Tout d’abord le livre ‘techno-luttes, enquête sur ceux qui résistent à la technologie’
C’est un livre… écrit par F. Benoît et N. Celnik ; éd Seuil et reporterre
Voici la conclusion
« on est très très peu connus. On est quasiment dans l’entre-soi ce soir. Il n’a pas été question de technocritique, vous l’aurez remarqué, lors des dernières élections », regrette Joël Decarsin, alors président de l’association Technologos qui, depuis 2012, tente de fédérer celles et ceux qui portent un discours critique sur la technologie. Nous sommes en 2018 et le magazine Sciences critiques réunit dans une salle associative parisienne un peu moins de deux cents personnes pour débattre de l’état de la technocritique. Certes, J. Decarsin, un retraité qui consacre son temps libre à lire et relire les textes de Jacques Ellul, caricature quelque peu la figure de l’intellectuel intransigeant, et oublie les mouvements de contestation que nous avons explorés dans ce livre. Mais il exprime aussi un sentiment partagé par bon nombre de nos interlocuteurs ; celle d’être une poignée de marginalisés à prêcher dans le désert. « Une bande de militants anti-tech qui se reconnaissent dans une solidarité de losers mais qui ne peuvent pas fermer leur gueule » plaisante F. Jarrige. Du Tarn à Paris, en passant par la Bretagne ou l’Isère, ils sont nombreux à confier leur désarroi ou leur impuissance.
Le récent épisode pandémique a raisonné comme un coup de semonce supplémentaire. Une énième poussée techno-solutionniste. Alors que le bon sens aurait pu inviter à remettre en cause une mondialisation et une industrialisation délirantes, en partie responsables de la circulation rapide des zoonoses ; alors que, confrontés à des hôpitaux au bord de l’implosion, il aurait pu être judicieux de mettre fin à la fermeture de lits et de services sacrifiés sur l’autel de la rentabilité ; alors que ce sont des solutions simples comme le masque en papier, la distanciation ou les restrictions d’accès à certains lieux qui ont été les plus efficaces ; les gouvernements ont tout misé, ou presque , sur une inflation technologique. Application StopCovid puis TousAntiCovid, traçage des contacts ; passe sanitaire et QR code, promotion d’une société dématérialisée, « sans contact », faite de réunion Zoom,d’enseignement à distance, de livraisons à domicile et de télémédecine. Un rêve pour les apôtres de la numérisation intégrale. « Nous venons d’assister à deux ans de transformation numérique en deux mois », a pu se réjouit Satya Badella, patron de microsoft, dans les premiers temps de la pandémie. « Ces mois de quarantaine nous ont permis de faire un bond de dix ans », a surenchéri son homologue de Google, Eric Schmidt. « Internet est devenu vital du jour au lendemain ». Vital, rien n’est moins sûr. Plus incontournable encore qu’hier, c’est en revanche évident. Le monde se referme et demain, sans doute n’aurons-nous plus guère le choix de nous passer d’une connexion ou d’un smartphone.
Mais la partie n’est pas encore jouée et c’est bien là le propos de cette enquête. De plus en plus de personnes ne se résignent pas à ce que le numérique braconne leur vie, les aliène, les isole et détruise leurs métiers. Leurs voix sont de plus en plus nombreuses et, surtout, de plus en plus audibles. Les collectifs d’opposants convergent et mettent en commun leurs expériences. Et si le monde se referme, il n’est pas totalement clos.Nous sommes encore à la croisée des chemins. Il est encore temps de refuser la 5G, la reconnaissance faciale, les voitures autonomes, la Smart City, le règne des QR code et le remplacement intégral de l’humain par des formulaires en ligne, des applications et autres robots conversationnels. Il est possible, comme certains l’avancent, de nous mettre sur la voie de la « désinnovation », de rompre avec des technologies que nus jugeons mortifères, d’engager une « désescalade technologique », et de tourner le dos à une logique de puissance où l’humain exerce son « pouvoir sur » et détruit tout sur son passage. Pour ce faire, le seul cap qui vaille est celui du vivant, de l’humain et du lien. Les défendre et les promouvoir sans relâche. Nous détourner des écrans,, refuser la facilité, interroger notre supposé confort, multiplier les luttes et créer des attaches. « Fuir, mais en fuyant chercher une arme », comme l’écrivait Gilles Deleuze.
