Etre électrohypersensible (EHS)

Ou vivre l’enfer des ondes

Invisibles, les ondes électromagnétiques, parce qu’elles sont inaccessibles à nos cinq sens. Doublement invisibles, les électrohypersensibles, parce que leurs souffrances ne se voient pas et qu’ils se cachent pour fuir ces ondes.
Quel est le quotidien d’une électrohypersensible, quelles sont ses souffrances, que sait-on de ce mal, et comment s’en sortir ? Témoignages et enquêtes dans la revue Nexus.

Repères

Dans le dossier, le terme « basses fréquences » représente l’électricité 50 Hz (domestique 220 volts ainsi que moyenne et haute tension). Y est associé un champ magnétique de même fréquence dès que le courant circule. Sont nommées « hautes fréquences » par facilité les radiofréquences (radio, TV, CPL Linky, téléphone portable, antenne relais de téléphone mobile, Wifi, téléphone sans fil, DECT, four à micro-ondes …).

Le professeur Belpomme, cancérologue, spécialiste reconnu des maladies environnementales, en particulier de l’EHS/MCS, parle d’un fléau de santé publique majeur : il estime à 50 % le nombre d’électrohypersensibles d’ici à 50 ans.

Les études convergent : les femmes représentent 75% des personnes atteintes, la moitié a plus de 45 ans. Les enfants ou jeunes adultes sont de plus en plus représentés, on trouve même des nourrissons. La plupart sont urbains.

En suède, où l’EHS est reconnue comme un handicap, l’Etat prend en charge les frais de blindage des habitations des personnes et une allocation est systématiquement attribuée.

Etablir au plus tôt le lien entre les symptômes et les émissions électromagnétiques artificielles est indispensable. Faites des essais : coupez l’électricité la nuit, couper le smartphone, le Wifi, changez de chambre ou de bureau pendant trois jours … Si vous allez mieux, il y a un lien !

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Imaginez … un jour, soudainement ou peu à peu, vous constatez souffrir de maux de tête violents, de tachycardie ou de douleurs musculaires lorsque vous êtes à proximité d’un téléphone portable, d’une box en Wifi, d’une antenne relais ou d’un ordinateur. Rapidement, des douleurs similaires apparaissent près des radiateurs électriques rayonnants, de la chaîne hi-fi ou des lampes. Un jour, c’est l’odeur de vos produits ménagers habituels qui provoque les mêmes symptômes. Cette descente aux enfers, je l’ai vécu au printemps dernier, pour rejoindre la catégorie de ceux qu’on appelle les électrohypersensibles (EHS), qui sont également souvent chimicosensibles [MCS, « Multiple Chemical Sensitivy), soit sensibilité chimique multiple].

Un quotidien bouleversé

Je travaille à l’ordinateur par plages de deux heures journalières. Mon ordinateur portable est équipé d’un clavier externe et la police de caractères est grossie ; je me tiens ainsi au plus loin de la machine rayonnante, laquelle est recouverte d’un tissu anti-ondes et mise à la terre. Je porte une chasuble anti-ondes ainsi qu’une casquette blindée. Lorsque la batterie est épuisée ou que des maux de tête surviennent, je sors me ressourcer. J’ai la chance de vivre dans un village provençal, à portée de jambes des collines, dont certaines portions sont relativement peu exposées aux antennes. Marche consciente, mise à la terre, respiration, le romarin d’hiver est en fleur, j’en rapporte des bouquets.

Parfois je relie ma box internet à l’ordinateur pour relever les courriels ou télécharger quelques documents, autant d’actions qui me semblaient banales l’hiver dernier encore. Imprimer les textes à lire s’avère toujours un peu pénible, car l’imprimante rayonne terriblement à mon échelle d’EHS et je n’ai pas trouvé de moyen de la relier à la terre. Certains jours, mes maux de tête me contraignent au repos, de préférence dans la nature. J’emporte un cahier. Ce ne sont que quelques détails car tout dans la vie des personnes EHS est impacté par les symptômes dont nous souffrons.

