L’âge de faire

Il est notamment question d’Elon Musk et de la surveillance généralisée

Tirés du mensuel « l’âge de faire », les deux articles qui suivent sont extraits du n° 161 -en avril 2021.

** **

Vas-y Elon, pars devant !

Il y a une quarantaine d’années déjà, Coluche raillait l’absurdité du système consumériste en prenant l’exemple d’une publicité pour de la lessive. Celle-ci était capable de faire disparaître les taches sur vos vêtements, même si vous les enfermiez dans un nœud. « C’est plus long, il faut faire les nœuds ! » Quatre décennies plus tard, que peuvent bien proposer ces mêmes fabricants de lessive ? Ne boudons pas notre plaisir, et allons voir comment ils se débattent dans le piège qu’ils se sont eux-mêmes tendu.

J’ai cherché « les dernières publicités pour de la lessive » sur un moteur de recherche, et je suis tombé sur le spot d’une marque célèbre – du genre de celles qui lavaient déjà « plus blanc que blanc » dans les années 80. En 2021, elle vante encore les mérites d’un nouveau produit, « ultra-détachant » : celui-ci « élimine les tâches, même invisibles ». Pour voir les fameuses « tâches invisibles », il faut passer les vêtements sous des lampes à UV. Au final, si t’es un peu décroissant, il te suffit de ne pas acheter de lampe à UV, et tu peux continuer à laver tes pulls avec ta bonne vieille lessive à la cendre 1.

C’est une petite revanche que nous pouvons prendre sur le système et une bonne façon de nous en prémunir – en même temps qu’un moyen de se procurer de bonnes séances de rigolades : rester suffisamment alerte pour mettre à jour toutes ces absurdités. Et il n’en manque pas : il suffit de regarder ce qu’on cherche à nous vendre pour en trouver. Sur la 5G, par exemple. C’est un réseau ultra performant, avec un temps de latence quasi-nul, à tel point qu’on pourra faire de la téléchirurgie et que pour tout résoudre, il te suffira de cliquer ici 2. Question : ils vont nous sortir quels arguments de vente pour la 6G ? Un temps de latence encore plus nul que zéro ?! Quant à la téléchirurgie, c’est comme l’histoire des nœuds : l’opération restera la même, mais ce sera un peu plus dur, puisque le chirurgien ne sera pas dans la même pièce que son patient.

Il y en a un qui y croit, à tout ça, c’est Elon Musk, patron de Tesla (qui fabrique des SUV électriques) et SpaceX (qui envoie des fusées dans l’espace). Il est l’homme le plus riche du monde 3 et se prend pour le sauveur de l’humanité. Et le gros problème, c’est qu’il a un compte en banque à la hauteur de son ambition. Homme bien informé, Elon sait qu’il y a trop de CO 2 dans l’atmosphère et a décidé de réagir. Il a lancé un grand concours, avec 100 millions de dollars à la clé pour celui ou celle qui inventera une machine capable de capturer le CO 2. Comme, en ce moment, L’âge de faire a besoin d’argent, nous avons décidé de tenter notre chance.

On a brainstormé à fond les ballons, et on a trouvé : quelque chose qui ressemblerait à un grand mât, qui fonctionnerait 24 heures sur 24, 365 jours par an, et uniquement à l’énergie solaire. On pourrait même imaginer que ce soit joli, que ça offre des refuges aux oiseaux et de la nourriture aux animaux. Bon, quitte à rêver, allons-y franchement : en plus de capter du CO2 ça relâcherait de l’oxygène ! Et puis, tiens, on pourrait appeler ça « un arbre ».

Normalement, ça devrait fonctionner. Mais au cas où, notre sauveur (qui a toujours un coup d’avance) envisage d’emmener vivre une partie de l’humanité sur Mars. Bonne idée !

Vas-y Elon, pars devant, on te rejoint là-bas !

 

Notes

1- Pour fabriquer votre lessive à la cendre, voir notre fiche pratique parue dans L’âdf n° 148.

2- Selon le titre du livre de Evgeny Morozov (éd. Fyp) : Pour tout résoudre, cliquez ici ; l’aberration du solutionnisme technologique :

https://www.fypeditions.com/resoudre-laberra

3- À moins qu’il ne soit deuxième, ça dépend, il se tire la bourre avec Jeff Bezos d’Amazon.

