La Belgique entre dans la danse

Pourquoi Paul Lannoye refuse le compteur « intelligent »

Eurodéputé belge de 1989 à 2004, ex-président du groupe des Verts au Parlement européen, Paul Lannoye explique, dans une tribune, pourquoi il refuse qu’on lui installe un compteur « intelligent ». Ou quand nos amis belges entrent dans la danse de la bataille contre ces capteurs communicants…

Le 11 janvier, le ministre de l’énergie belge, Jean-Luc Crucke, chargé de l’énergie, a annoncé le dépôt d’un projet de décret qui va encadrer le déploiement des compteurs « intelligents » en Wallonie. Présenté comme un outil essentiel à la transition énergétique, le compteur « intelligent » devrait être accueilli avec enthousiasme par tous.

Pourtant, j’ai la ferme intention de le refuser, au risque de contrarier le ministre, son administration, les experts qui le conseillent et le gestionnaire du réseau (ORES, en l’occurrence).

Je serai sans doute classé comme ringard, voire comme technophobe ou tout simplement comme emmerdeur, mais je m’en moque. Je n’aime pas qu’on impose, au nom du progrès, une « solution » qui ne me plaît pas et dont j’ai toutes les raisons de me méfier. A fortiori si on ajoute que les bons vieux compteurs « stupides » vont cesser d’être fabriqués, ce qui ne nous laisserait donc pas le choix. En outre, j’ai toutes les raisons de mettre en doute le tableau idyllique qui nous est présenté, décrivant les nombreux avantages de cet outil anodin et si commode chargé de mesurer notre consommation d’électricité.

Un confort très relatif

Grâce au nouveau compteur, nous allons pouvoir paraît-il consommer moins d’électricité. La possibilité nous sera offerte en effet de suivre en continu notre consommation sur l’écran de notre ordinateur ou de notre smartphone. Ainsi, nous pourrons nous organiser pour que nos appareils domestiques consomment au meilleur moment.

En fait, quand notre frigo, notre machine à laver et notre aspirateur seront devenus eux aussi « intelligents », c’est-à-dire connectés, le gestionnaire du réseau pourra lui-même piloter notre comportement.

Autre atout du compteur intelligent : c’est lui-même qui enverra au gestionnaire du réseau nos données de consommation par ondes électromagnétiques. Fini de devoir accueillir l’employé chargé de relever les données affichées par le compteur stupide qui est encore le nôtre aujourd’hui. Fini aussi cette insupportable corvée qui consiste à relever nous-mêmes, une fois par an, ces données au cas où le rendez-vous avec ledit employé aurait été manqué.

Bref, c’est le confort qui nous est offert ! Offert ? Pas vraiment. Ce confort a un coût, que ni le ministre, ni les experts, ni le gestionnaire du réseau n’évoquent. Ce coût, bien entendu, c’est nous, usagers, qui devront le supporter.

Plusieurs incendies en France

Un coût économique d’abord (je signale au passage qu’il a été jugé par le gouvernement allemand trop élevé pour justifier le recours généralisé aux compteurs « intelligents »). Le remplacement de nos compteurs stupides par des « intelligents » entraîne des surcoûts cachés :

– la durée de vie des nouveaux compteurs est estimée à quinze ans contre quarante ans pour les anciens ;

– le risque de pannes et de dysfonctionnements est clairement plus élevé pour un système électronique que pour un système électromécanique ;

– la surconsommation d’électricité due au fonctionnement du compteur lui-même et du système de communication qui lui est lié n’est pas du tout négligeable.

Le coût en termes de sécurité et de protection de la vie privée est, quant à lui, insupportable. Les installations électriques sont déjà parasitées par les charges non linéaires dues à certains équipements nouveaux… La transmission de données va s’ajouter à cette pollution de l’alimentation électrique et engendrer un vieillissement prématuré de certains appareils et la possibilité d’apparition de points chauds avec risque d’incendies à la clé (plusieurs incendies ont eu lieu en France à la suite de l’installation d’un compteur intelligent).