Invisibles

Nous sommes invisibles car nous nous cachons. Pour beaucoup d’entre nous, nous ne pouvons pas nous promener en ville, nous asseoir à une terrasse de café, aller au restaurant, au concert ou au ciné, suivre un cours collectif de yoga ou de dessin, nous ne pouvons plus avoir d’activités professionnelles, aller à une fête à une réunion dans un établissement scolaire de nos enfants, une formation, un entretien à Pôle-emploi, un hôpital, une maison de retraite, une préfecture, un lieu de culte. Nous déplacer par le rail, la route ou les airs est une épopée ; les courses, c’est au plus vite ;

D’après l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), nous représentons pourtant 5% de la population française. En Europe, les chiffres vont de 3 à 10%. Le professeur Belpomme, cancérologue, spécialiste reconnu des maladies environnementales, en particulier de l’EHS/MCS, parle d’un fléau de santé publique majeur : il estime à 50 % le nombre d’électrohypersensibles d’ici à 50 ans.

Pathologie troublante

L’EHS est une maladie environnementale émergente « très difficile à appréhender du fait de la variabilité de l’environnement dans l’espace et le temps ainsi que de l’instabilité de la sensibilités des personnes atteintes », analyse Alexandre Pieroni, sociologue, que nous avons interrogé, auteur de deux mémoires sur le sujet. Nous avons aussi tous un degré d’atteinte différent.

Nous sommes par exemple « allergiques » au rayonnement des téléphones portables à 30 mètres de distance de la source. Nous nous réveillons la nuit si notre voisin surfe sur WhatsApp. Un téléphone en mode avion dans la pièce d’à côté nous provoque des maux de tête … mais certains jours, nous sommes moins sensibles ? Question de sommeil ? d’alimentations , D’autres fois, en rentrant du marché, nos symptômes persistent plusieurs heures, ou curieusement, c’est seulement après être allés « dans les ondes » que nous ressentons les douleurs, alors que d’habitude, c’est pendant.

Comprenez que nous devons compter avec les passages d’avions, les bornes de Wifi, cachées partout, les antennes relais dans de fausses cheminées, les câbles enterrés ou aériens, les alarmes de boutiques, les radars, tous les équipements connectés à l’intérieur des bâtiments, les fils électriques dans les murs, etc … Nous sommes cernés de dispositifs artificiels dont nous sentons les effets sans les voir.
Pour les proches, nos réactions sont incompréhensibles. Finalement, seul un instrument de mesure permet d’objectiver l’omniprésence des ondes.
Si nous somme de surcroit fortement chimicosensibles, ce sont la pollution de l’air, les parfums, les formaldéhydes, les vêtements synthétiques ou un sol si fraichement lavé qui sont des sources supplémentaires de douleurs.

Ça se complique encore d’un cran si notre intolérance s’étend à certaines émotions des personnes croisées ou à l’électricité véhiculée par l’eau des rivières. Là, notre folie ne fait plus de doute, n’est-ce-pas ?

L’EHS, quelle reconnaissance ?

Mon médecin traitant, après avoir accepté de m’accorder six semaines d’arrêt maladie, me dit, impuissante : « je vois que vous souffrez, mais votre maladie n’existe pas. Je ne peux pas vous aider ».

Il faut dire que la reconnaissance du syndrome est récente et que les médecins ne sont pas formés.

En France, c’est en 2018 que l’Anses reconnut officiellement l’existence de l’EHS. Un pas de géant selon les associations ? La même année, pour la première en France, un tribunal a considéré un accident de travail lié à l’EHS.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle « d’intolérance environnementale idiopathique (c’est-à-dire sans cause précise, NDLR) attribuée aux champs électromagnétique ». Autrement dit, ce sont les personnes elles-mêmes qui attribuent leurs symptômes aux ondes électromagnétiques ; l’EHS et sa source ne sont pas reconnues en tant que telles. L’OMS reconnait en revanche le MCS, classée dans la même famille. Quoiqu’il en soit, je mets quiconque au défi de passer une journée avec un EHS et de conclure à l’absence de lien entre ses symptômes et les ondes artificielles, Comme le souligne Alice Terrasse, avocate de la première personne EHS à avoir bénéficié en 2015  de l’allocation adultes handicapés en France, « il y a une réalité dans les faits ».