Et, pour qui, en lisant ces lignes, ,s’éveillerait à cet enjeu qu’est la numérisation intégrale de nos existences, peut-être faut-il rappeler ici une dernière fois quelques idées reçues contre lesquelles il faudra toujours lutter. Une sorte de vade-mecum à emporter avec soi une fois ce livre refermé.
– Non, la technique n’est pas neutre. Elle oriente nos usages et détermine nos façons de vivre. Le numérique nous pousse à tout calculer, tout optimiser et marchandiser tous les pans de nos existences.
– Non, la grande marche vers le progrès technique n’a jamais été univoque, linéaire. Les choix technologiques nous ont presque toujours été imposés et des résistances ont toujours existé.
– Non, critiquer la technologie n’est pas souhaiter revenir à la bougie. Interroger un ensemble de techniques, c’est proposer une alternative, une trajectoire différente, un autre modèle de société.
– Oui, nos conditions de vie se sont améliorés grâce à certaines innovations,mais il ne faut pas oublier les maux qu’engendre aujourd’hui l’inflation technologique hors de notre vue (consommation d’électricité, extraction de métaux rares,externalisation de la pollution, prolétarisation des travailleurs, micro-travail délocalisé à l’autre but d ela planète …) et être conscient qu’à partir d’un certain seuil elles peuvent se révéler contre-productives,leurs coûts excéder, leurs bénéfices.
– Non, les technologies ne seront pas la réponse à la crise environnementale. On ne résout pas des problèmes engendrés par l’industrialisation du monde par un surcroît de technologie, qui, jusqu’à ,aujourd’hui,a toujours posé d’autres problèmes, conduit à une consommation finale d’énergie accrue et généré des pollutions supplémentaires.
A l’heure de la crise écologique et de l’épuisement des promesses modernisatrices, le « sens de l’histoire », pour répondre à ceux qui se gargarisent avec cette expression, est aujourd’hui d’être résolument technocritique.
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De la technocritique aux technoluttes !
https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2019/06/19
extraits
Pour Edouard Piely, journaliste à Sciences critiques, « les crises économiques, sociales, financières et écologiques rendent la nécessité de créer une communauté technocritique radicale de plus en plus vitale ». Mais radicale ne signifie pas jusqu’au-boutiste ou extrémiste, se défend-il, « radicale consiste à revenir à la racine, à la source des problèmes ». À l’heure où les technoprophéties et les technopromesses sont omniprésentes, il nous faut plus que jamais rompre avec l’imaginaire de la croissance et du productivisme technique. Il nous faut trouver des pistes de résistance concrètes, de luttes, permettant de nous opposer aux dérives et à l’expansion technicienne, allant des mots de la décroissance jusqu’aux formes les plus poussées d’autogestion comme les ZAD. Et ce alors que depuis plus de 6 mois, il y a en France un mouvement social inédit, d’ampleur, contre lequel on déploie tout l’appareillage répressif du système technicien… De la société de contrôle à la startup nation comment s’opposer à l’expansion technicienne, comment proposer d’autres imaginaires, à l’image de celui qu’avance l’ingénieur Philippe Bihouix qui nous invite à ralentir pour rendre la société technique plus durable, à passer de la high-tech à la low tech.
Avons-nous besoin d’une « communauté » technocritique ?
Pour Joël Decarsin, coordinateur de l’association Technologos, si « la technique était l’enjeu du XXe siècle, elle est devenue la fatalité du XXIe siècle ». Depuis des années, la contestation s’en est pris successivement ou simultanément au nucléaire, aux OGM, à la télésurveillance ou aux puces RFID… Mais cette contestation « ne vise que « les » techniques, jamais « la » technique dans son ensemble », expliquait-il dans une tribune pour Sciences critiques. Une tribune où il concluait par la nécessité de faire émerger une « communauté technocritique », au sens d’une communauté de pensée.
