour des comptes, le gestionnaire présente, curieusement, une opération neutre avec un montant des gains estimé à zéro euro.
Si aucune des recommandations formulées par la Cour des comptes en 2018 n’a été suivie, les magistrats espèrent que le traitement dérogatoire dont a pu bénéficier Enedis ne constituera pas un précédent. Et ce, alors que le gestionnaire du réseau de distribution et celui du réseau de transport s’apprêtent à investir quelque 200 milliards d’euros dans leurs réseaux d’ici à 2040. Une chose est sûre, les conditions de financement de ces deux programmes inédits seront scrutées à la loupe.
https://www.latribune.fr/climat/energie-enviro
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Collectif Stop Linky, Gazpar et 5 G Artigues près Bordeaux