Au-delà de la reconnaissance de la pathologie, la question de sa genèse occupe beaucoup. L’OMS ne reconnaît aucun lien avec les ondes électromagnétiques. L’Anses, en 2018, évoque l’absence de lien causal « solide ». En fait, tout est question de preuves, que les industriels de la téléphonie et leurs lobbyistes réclament toujours plus nombreuses, alors que les études indépendantes pointant les effets catastrophiques des ondes électromagnétiques artificielles sur la santé se comptent par centaines.

Pléthore d’études

Le rapport BioInitiative de 2007 regroupe plus de 1 500 travaux internationaux publiés et non contestés. Il est validé par le parlement européen, dans son plan d’action en matière d’environnement et de santé, par vote le 4 septembre 2008, plus complété en 2012 par 300 études supplémentaires. Il conclut à des effets biologiques des ondes électromagnétiques dur l’Homme : facilitation de la pénétration dans le cerveau de substances indésirables (métaux lourds, virus …) ; perturbation de la production de mélatonine, dommages génétiques par rupture de l’ADN, actions sur le système immunitaire et le système nerveux, apparition de certains types de tumeurs du cerveau, leucémie, Alzheimer … On a mené des expériences sur des cigognes, des rouges-gorges, des abeilles … Les conclusions sont sans appel : désorientation, baisse de la fertilité, troubles du comportement, mort de nouveau-nés, et ainsi de suite.

En 2018, le docteur Martin Pall, professeur émérite en biochimie et sciences médicales fondamentales à l’université d’Etat de Washington (Etats-Unis), décrit le mécanisme par lequel les champs électromagnétiques artificiels des technologies sans fil attaquent plantes, animaux et humains avec, à la clé, des effets neuropsychiatriques (fatigue chronique, insomnie, dépression, anxiété), troubles cardiaques, infertilité, cancers.

L’année 2018 est fertile en publications sur le sujet. Citons une vaste étude internationale sur les effets sanitaires des rayonnements haute et basse fréquences de faible intensité, incluant donc le champ électrique (électricité domestique en particulier). Le professeur Belpomme est de la partie. Entre autres conclusions, déficits neurocomportementaux possibles, exclusion de la cause psychosomatique, lien entre expositions aux ondes électromagnétiques et syndrome d’électrohypersensibilité, augmentation du risque de cancer de cerveau à la suite d’une exposition prolongée aux fréquences de téléphonie mobile.

Le rapport alerte en particulier sur l’exposition des enfants, en raison de la sensibilité de leur système nerveux en développement, de l’hyperconductivité de leurs tissus cérébraux, de la plus grande pénétration des radiofréquences par rapport à la taille de leur tête et de l’exposition potentielle qu’ils vont subir toute leur vie ! Enfin, dans une publication de mars 2020, D. Belpomme et P. Irigaray confirment les conclusions des rapports précédents par l’étude de patients EHS.

Quid des études présentées par les opérateurs ? Aucune ne prouve sérieusement que le développement des technologies sans fil soit sans danger pour la santé, sans même parler de la 5G.

Radiofréquences reclassées ?

Du côté du CIRC (Centre internationale de recherche sur le cancer, qui relève de l’OMS), ça bouge lentement. En 2011, l’OMS classait les radiofréquences parmi les agents potentiellement cancérogènes pour l’Homme (groupe 2B). Basses et extrêmement basses fréquences l’étaient déjà. Sur l’impulsion d’un comité consultatif, le CIRC envisagerait de revoir sa copie et de classer les champs électromagnétiques comme cancérogènes probables (groupe 2A, comme pour le glyphosate). Les experts du CIRC prévoient de statuer d’ici deux à quatre ans.

Qui sont les EHS ?

