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La science du déni : si on ne cherche pas, on ne trouve pas.
Le docteur en radiobiologie Igor Belyaev s’ennuie du bon vieux temps socialiste. « C’était bien mieux à l’époque soviétique, alors qu’on voulait développer la technologie en se préoccupant de la sécurité des gens. Les normes russes [d’exposition aux radiofréquences ou RF] sont plus saines mais aujourd’hui on les rejette parce qu’aucun téléphone cellulaire ne les respecte », m’expliquait cette sommité en effets des champs électromagnétiques (CEM) en mai dernier à Bruxelles. Belyaev était l’un des conférenciers vedettes (lire sa présentation ici) du 5e Colloque de l’Appel de Paris, tenu à l’Académie de médecine belge, et qui portait sur les hypersensibilités environnementales.
Igor Belyaev n’a rien d’un militant écologiste. C’est plutôt un chercheur de très haut calibre : d’abord ingénieur en physique et dosimétrie des radiations formé à la prestigieuse Académie des sciences soviétique à Moscou, il est également diplômé en génétique. Membre du groupe de travail sur les CEM de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il dirige le laboratoire de radiobiologie de deux académies nationales des sciences, l’une russe (à Moscou) et l’autre slovaque (à Bratislava). De plus, il est professeur agrégé au Département de génétique, microbiologie et toxicologie de l’Université de Stockholm, en Suède, depuis 2004.
En 2010, la revue scientifique Bioelectromagnetics lui a décerné ainsi qu’à ses sept coauteurs suédois le prix du meilleur article qu’elle a publié entre 2005 et 2009. Parue en mai 2006, leur étude a démontré que les RF/micro-ondes émises par un téléphone cellulaire pouvaient provoquer des changements dans l’expression des gènes dans le cerveau de rats. Ces changements modifiaient des protéines essentielles pour la lutte contre le cancer et autres mécanismes biologiques (régulation des neurotransmetteurs, perméance de la barrière hématoencéphalique et production de mélatonine).
Au sortir du colloque de Bruxelles, je me suis entretenu avec lui en marchant dans les rues de la capitale belge et siège du Parlement européen. Une douche de réalisme plutôt glaçante, voilà l’effet de ses propos. « Les CEM, c’est une très petite partie de mes recherches. Personne ne veut financer des études [rigoureuses], j’ai perdu tous mes projets en Suède. Peu importe le pays, ils sont tous gouvernés par les mêmes compagnies. Les compteurs intelligents causent le cancer et les compagnies pharmaceutiques en tirent tous les profits. Mais l’industrie trouvera toujours des centaines de médecins pour dire que ce n’est pas dangereux. » (Pour plus de détails, lire notre dossier Compteurs intelligents : des experts dénoncent la « désinformation flagrante »)
Belyaev venait d’apprendre d’un collègue que la Russie voulait harmoniser ses limites d’exposition aux RF avec les normes adoptées par la majorité des pays occidentaux et qui sont mille fois plus tolérantes. « J’ai été estomaqué de l’apprendre. Il n’y a aucune raison scientifique, ce n’est qu’une décision administrative. En Union soviétique, ça n’aurait pas été possible, ce genre de décision devait être basé sur la science. Ces limites laxistes ne seront jamais reconnues en Ukraine, par exemple. »
Des études bidon
Depuis trois décennies, cet expert des mécanismes biologiques du cancer a publié plus de 70 articles scientifiques, notamment sur les effets des CEM, les dommages et la réparation de l’ADN, les aberrations chromosomiques et les marqueurs moléculaires de la radiosensibilité. Selon lui, pour justifier leur politique de laisser-faire en matière d’électrosmog, les gouvernements, l’industrie et leurs mercenaires ne citent que les études qui font fi des variables physiques et biologiques qui expliquent pourquoi les faibles doses répétées de radiofréquences dans les fréquences des micro-ondes (radiofréquences entre 1 et 300 gigahertz) peuvent être nocives… ou bénéfiques : fréquence, largeur de bande, modulation, polarisation, dose, durée et cohérence du temps d’exposition et de non-exposition, environnement électromagnétique (dont le courant continu terrestre), densité des cellules, génétique, sexe, âge, différences individuelles et autres particularités physiologiques des sujets, présence de métaux lourds et de puissants antioxydants et de capteurs de radicaux libres, comme la mélatonine et le ginkgo biloba.
Ces études « négationnistes » sont presque toujours financées par l’industrie ou un État voulant légitimer les limites d’exposition actuelles¹. Des limites qui, selon Belyaev et plusieurs autres experts, menacent la santé publique car elles ne tiennent compte que des effets thermiques de ces micro-ondes. (Oui, votre four à micro-ondes utilise les mêmes ondes radio que votre cellulaire, téléphone sans fil ou votre tablette Wi-Fi.) Et dès qu’un chercheur soulève la possibilité d’un risque sanitaire (effets non thermiques comme le cancer) découlant de l’exposition prolongée à de faibles doses d’ondes émises par les antennes et les appareils sans fil, le financement de recherches visant à reproduire fidèlement son étude fond comme neige au soleil.
« Différents signaux électromagnétiques provoquent des effets différents, m’a-t-il expliqué. Par exemple, une télécommande ne fonctionne qu’avec des fréquences spécifiques » d’ondes radio ou infrarouges. De même, la thérapie par biorésonance est utilisée par environ 300 professionnels de la santé russes, dont le cinquième sont des médecins. Ils traitent divers problèmes de santé avec diverses radiofréquences et à des doses très précises. « Certaines thérapies ont eu de bons résultats, par exemple dans 70 à 80 % des cas d’ulcères gastriques, alors que d’autres n’étaient pas meilleures qu’un placebo, soit entre 40 et 50 % de succès. » (Lire notre dossier La biorésonance : guérir par les ondes.)