Le terme technocritique forgé en 1975 par Jean-Pierre Dupuy est rapidement entré dans les sphères militantes. Mais que signifie-t-il ? Que veut dire « critiquer la technologie » ? Pour Decarsin, la technocritique est une mouvance hétérogène, où on ne s’accorde même pas forcément sur le vocabulaire. D’où l’importance de trouver un langage commun. La technocritique, pour Joël Decarsin, c’est la critique d’une façon collective de penser et de vivre la technologie, c’est la critique d’une idéologie. Mais cette critique demeure militante, engagée, marginale, minoritaire et inaperçue. La critique militante qui domine, c’est la critique marxiste, la critique du capitalisme. Si depuis l’écroulement du bloc soviétique elle ne se dit plus marxiste, la grille de lecture qu’elle propose perdure et focalise son action sur la lutte contre la concentration du capital et les inégalités. Le problème, souligne Joël Decarsin, est que cette dénonciation des inégalités s’inscrit encore trop souvent dans une conception du monde qui reste matérialiste. Or, c’est cette aporie qui doit trouver consensus dans la pensée technocritique : il ne peut y avoir de pensée technocritique qu’en dénonçant ce matérialisme !
Pour Decarsin, l’obstacle majeur à la constitution d’une communauté technocritique repose sur l’absence de consensus sur les liens entre l’idéologie technicienne et le capitalisme. Pourtant, constate-t-il désabusé, le capitalisme a encore de beaux jours devant lui. Le confort matériel qu’il assure avec l’aide du progrès technique demeure infiniment séducteur. Les anticapitalistes posent le problème en terme d’inégalités et de domination pour montrer que l’injustice est au coeur du problème… C’est oublier bien vite que nous sommes aussi confrontés à une explosion de non-sens, à une économie irréelle qui, des transactions à haute fréquence sur les marchés financiers aux derniers services abscons de la startup Nation, fonctionne pour elle-même. C’est aussi oublier combien aujourd’hui, sans l’IA, sans le système technique, le capitalisme ne serait rien. « L’efficacité du capitalisme repose sur sa capacité à s’autoréguler et sur sa réactivité ». Et les algorithmes sont meilleurs que nos cerveaux en terme de réactivité et d’adaptation. Ils sont désormais au coeur de la modélisation qui préside à l’efficience des marchés.
L’autre obstacle à la constitution d’une communauté technocritique repose sur l’idée que les techniques sont neutres et dépendent de leur usage. Ce préjugé énorme sonne comme la tragédie de la technocritique, constate Joël Decarsin, alors que l’idéologie capitaliste et technicienne sont intimement liées et imbriquées. L’investissement sert la production technique et inversement. Et la production est engagée dans une course à l’efficience technique sans fin. Jacques Ellul, dans la Technique ou l’enjeu du siècle définissait la technique comme « la préoccupation de rechercher en toute chose la méthode la plus efficace ». Et c’est dans cette quête de l’efficacité que se rejoignent l’idéologie technicienne et l’idéologie capitaliste. Avec l’automatisation, l’IA et l’apprentissage profond, la technique devient un processus autonome ne répondant plus au contrôle de l’homme. Avec l’automatisation et les réseaux de neurones, on arrête encore moins le progrès puisqu’on en est désormais incapable…
Un autre obstacle encore repose sur la difficulté à penser globalement la technique et à la concevoir comme un processus idéologique s’inscrivant dans le temps long. « On a trop souvent l’habitude d’approcher la technique comme la somme des techniques… Techniques qui ne seraient que des moyens matériels servant des objectifs et finalités distincts. C’est oublier que les techniques ne sont pas que des objets, mais aussi des méthodes (allant de la publicité à la division du travail…). La technique est la finalité des finalités. » Elle est un milieu ambiant comme le pointait le sociologue Georges Friedmann dans ses Sept études sur l’homme et la technique. Or, il est dans la nature de l’homme de sacraliser son milieu, comme le disait Jacques Ellul dans Les nouveaux possédés : « Ce n’est pas la technique qui nous asservit, c’est le sacré transféré à la technique qui nous empêche d’exercer notre esprit critique sur le développement humain ». Nous avons reporté la sacralisation de la nature sur la technique. Sacraliser n’est pas tant adorer religieusement que surestimer la technique, que la croire indispensable et vitale.
La difficulté que nous avons à penser la technique sur le temps long… nécessite d’y porter un regard anthropologique. L’idéologie technicienne n’est pourtant pas née avec l’industrialisation… La technique est depuis toujours liée à la chute, comme le rappelle le mythe de Prométhée. L’idéologie technicienne est consubstantielle à l’homme et s’est développée peu à peu, au fil du temps, palier par palier…
Pour Joël Decarsin, on ne peut pas s’improviser technocritique. C’est un travail d’ascèse intellectuelle, qui nécessite de faire des rapprochements entre des choses qui semblent ne pas avoir de rapports entre eux. Faire naître une communauté technocritique suppose de vaincre nos déterminismes.