« Toutes les catégories sociales sont représentées », affirme Alexandre Pieroni. Au sein de l’association d’EHS varois « débranche », on trouve notamment un technicien en électronique, un installateur d’éoliennes, un ingénieur d’études reconverti dans la rénovation du bâtiment (tous des métiers comptant un pourcentage élevé d’EHS), des auxiliaires de vie, un agent administratif, une professeure des écoles, une esthéticienne, une consultante en communication. Nous avons tous dû arrêter de travailler. Les études convergent : les femmes représentent 75% des personnes atteintes, la moitié a plus de 45 ans. Les enfants ou jeunes adultes sont de plus en plus représentés, on trouve même des nourrissons. La plupart sont urbains, précise le sociologue ; question de brouillard électromagnétique, assurément.

Court terme

Deux pièces de mon spacieux appartement de village sont désormais assez bien protégées des nuisances électromagnétiques alentour. Des  voisins très compréhensifs, des murs de pierre épais, de petites fenêtres sont des atouts précieux. L’électricité de la pièce où je vis est coupée, radiateurs et lampes blindés prennent leur puissance aux prises de terre de la cuisine. Que demander de plus ? Une certaine sérénité serait la bienvenue : l’équilibre peut être remis en question à tout moment par l’arrivée d’un nouvel équipement connecté dans le salon des voisins ou d’un nouveau locataire deux étages au-dessous.
Parmi les EHS autour de moi, c’est une constante : nous vivons à court terme.

Fanny et Loris ont trouvé un cabanon hors des ondes, 20 m2 à quatre pour six mois. Et après ? Christine, Steve souffrent quotidiennement. « Depuis qu’ils ont installé le Linky sur mon compteur triphasé, c’est l’horreur. Et je ne peux pas couper le courant car il alimente aussi les escaliers de l’immeuble », témoigne Christine. Trouver à déménager « avec 800 euros par mois, c’est compliqué ». Steve, propriétaire de son appartement, temporise : « dans mon baldaquin anti-ondes, passé le temps de décharge très désagréable, ça peut aller ; avec un somnifère, deux depuis que les voisins ont le Linky, je récupère la nuit ». Angéla, elle, après un séjour en hôpital psychiatrique fortement recommandé par sa famille « pour se soigner » -un classique de moins en moins courant-, cinq déménagements, un an en mobile home sans électricité ni eau dans la colline, vit enfin confortablement dans une zone presque blanche. Ouf ! Elle souffre cependant de sifflements permanents dans les oreilles, liés à la ligne à haute tension non loin et à l’électricité domestique de son propriétaire habitant le rez-de-chaussée de la maison. Mais, au regard de ce qu’elle a vécu, elle supporte. Delphine, de son côté, s’est momentanément réfugiée chez son père, au milieu des vignes.

Itinérance

Marie a radicalement troqué son appartement en location contre un fourgon aménagé, pour le moment posé sur le parking d’un monastère, où elle s’investit avec bonheur jusqu’à l’arrivée de la vague estivale de touristes connectés. Opération inverse pour Clément, électro et chimicosensible : après plus de deux ans en camion, il a trouvé le repos dans un village médiéval des Alpes-Maritimes. Un rez-de-chaussée de 17 m2, équipé d’une petite fenêtre donnant sur un mur : les antennes épargnent le havre de Clément et de sa compagne. « J’étais en cavale, j’ai visité des centaines de logements à la campagne, à la mer, à la montagne. Je m’y sentais toujours mal. Dans le camion, à force d’inconfort, de mauvais sommeil, de repas déséquilibrés, d’une sensibilité aux ondes croissante, j’avais des idées noires ? Garé devant chez mes parents qui m’apportaient à manger, j’ai dû déplacer le camion de plus en plus loin pour m’abriter des ondes, pour finir dans un virage entre deux murets. Il y a non-assistance à personne en danger. Enfin, désormais, je vais beaucoup mieux. Je garde mon camion pour fuir en cas de nécessité ». Guillaume, lui, fuit le plus souvent possible le Wifi de ses voisins, pourtant absents. Itinérant alternatif dynamique, il dort dans sa voiture parfois plusieurs semaines et rend visite à des groupes EHS afin de participer à la création d’un écosite. La plupart des personnes citées sont diagnostiquées EHS depuis plus de cinq ans.