La guerre des ondes
Les Russes savent depuis 1934 (Altabasheva et Il’Yashevich) que les RF peuvent être nocives sous certaines conditions. Publiés à partir des années 1960, la plupart de leurs rapports de recherches militaires n’ont jamais été traduits en anglais. « Les études sur les CEM n’étaient pas publiées, elles étaient des secrets d’État, explique Belyaev. Dix instituts ont étudié les effets des micro-ondes sur le système immunitaire pendant dix ans. Les rapports ont été livrés aux ministères de la Santé et de la Défense et furent archivés. Durant la guerre froide, les micro-ondes étaient considérées comme des armes militaires, tout comme aux États-Unis. »
En effet, en 1976 la presse américaine révélait que l’ambassade des États-Unis était irradiée depuis 1953 de micro-ondes de 0,6 à 9,5 gigahertz dirigées par des sources soviétiques. À partir de 1975, leur intensité a augmenté jusqu’à 18 microwatts par centimètre carré (7,8 volts par mètre), affirmait au colloque de Bruxelles l’épidémiologiste David O. Carpenter, de l’Université d’Albany (NY). « L’ambassadeur Stoessel souffrait d’hémorragies oculaires et d’une maladie du sang. Trois hommes sont décédés de cancer, cinq femmes ont subi une mammectomie liée au cancer », écrivait récemment l’ingénieur suisse Pierre Dubochet, ancien chef technique de la radio neuchâteloise. Le Département d’État américain a lancé une enquête. Conclusion : aucune relation entre les problèmes de santé du personnel et l’exposition aux micro-ondes ne fut trouvée, selon une conférence sur le sujet prononcée en 1979 par le professeur de médecine Herbert Pollack. Les employés de l’ambassade n’y ont pas travaillé en assez grand nombre et assez longtemps pour tirer des conclusions, nuance le Dr Carpenter : « Bien qu’aucune hausse du cancer ne fut trouvée, plusieurs personnes y ont développé la »maladie des micro-ondes » consistant de dépression, d’irritabilité, de difficultés de concentration et de pertes de mémoire (Pollack, 1979). »
Les Américains au courant
En 1970, la NASA publiait la traduction d’un rapport édité par I.R. Petrov, de l’Académie des sciences médicales de l’URSS, intitulé Influence of microwave radiation on the organism of man and animals. On y fait état de symptômes touchant alors le quart du personnel militaire utilisant des ondes radio et radar : fatigue, étourdissements, maux de tête, problèmes de sommeil, de concentration et de mémoire, colère, etc. « Le traitement suggéré était un changement de l’assignation et l’éloignement par rapport aux CEM. Le repos et l’exercice physique étaient recommandés, des aliments nutritifs étaient offerts. Les symptômes décrits étaient les mêmes que l’on retrouverait 40 ans plus tard chez des Finnois atteints d’électrohypersensibilité » (EHS), relate l’oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell dans un tout récent article sur l’EHS comme défi croissant pour la profession médicale.
Se protéger
Autant de bonnes raisons pour être prudent et éviter ou réduire le plus possible l’usage des appareils sans fil, recommande Igor Belyaev. « Je n’ai pas de Wi-Fi dans mon bureau. On m’y avait installé un modem et les émissions mesuraient 20 milliwatts (mW) par mètre carré alors que l’Association médicale autrichienne recommande de ne pas dépasser 1 mW/m2 [équivalant à 1 000 microwatts(µW)/m2 et que la normale idéale serait d’en deçà de 1 µW/m2]. J’ai donc appelé le fournisseur pour l’éteindre et la mesure est tombée à 100 µW/m2. »
L’expert ajoute que la présence de métal dans votre environnement augmente aussi votre exposition aux CEM de RF, car il agit comme réflecteur et antenne, en plus de modifier le champ géomagnétique statique de la Terre. « À un mètre de distance, 10 microtesla de statique augmente la toxicité des RF à cause des objets ferromagnétiques. Tous les métaux changent le champ géomagnétique. J’ai recommandé à Mays Swicord, chef de la santé et sécurité chez Motorola, une très bonne manière de réduire les effets nocifs des micro-ondes. Il suffirait d’une petite puce pour mesurer le champ magnétique statique et envoyer l’information à la station de base afin qu’elle fournisse une fréquence qui ne s’accouple pas au champ magnétique. Il a refusé. » (Le fabricant de téléphones cellulaires Motorola n’a pas répondu à notre demande d’explication.)
Que faut-il faire donc? « Il existe bien des films d’argent pour les vitrages et de la peinture de carbone qui bloque les ondes, mais ils coûtent cher, répond Belyaev. Ils ne règleront pas le problème pour la plupart des gens. On ne peut le régler qu’en adoptant des limites d’exposition plus strictes. Il faut changer le dogme de la société, ne pas œuvrer pour le profit mais pour la santé des gens. Mais c’est trop socialiste! »
Pour en savoir davantage :
Non-thermal biological effects of microwaves, Igor Belyaev, Microwave Review, novembre 2005.
Igor Belyaev, chef du laboratoire de radiobiologie de l’Académie des sciences russe
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Source: Maisonsaine.ca