Hercule reculé ou abandonné ?

Le gouvernement repousse discrètement la réforme d’EDF

Tiraillé entre les syndicats et la Commission européenne, Bruno Le Maire défend désormais un nouveau projet appelé « grand EDF », qui ne pourra être mis en place rapidement.

Dans la série « Il faut sauver le soldat EDF », la saison « Hercule » s’achève sans tambour ni trompette. Ce grand projet de réforme, porté depuis près de deux ans par la direction du groupe, est désormais en passe d’être discrètement enterré par le gouvernement, qui fait face à un calendrier intenable et à une forte pression syndicale.

Un nouvel échange, lundi 10 mai, entre le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et la vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a illustré les divergences d’approche entre la France et Bruxelles. Non seulement les négociations sont loin d’être terminées, mais Paris a durci sa position pour préserver les intérêts d’EDF, explique-t-on désormais au sein du gouvernement.

A l’origine, la direction du groupe et l’exécutif ont construit un projet appelé « Hercule » qui consiste à organiser le groupe en trois entités. Un « EDF Bleu », 100 % public, regrouperait les activités nucléaires, tandis qu’un « EDF Vert », dont le capital serait ouvert au privé, rassemblerait la vente d’électricité, les énergies renouvelables et le distributeur Enedis (ex-ERDF). Une troisième structure, « EDF Azur », avec un statut public particulier, comprendrait les barrages hydroélectriques – qui sont l’objet d’un contentieux de plus de dix ans avec la Commission européenne. Les syndicats et l’opposition sont mobilisés depuis plusieurs mois contre ce qu’ils qualifient de « démantèlement » du groupe public et affirment que ce projet ouvre la porte à une « privatisation » d’une partie des activités de l’électricien.

Projet aux contours flous

La raison de ce grand chambardement ? La situation économique difficile d’EDF, une entreprise lestée d’une dette de 42 milliards d’euros et qui doit faire des investissements considérables pour prolonger ses réacteurs nucléaires et investir dans les énergies renouvelables. Surtout, EDF estime être lésé par le dispositif, qui l’oblige à vendre une partie de sa production d’électricité nucléaire à ses concurrents à un prix fixe.

C’est la volonté de mettre fin à ce mécanisme complexe d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) qui a poussé la France à ouvrir une négociation avec Bruxelles : en échange d’un dispositif plus rémunérateur pour EDF, le groupe serait réorganisé d’une manière plus conforme à la vision européenne de la concurrence. Mais ces négociations patinent depuis plusieurs mois, même si le gouvernement s’est montré, à plusieurs reprises, optimiste sur le sujet.

Cet épisode est désormais terminé. Après avoir multiplié les rencontres avec les syndicats du groupe et échangé avec la Commission, fin avril et début mai, Bruno Le Maire a repris le sujet en main et changé de stratégie. Il a remisé le plan « Hercule » et mis en place un nouveau projet, aux contours flous, appelé « grand EDF ».

Une démarche qui se veut beaucoup plus en phase avec ce que souhaitent les syndicats. Un groupe intégré dans lequel les flux financiers entre les entités seraient possibles, tout comme la mobilité des salariés. Enfin, ce « grand EDF » aurait une gouvernance commune. Le plan pourra peut-être satisfaire ceux qui s’inquiétaient d’un démantèlement du groupe, mais va durcir fortement les négociations avec la Commission européenne.

Main tendue aux syndicats

A Bercy, on vante un projet « plus équilibré », mais on reconnaît que ce changement de cap ne facilite pas la tâche des négociateurs. Bruxelles voit historiquement d’un mauvais œil le poids d’EDF en France et réclame de longue date une libéralisation plus grande du secteur de l’électricité.

Surtout, pour la Commission européenne, le gouvernement doit garantir des séparations claires entre les différentes activités, notamment la production d’électricité et la commercialisation. Le nom même de « grand EDF » sonne comme une provocation pour Bruxelles. Résultat : il semble aujourd’hui quasi impossible d’arriver à un accord à brève échéance.

Désormais, le ministre de l’économie se dit prêt à tendre la main aux syndicats et à rediscuter de certaines parties du plan, celles qui concentrent les critiques – notamment la place du réseau de distribution Enedis. En coulisse, on estime à Bercy que l’absence de discussion avec les représentants syndicaux pendant dix-huit mois de la part de la direction d’EDF n’a pas aidé à faire avancer le projet. La mobilisation de Bruno Le Maire est, en creux, un désaveu pour Jean-Bernard Lévy, qui a porté cette réforme contre une partie de son corps social.

Au gouvernement, on reconnaît désormais que certaines critiques des syndicats contre la direction d’EDF sont « légitimes ». Le PDG d’EDF répondait pourtant à une demande du président de la République, qui lui a explicitement demandé de travailler à ce sujet lors de sa reconduction à la tête de l’entreprise, en 2018. Mais, depuis, l’Elysée s’est bien gardé de s’avancer sur le sujet.

Prendre le temps de la négociation

D’autant que l’exécutif est de plus en plus contraint par le calendrier électoral. Comment mener un projet aussi sensible en pleine campagne présidentielle ? Pour qu’une telle réorganisation voie le jour, il faudra un vote au Parlement – dans un agenda parlementaire déjà surchargé – et un processus de transformation de l’entreprise qui demandera du temps. Cette réforme complexe risque aussi de devenir une patate chaude pour Emmanuel Macron, déjà attaqué par la gauche, par une partie de la droite et par l’extrême droite pour sa volonté de « privatiser EDF ».

En avril, le gouvernement estimait qu’il était encore possible de faire aboutir cette réforme en concluant les négociations fin mai et en faisant voter l’Assemblée nationale au début de l’année 2022. Cette perspective s’éloigne, puisqu’il est acquis que les négociations avec les services de la Commission européenne vont se poursuivre en juin.

Désormais, on estime au gouvernement qu’« il ne faut pas cette réforme à n’importe quel prix » et on assure qu’il faudra prendre le temps de la négociation, aussi bien avec les syndicats à Paris qu’avec la Commission européenne à Bruxelles. Autrement dit : il est urgent d’attendre. Même si les difficultés financières d’EDF sont toujours là.

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