Quête d’un lieu hors des ondes

Ce petit monde et quelques autres travaillent depuis un an à un projet d’éco-lieu hors des ondes. L’objectif : se mettre à l’abri et vivre dans un esprit de respect de la nature, de partage et d’entraide, autonomie alimentaire et ouverture sur le monde à la clé. Autre idée récente : lancer la création d’un réseau de terrains équipés au minimum pour EHS en voyage ou en besoin de ressourcement, à mi-chemin entre l’aire  pour gens du voyage.

Communiquer à distance et se réunir constituent un défi en soi compte tenu de nos handicaps. Malgré tout, les visites de terrains, domaines, maisons se succèdent, renseignements pris au préalable sur les antennes relais et lignes à haute tension alentour, ainsi que sur la distance du voisinage. Avec de situations cocasses, comme cette visite en compagnie d’un agent immobilier bienveillant. « Mon téléphone est éteint », rassure-t-il d’emblée. Jusqu’au moment où, cerné d’une demi-douzaine d’appareils de mesure pointés sur lui, il court s’isoler, contrit, pour désactiver sa montre connectée.
Avis aux propriétaires d’une zone blanche : nous sommes nombreux à chercher notre oasis !

 

AZB

Un lieu d’accueil hors des ondes, c’est ce à quoi travaille aussi, à une autre échelle et depuis une dizaine d’année, l’Association Zones Blanches (AZB), présidée par Michèle Rivasi. Ce projet, c’est presqu’un mythe pour les EHS. Situé à Saint-Julien-en-Beauchêne dans les Hautes-Alpes, le site, ancienne colonie de vacances de la CAF des Bouches-du-Rhône, entre montagnes et forêts, est en zone blanche par endroits et grise (c’est-à-dire très peu polluée par les ondes artificielles) à d’autres. Objectif : l’acquérir pour en faire un lieu d’accueil, de recherche et de suivi médical pour les personnes devenues EHS ou MCS. Une première en Europe. « Si tout se passe pour le mieux, le site devrait accueillir les premiers hôtes d’ici quatre à cinq ans », indique Marie-Noëlle Bollinger, chargée de projet AZB. C’est long quand il y a urgence.

 

Touche pas à mon téléphone

Pas suffisante, mais indispensable à la sanctuarisation d’un site est la complicité de l’équipe communale. Pas gagné quand chasseurs et promeneurs voient d’un mauvais œil le fait de faire une crois sur leur désir de pouvoir téléphoner en forêt. De manière générale, nous constatons que le slogan « touche pas à mon téléphone » pourrait rassemble une grande partie de la population, avec les encouragements des opérateurs et la complicité des pouvoirs publics. La loi Elan, qui fait de la couverture numérique des territoires une priorité du gouvernement, et l’arrivée de la 5G sont aux antipodes de ce que devrait être le rôle des politiques : voter une loi en faveur de l’établissement de zones blanches assortie, comme l’indique Marie-Noëlle Bollinger, d’une classification « Zone blanche » à l’instar des classifications « Monument historique » ou « Zone naturelle protégée ».

En attendant, dix parlementaires ont déposé, en décembre 2019, un projet de loi qui vise à modifier, à titre expérimental, le Code de l’urbanisme. L’objectif est de « permettre la construction d’habitats dans les zones vierges d’ondes nocives pour les personnes souffrant d’électrohypersensibilité ». A suivre.

 

Manque de médecins

Les médecins spécialisés se comptent sur les doigts d’une main, regrette la chargée de projet AZB. Pour les provinciaux, « monter en consultation chez Belpomme » est une épopée éprouvante, un passage encore considéré comme obligé par certains. Voyage en TGV dans les toilettes ou assis par terre entre deux wagons, recouvert d’un tissu anti-ondes, et nuit dans une chambre en location sous une tente recouverte dudit tissu pour les uns ; être conduit en voiture, avec nuit sur la banquette, avant de repartir pour les autres. Un hôtel parisien propose désormais une chambre blindée pour électrosensibles : un créneau porteur.