De la révolte contre la technique
Traductrice, journaliste, philosophe, chercheuse, activiste… Célia Izoard est une des meilleures spécialistes de la critique technologique. Traductrice de Noam Chomsky, de Howard Zinn ou de David Noble pour les éditions Agone, militante notamment dans feu le groupe Oblomoff, un collectif critique du rôle de la recherche scientifique dans la société, on lui doit des dizaines d’articles sur l’activisme et la rébellion, qu’elle regarde à la fois dans une perspective historique et sur le terrain des luttes.
Dans son intervention sur la scène de la conférence Sciences critiques, Célia Izoard tente de faire un état des lieux de la résistance à l’emprise de la technologie et du capitalisme : à quels alliés s’associer ? « L’informatisation de nos sociétés nous a longtemps été présentée comme un dépassement du capitalisme industriel, alors qu’il l’a surtout réenchanté, notamment avec la nouvelle économie ». L’économie immatérielle a accéléré les pires tendances du système capitaliste : la pollution, l’extractivisme, la marchandisation de la vie quotidienne, la surveillance, la spoliation des plus pauvres par les plus riches… Le numérique et la numérisation du monde sont le chantier industriel du siècle.
« Mais pourquoi ne casse-t-on pas les machines aujourd’hui ? », interroge celle qui a été inculpée pour la destruction de machines biométriques à la cantine du lycée de Gif-sur-Yvette en 2005. Pour l’activiste, la bataille a été perdue… Nous avons incorporé les machines dans nos vies affectives, professionnelles, administratives… Le numérique est devenu un fait social, et il est désormais « aussi difficile de casser un ordinateur que de brûler un billet de banque », constate-t-elle en soulignant la faiblesse de la diffusion de la critique face à l’ampleur de la propagande commerciale de la technique. Pourtant, s’attaquer aux machines reste le moyen pour interrompre les processus en cours, freiner l’extension du filet numérique et les grands projets industriels que sont la robotisation, l’automatisation, l’intelligence artificielle, la 5G, les véhicules autonomes, les objets connectés ou la relance de la conquête spatiale… S’opposer demeure un moyen de briser les monopoles de propositions que font les acteurs de la technologie. S’opposer n’est pas seulement un moyen de donner voix à une critique, c’est aussi un moyen de faire une autre proposition… et de contester celles qui arrivent, comme le projet de loi d’orientation des mobilités qui promeut pour demain le véhicule autonome, cette « catastrophe écologique ».
Sur le chemin de la contestation, nous ne sommes pas sans alliés, car la critique technique est plus vive qu’on ne veut le voir, estime Célia Izoard, qui prend l’exemple des compteurs Linky en remerciant ironiquement l’État d’avoir rendu ces nouveaux compteurs obligatoires. La fronde à l’encontre du compteur a été spectaculaire et inattendue. L’objet a cristallisé une très vive critique, multiple. Il est à la fois le symbole du lien entre l’informatisation et la précarisation (notamment des agents chargés du relevé). Il est aussi celui de l’obsolescence des nouveaux objets techniques (par rapport aux anciens compteurs), comme de la surconsommation ou de la pollution. Il est bien sûr également le symbole des nouvelles formes de surveillance et du profilage marketing, voire policier, qui s’inscrit jusqu’au coeur des pratiques intimes des familles et des individus. À ce jour, plus de 800 communes ont délibéré contre l’obligation à s’équiper de compteurs (voir la liste sur la plateforme opérationnelle anti-linky ou sur le site de refus de tout type de nouveaux compteurs de surveillance). À travers toute la France, des gens, avec des appartenances politiques et sociales très variées, refusent l’installation des nouveaux compteurs malgré les lettres de menace, se forment politiquement et s’organisent collectivement via des pétitions, des attaques en justice… mais aussi des actions, allant d’incendie de véhicules d’installateurs à des manifestations au siège d’Enedis à Toulouse. Le PDG d’Enedis se vantait que le compteur Linky devienne le premier objet connecté massivement diffusé : il a été surtout le plus largement contesté !
Pour Célia Izoard, un autre sujet est en train de faire monter la contestation : le déploiement de la 5G. Or, la 5G est l’infrastructure du monde numérique de demain, c’est le réseau de l’internet des objets à venir. Dernièrement, un appel international de scientifiques et d’associations écologistes a donné le premier relai d’une critique contre l’inutilité d’une telle puissance de rayonnement. Reste à savoir si cette contestation sur des principes sanitaires saura s’étendre à d’autres enjeux, comme l’évoquait récemment Irénée Régnauld sur Mais où va le web ?