Beaucoup plus préoccupant est le potentiel intrusif du compteur intelligent. C’est l’outil idéal pour s’immiscer dans la vie privée puisqu’il permet de suivre en permanence nos allées et venues et même de connaître notre mode de vie intime. Qu’est-ce qui empêchera à terme le gestionnaire du réseau de vendre les données personnelles à ceux qui souhaitent en disposer pour compléter le traçage de nos concitoyens ? Sans oublier le risque évident de piratage. On sait que les compteurs ne sont protégés que par des codes assez rudimentaires qu’il est facile de casser pour prendre leur contrôle.

Économie d’énergie : qu’en est-il ?

Et le coût pour notre santé ? Les ondes radioélectriques, surtout lorsqu’elles sont pulsées, sont problématiques pour la santé des personnes exposées à des niveaux désignés par la loi comme inoffensifs mais classés comme probablement cancérigènes par l’Organisation mondiale de la santé et mutagènes, neurotoxiques et toxiques pour la reproduction par tous les scientifiques spécialistes en bioélectromagnétisme.

On objectera que le type de compteur envisagé en Wallonie utilise pour la transmission des données le circuit électrique (technique de courants porteurs en ligne – CPL2) en superposant au courant en 50 Hz un signal de haute fréquence (dans la gamme allant de 50 à 150 kHz).

Cette technique contribue donc à polluer le réseau intérieur de l’habitation en transformant tous les câbles en antennes émettrices. Aucune étude ne permet d’affirmer à ce jour que cela n’a pas d’effet sur la santé. De nombreuses personnes électrohypersensibles soumises à ce type d’environnement font état de la dégradation de leur santé.

Selon le ministre, les experts de la Commission wallonne pour l’énergie (le régulateur wallon de l’électricité) et les directives européennes, les compteurs « intelligents » vont encourager l’efficacité énergétique. À ce jour, aucune étude sérieuse n’a pu démontrer la véracité de cette affirmation.

Si on accompagne la pose généralisée de compteurs intelligents d’une conscientisation et d’une formation des citoyens, il faudrait s’attendre à une légère réduction de consommation (de 5 % à 15 %) selon certains analystes. Mais quelle est la contribution réelle du compteur à ce résultat ? La motivation du citoyen n’est-elle pas l’élément déterminant ? Le résultat ne serait-il pas meilleur si on adoptait une tarification progressive, intelligente de l’électricité ?

À la merci du distributeur

Je ne vois, à ce stade, que deux grands gagnants dans l’opération « compteurs intelligents ». Les fabricants de compteurs d’abord. Ils bénéficient d’un marché captif d’envergure européenne : l’installation de 200 millions de compteurs en Europe dans les quinze ans représente en effet 40 milliards d’euros. Les gestionnaires du réseau ensuite. La suppression d’emplois pour le relevé des compteurs leur permet de réduire les coûts puisque la pose des nouveaux compteurs sera à la charge des usagers.

En outre, les gestionnaires de réseau seront en mesure de commander à distance des fonctions aussi intéressantes pour eux que l’ouverture, la fermeture ou la réduction de puissance des compteurs. Ainsi, le citoyen consommateur d’électricité sera-t-il à la merci du distributeur. Sale temps pour les personnes en situation précaire et les distraits. Ce n’est pas un hasard si la première étape du déploiement des compteurs « intelligents » vise la clientèle des dépositaires d’un compteur à budget.

Je ne suis ni électrohypersensible, ni en situation précaire, ni opposé au progrès, si par progrès on entend l’amélioration des conditions de vie de tous dans le respect du monde vivant. Mais je suis très soucieux de l’avenir et de la santé de nos enfants et petits-enfants. Le compteur communicant – arrêtons de le dire intelligent – est un outil de contrôle des personnes, dangereux, intrusif et nocif. Son utilité est plus que contestable. J’ai la responsabilité et le droit de le refuser et de conseiller à tous de faire de même.

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