A la clé de deux voyages de ce type, la personne reçoit une prescription du professeur Belpomme, souvent appliquée quelques temps puis laissée de côté, faute de remonter vers paris pour un suivi ou faute d’argent pour payer le traitement (il n’existe pas de traitement pris en charge par la Sécurité sociale), et un  précieux certificat d’hypersensibilité.

Le collectif Santé sans onde, regroupant des professionnels de la santé atteints d’EHS, formule des demandes aux pouvoir publics : intégration de cette pathologie au cursus médical, création de « chambres blanches » adaptées aux EHS dans les hôpitaux (comme en Suède) et, en premier lieu, reconnaissance par la Sécurité sociale.

 

Reconnaissance sociale ?

Le handicap que constituent les symptômes de l’EHS est largement reconnu pas les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Dans la moitié des cas, une allocation aux adultes handicapés (AAH) est accordée, souvent à la suite d’un parcours de plusieurs années. « Les disparités régionales sont importantes concernant les EHS, en raison du manque de codification des processus d’attribution de l’allocation », commente Alexandre Pieroni. Dans le Var, par exemple, aucun EHS n’a obtenu d’allocation jusqu’à présent.

 

Quand la pauvreté s’en mêle

Le cas d’Angela est emblématique : esthéticienne dans un salon de beauté, femme de ménage dans des bureaux, vendeuse de brocante … Le Wifi, les téléphones ou les antennes ont eu raison de toutes ses tentatives professionnelles. Elle a monté son salon d’esthétique chez elle, mais comment faire venir des clients en pleine nature au bout d’un chemin de terre ? Elle vit avec le RSA et, soutenue par son médecin, fait appel à la décision du refus de l’AAH. En attendant, restos du cœur.

« Pauvre et EHS, la double peine », dénonce Alexandre Pieroni.

En suède, où l’EHS est reconnue comme un handicap, l’Etat prend en charge les frais de blindage des habitations des personnes et une allocation est systématiquement attribuée. En Angleterre, l’EHS est considérée comme une maladie. Ici, reste parfois le psychiatre, qui pose un diagnostic de dépression sévère sans comprendre qu’il s’agit d’un symptôme de l’EHS. Qu’à cela ne tienne. En arrêt longue maladie, la personne ne serait plus dans le besoin.

 

Vie sociale chamboulée

« J’avais l’impression que certains de mes amis préféraient leur smartphone à ma compagnie » témoigne Clément. Les liens sociaux sont toujours impactés. Quitter son activité professionnelle en est une composante. Des couples volent en éclats, beaucoup d’EHS sont contraints de quitter leur famille et leurs amis pour vivre loin de toute source de pollution électromagnétique. Nouer des relations est alors compliqué. Les associations jouent un rôle important. Ceux obligés de vivre sans électricité dans la nature rencontrent des situations d’isolement dramatique.

A contrario, certains EHS, parfois après quelques années difficiles, vivent une dynamique d’ouverture. Pour Fanny et Loris, c’est l’occasion de sauter le pas vers l’autonomie décroissante. Marie, elle, vit son départ en fourgon comme l’opportunité de nouvelles rencontres, Le degré d’atteinte, le soutien familial, les finances et la possibilité, ou pas, de ‘abriter des ondes, sont des facteurs déterminants.

 

Quels sont les signes avant-coureurs ?

« Quand je tiens mon téléphone, ma main chauffe, ça me picote » ; « je me réveille avec des maux de tête » : « je commence à avoir des acouphènes » ; j’ai de plus en plus de mal à me concentrer » ; « le TGV me fatigue et j’y suis irrité » ; « j’ai des douleurs musculaires incompréhensibles » ; « ma peau me brûle parfois » … Le signes avant-coureurs sont variés. Ils signent l’entrée dans ce que le professeur Belpomme nomme le syndrome d’intolérance aux ondes électromagnétiques (SICEM).