En attendant que cette contestation prenne de l’ampleur, l’organisation de la contestation contre les compteurs Linky a été efficace. À Albi quelque 450 personnes ont empêché 1/4 des installations prévues. Les activistes sont mêmes venus tancer le député Cédric Villani lors d’une visite à Albi en s’en prenant à quelques symboles : « Compteurs Linky, 5G, Véhicules autonomes : c’est pas bientôt fini les conneries ! » Ces manifestations sont un moyen d’envoyer des signaux forts au milieu d’affaires qui promeuvent ces projets. Dans la région d’Albi, des groupes mènent des actions et organisent des moments d’information sur des sujets au croisement des technologies et de l’écologie et mènent des actions à l’encontre de la dématérialisation des services publics.
Pour Célia Izoard, ces exemples parmi d’autres montrent que la technocritique a des alliés. Que si cette lutte semble dérisoire, car inégale, le constat qu’elle dresse est tragique. Il y a d’autres alliés encore… Que ce soit les jeunes ingénieurs et chercheurs qui s’interrogent, se révoltent ou désertent, à l’image du manifeste d’étudiants de grandes écoles pour un réveil écologique, qui sonne comme une dissonance cognitive chez les jeunes appelés à faire tourner la machinerie technologique à l’heure de sa critique. En décembre 2018, à Toulouse, lors du forum de robotique agricole qui promeut, comme son nom l’indique, la robotisation de l’agriculture, afin que la terre ne voie plus jamais une main humaine, un des responsables du groupe John Deere a été interrompu par des paysans, se revendiquant comme d’anciens ingénieurs et informaticiens, venus expliqué pourquoi ils ont déserté ces métiers et leur refus de voir l’agriculture colonisée par des techniques qu’ils ont rejetés (lire leur tribune sur Reporterre et une autre sur Information anti autoritaire Toulouse et alentours ). Ces paysans qui se sont opposés au puçage électronique des animaux (notamment via le collectif « faux pas pucer » qui s’élève contre cette obligation) évoquent l’artificialisation et l’électronisation de la vie malgré les menaces et les sanctions qui pèsent sur eux. Le puçage n’est que le premier pas d’une agriculture toujours plus productiviste et industrialisée, répètent-ils, et la robotisation son aboutissement. D’autres collectifs encore organisent des formes de dissidence, comme l’atelier d’écologie politique, le collectif Osef (opposition à la startupisation de l’économie française) ou encore le collectif Ingénieurs sans frontières – Systèmes extractifs, des ingénieurs miniers qui dénoncent l’extractivisme du secteur, en montrent les impacts (par exemple via la cartographie des mines, PanoraMine) et organisent la résistance des géologues et ingénieurs (voir leur interview dans le dernier numéro de l’excellente revue Z, une revue à laquelle participe Célia Izoard et dans laquelle elle signe des articles sur les liens entre l’extractivisme minier et le productivisme, un reportage sur la contestation du projet Montagne d’Or – « Les multinationales n’ont jamais affranchi aucun peuple de la domination coloniale » ou encore une passionnante enquête sur les liens entre le Centre spatial et la colonisation). L’enjeu pour ces derniers consiste à dénoncer l’impact des grands chantiers miniers et leurs ravages en terme environnementaux afin de mettre en visibilité l’un des principaux problèmes à la source de la production de technologie.
Pour Célia Izoard, il est plus que nécessaire de faire converger tous les aspects de la critique technologique : écologique, énergétique, sociale, politique… comme le pointait plus tôt François Jarrige.
Documenter et construire la résistance à la technique
Cédric Biagini est le cofondateur des éditions de l’Echappée… et confesse, étrangement, vu leurs publications : « On ne s’est jamais dit éditeur technocritique ». La maison d’édition se revendique plutôt d’une « critique sociale ». Pourtant le qualificatif lui sied, s’amuse l’éditeur, même si elle pourrait s’appliquer à bien d’autres éditeurs, des précurseurs de l’Encyclopédie des nuisances aux éditions la Lenteur, le monde à l’envers, le passager clandestin, Agone… ou à la collection « Anthropocène » du Seuil
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