** **

« La technologie permet la surveillance généralisée »

 La loi Sécurité globale, qui vient d’être adoptée par le Sénat, pourrait permettre à l’État de faire un grand bond en avant vers une surveillance de masse généralisée, avec notamment l’utilisation de la reconnaissance faciale. Bastien Le Querrec, juriste bénévole au sein de l’association La Quadrature du net, nous aide à y voir clair.

L’âge de faire : De nombreuses manifestations ont été organisées contre la loi Sécurité globale, qui suscite un rejet important. Mais le gouvernement reste inflexible. Pourquoi ?

Bastien Le Querrec : L’objectif global de cette loi, c’est de donner plus de pouvoir à la police. Le gouvernement cherche notamment à rendre légales certaines pratiques policières qui ne le sont pas aujourd’hui. Je pense par exemple à l’accès pour la police aux images de certaines caméras de vidéosurveillance installées dans des lieux privés, ou encore à l’utilisation de drones pour faire de la surveillance de manifestations. À la Quadrature du net, nous avons montré que cette pratique était illégale. Donc, le gouvernement était obligé de changer la législation pour pouvoir le faire.

Gérald Darmanin en a la possibilité, avec un Sénat à droite et une Assemblée qui est une chambre d’enregistrement. De plus, l’élection présidentielle approche et la stratégie de Macron consiste à chasser sur les terres de l’extrême droite et à faire de la sécurité l’un des thèmes de la campagne.

Parallèlement à ce contexte politique, on a tout le développement des nouvelles technologies. Parce que finalement, tout ce que cherche à autoriser la loi est rendu possible par la technologie. Elle permet de mettre en place une surveillance généralisée, et à moindre coût. Concrètement, c’est la différence entre un hélicoptère de surveillance et un drone : un drone coûte évidemment beaucoup moins cher ! À budget constant, on peut donc avoir beaucoup plus de surveillance, à condition que ce soit autorisé par la loi.

Cette surveillance généralisée autoriserait-elle aussi la reconnaissance faciale ?

On peut estimer que la reconnaissance faciale, en France, remonte au début des années 2010, avec la création du fichier de Traitement des antécédents judiciaires (Taj). le Taj est un fichier de police qui contient l’identité des personnes qui apparaissent dans une procédure, que ce soit les victimes ou les accusés. Il contient énormément d’informations personnelles, dont des photos, plusieurs dizaines de millions, et autorise explicitement qu’elles soient utilisées pour de la reconnaissance faciale. Donc la pratique existe déjà, mais elle pourrait prendre une toute autre ampleur.

Déjà, parce que le projet de loi permet de filmer beaucoup plus et avec des finalités beaucoup plus larges. Les drones, par exemple : ils ne seraient pas uniquement utilisés pour la surveillance de manifestations. La moindre opération de police pourrait permettre d’en déployer 1. Or ils sont équipés de caméras qui ont des possibilités technologiques beaucoup plus importantes que les caméras fixes qui ont été installées au début des années 2000.

De même, la technologie n’est plus la même pour utiliser ces images. En France, le premier logiciel utilisé s’appelait Gaspard. Il était globalement assez peu efficace : il fallait que les photos soient prises dans des conditions assez précises (de face, etc.), se basait sur certaines caractéristiques physiques précises (écartement des yeux, forme des oreilles, etc.) et l’appareil faisait remonter plusieurs centaines de profils, qu’il fallait ensuite trier. Du coup, le travail humain restait très important. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet de faire de la reconnaissance faciale de masse, en direct, avec des taux de certitude très élevés.

Comment résister ?

Politiquement, il faut continuer à maintenir la pression. Plusieurs manifestations ont été organisées par la coordination « Stop loi Sécurité globale » qui rassemble plusieurs dizaines d’organisations comme la nôtre. D’autres le seront. Nous allons aussi prévoir d’autres formes de mobilisation, par exemple des séances d’appel téléphoniques aux députés et à leurs collaborateurs. Par ailleurs, vous pouvez soutenir nos associations, qui vont faire des recours juridiques, devant le Conseil constitutionnel, puis si besoin devant les juridictions internationales.

Propos recueillis par Nicolas Bérard

 

Note

1-Lire L’âdf n° 157.

** **

Pour vous abonner à la revue mensuelle de « l’âge de faire », allez sur le site :

https://lagedefaire-lejournal.fr/