Pour nous, ces symptômes ont pu durer des années et s’amplifier sans que nous arrivions à les relier aux ondes électromagnétiques. Pour exemple, pendant vingt ans, Loris a consulté des médecins de plus d’une vingtaine de disciplines, ses douleurs affectant à peu près tous les systèmes –douleurs musculaires, démangeaisons cutanés, douleurs abdominales, chute brutale de la mémoire à court terme, difficultés à se concentrer devant l’ordinateur, état émotionnel en dent de scie, problèmes de sommeil … avant qu’il ne réalise qu’en dehors des ondes artificielles, il allait bien. Clément, lui, ressentait un malaise dans les bibliothèques et devant les téléphones sans fil sur leur base (DECT). Pour Claudine, c’était une sorte de sinusite (opérée sans que ça ne change rien) en présence de Wifi. Pour moi, une nervosité puis des picotements sur la tête devant les ordinateurs en Wifi et en présence de personnes téléphonant ou surfant en voiture. Pour quasiment tous, l’oreille qui chauffe quand on approche du portable.

 

Entrée dans l’EHS

Etablir au plus tôt le lien entre les symptômes et les émissions électromagnétiques artificielles est indispensable. Faites des essais : coupez l’électricité la nuit, couper le smartphone, le Wifi, changez de chambre ou de bureau pendant trois jours … Si vous allez mieux, il y a un lien !

En l’absence de mesures d’éviction, voire d’un traitement, l’intolérance évolue vers un abaissement du seuil de tolérance et l’élargissement des fréquences génératrices des symptômes : c’est l’EHS.

Qu’elle soit lente ou soudaine, c’est le caractère irrémédiable de cette évolution qui marque. Clément a supprimé le téléphone DECT, le Wifi, le téléphone portable, mais a vu son seuil de tolérance baisser peu à peu au point de devoir un jour quitter son appartement. Pour Marie, c’est en allumant son ordinateur en Wifi à son retour de vacances qu’une douleur fulgurante lui traverse le cerveau : en un instant, elle perd la mémoire à court terme et entre dans l’EHS. « Si vous ne faites rien, dans dix ans, c’est Alzheimer », lui dira le professeur Belpomme.

Notons que de plus en plus fréquemment, des personnes deviennent EHS sans préavis, comme expliqué par la Docteure Milbert.

Pour en finir, l’exemple de Loris impose une conclusion : le nombre de personnes malades des technologies sans fil ne peut être que largement sous-évalué. Dermatose, maux de ventre, fatigue chronique ou migraines : et si c’était les ondes ?

Perspectives

Quand elle est hors des ondes, Angéla s’exclame, libérée : « Je suis moi ! ». Tous, à l’abri, nous nous sentons normaux.

Trouver des moyens de nous adapter ou quitter cette société hyperconnectée est notre alternative. Dans tous les cas, nous lançons l’alerte. Un responsable de l’Association Zones blanches me disait : « on a mis cent ans à reconnaitre les méfaits du tabac et de l’amiante ; j’espère que ce sera moins long pour les ondes électromagnétiques artificielles ».
A l’heure où je termine ce dossier, en vertu de la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, les règles d’implantation des antennes relais sont considérablement assouplies.

Dans le même temps, les personnes confinées, exposées en permanence aux champs électromagnétiques puissants de leurs téléphones, tablettes, consoles de jeux et ordinateur en Wifi s’abiment la santé à vitesse accélérée.

Et les EHS ? Nous sommes plusieurs autour de moi à avoir été contraints de partir de chez nous tant l’augmentation du rayonnement électromagnétique venant des voisins provoque des douleurs intenses. Pour aller où ? Nous avons besoin plus que jamais d’un lieu où vivre.

Alice Pouilloux ; dans la revue Nexus

A propos de l’auteure : enseignante en physique, puis formatrice en communication en entreprise pendant vingt ans, Alice Pouilloux est aujourd’hui atteinte d’électrohypersensibilité. Elle enquête sur tous les sujets en lien avec les champs électromagnétiques artificiels.