Le monde d’après l’intelligence artificielle

Loin de vouloir dresser une terrifiante anthologie dystopique type Black Mirror, cet article va tenter de se pencher sur les différentes avancées technologiques dans le cadre des recherches sur l’intelligence artificielle.

Les innovations dans le domaine touchent à l’entièreté des sphères de nos vies actuelles.
Tant elles sont nombreuses et quotidiennes, cette liste demeurera non exhaustive.

Des associations pour générer notre futur

Une intelligence artificielle qui produit de l’art, c’est désormais possible. Dall-E est un logiciel en open source qui propose à ses utilisateurices de générer des images sur base des textes proposés par les internautes et dont, vous apprécierez probablement la cynique et dystopique dénomination.

Un outil ludique et amusant au premier abord qui peut se révéler dangereux sous plusieurs aspects. En effet, kyrielle d’artistes se plaignent déjà d’avoir été lésé.e.s de leur propriété intellectuelle. Car pour produire ces images, Dall-E compose un agrégat d’images déjà créées qu’il compilera pour en faire une nouvelle. Ainsi, toutes les images utilisées par le logiciel sont des productions d’artistes qui mériteraient rétribution. Force est de constater que ce n’est pas encore le cas.
De plus, les images produites par l’algorithme sont si réalistes selon les demandes, qu’elles pourraient, si utilisées à dessein, être utiles à la création de fakes news. Un nouveau terme a même été mis au point pour décrire ce risque : le
deep fake ou l’hypertrucage.

Nous vous mettons, ci-dessus, quelques-unes de ces images produites par Dall-E. Toutes ses “créations” sont donc, à l’origine, des phrases des internautes, “mises en images” par Dall-E; bien qu’il s’agirait plutôt de vol et d’agglomérat d’images trouvées sur Google, pour être plus précis.

Le cousin de Dall-E, ChatGPT, développé par la même compagnie, est l’un des chatbots les plus impressionnants à l’heure actuelle. Un chatbot, c’est quoi ? Ce sont ces nouveaux logiciels qui permettent à des humains de converser par écran interposé à des ordinateurs, qui paraissent étonnamment humains. ChatGPT est si performant qu’il vous permet de rédiger vos lettres de motivation, CV, productions artistiques, rédiger vos listes de courses, préparer vos menus pour la semaine, voire même écrire cet article. Récemment, un professeur d’une université de Lyon a même remarqué que la moitié de ses élèves de master avaient rendu un travail réalisé grâce à ChatGPT. Le règlement de l’université n’interdisant pas la démarche, le professeur s’est retrouvé à donner la note de 11,75/20 à une application.
Ces algorithmes reposent sur un concept assez simple et novateur dans l’intelligence artificielle : des
logiciels auto-apprenants. En effet, désormais, nombre d’ordinateurs sont capables, singeant la méthode scientifique : d’avancer et d’explorer leur réalité à base d’essais/erreurs. En s’inspirant d’Internet (comme Dall-E) ou de base de données préconçues (comme ChatGPT qui n’a pas accès à Internet mais à une banque de données gargantuesques. Par exemple, l’entièreté de Wikipédia a été analysée par ses algorithmes.)

Ces deux applications ont été créées par Open AI, une société dirigée par Elon Musk et Sam Altman. Fondée en septembre 2015, elle fut, jusqu’en mars 2019, une association sans but lucratif dont le but est de “s’assurer que l’intelligence artificielle bénéficie à toute l’humanité“. Open AI est désormais une entreprise à but lucratif “plafonné” et, a fortiori, lorsque l’on apprend qu’elle est valorisée à 29 milliards de dollars en 2023, l’on comprend sans doute pourquoi. Le tout via un fond initial de 100 millions de dollars, fournis notamment par Microsoft, l’association caritative de Reid Hoffman (co-créateur de Linkdn, une fortune estimée à 2,4 milliards selon Forbes en 2021) ainsi que Khosla Ventures, un fonds d’investissement généreusement doté d’un portefeuille de 15 milliards de dollars d’actifs.
Avec un tel florilège d’industriels néolibéraux à l’instinct de lucre aiguisé par des années de pratique, nul doute que l’avenir de l’intelligence artificielle est entre de bonnes mains et ce pour “toute l’humanité”.

Une justice 3.0

Le monde juridique lorgne aussi tout particulièrement sur les avancées technologiques de l’intelligence artificielle.

Les projets vont bon train pour le parachèvement de la justice algorithmique ou prédictive. Selon les théories de cette dernière, il serait possible d’atténuer la précarisation de la justice en y incorporant l’aide de l’IA. Ainsi, en 2016, les résultats d’une étude assez étonnantes ont été publiés. En croisant faits, théories juridiques et arguments des parties, l’algorithme mis au point a pu rendre les mêmes décisions que le juge humain dans 8 cas sur 10.
Ces résultats laissent entrevoir une justice qui s’appuierait sur les avancées technologiques pour accélérer ses procédures et donc
désengorger ses tribunaux. Chaque médaille ayant malheureusement son revers, nous sommes en droit de nous questionner sur les risques d’une telle justice. Car en effet, comment espérer des avancées sociales, comment espérer un avancement de la jurisprudence quand les arrêtés rendus le seraient selon des algorithmes basés, eux, sur des statistiques. On est d’autant plus en droit de s’inquiéter lorsque l’on sait le nombre de statistiques pénales biaisées selon les pays. On pourrait par exemple s’inquiéter d’une telle justice aux États-Unis, lorsqu’on connaît le biais racial des données carcérales.
En France, depuis 2020, l’expérience de la justice algorithmique s’effectue avec DataJust, censée apporter une
assistance aux magistrats en recensant :  “les montants demandés et offerts par les parties aux instances, les évaluations proposées dans le cadre de procédures de règlement amiable des litiges et les montants alloués aux victimes par les juridictions.”
Cette procédure a été
validée par le Conseil d’État, malgré une plainte déposée par la Quadrature du Net.
L’association, craint pour le
respect de notre vie privée. Car en effet, DataJust puise dans la base de données judiciaires qui comporte des informations personnelles sur les parties (nom, prénom, profession, dates de naissances, salaires, etc.). Bien qu’une partie soit anonymisée, ce n’est pas le cas pour toutes les informations. Le tout, sans l’accord des personnes concernées; une pratique, qui ne respecte donc absolument pas le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).
En dehors de la justice, c’est également les
services de police ou encore la caisse d’allocations familiales qui semblent être intéressés par le projet expérimental.

 La mort dépassée par le numérique ?

Les progrès technologiques en viennent désormais à bousculer nos conceptions ontologiques. Notamment, notre rapport à la mort qui est questionnée de plus en plus souvent. Ainsi, sur Facebook, il y aura bientôt plus de profils de personnes décédées que vivantes. Ce qui peut parfois poser question quant à l’utilisation de la page de la personne en question. C’est pourquoi, il est désormais possible de la transformer en “cérémonial” d’hommage à la personne perdue.
Plus récemment et plus perturbant encore, ces avancées en Corée du Sud qui ont permis, en 2020 à une mère qui avait perdu sa fille de pouvoir la retrouver …
à travers un casque de réalité virtuelle.
Au-delà de nous acculer dans nos fondements éthiques de la mort, ces avancées auront au moins le mérite de nous questionner sur les différentes possibilités de deuil que peuvent nous offrir ces technologies. Qui ne seront, sans doute, pas au goût de tout le monde.

Dans un autre registre et pour revenir au grand gourou de la tech, j’ai nommé Elon Musk, ce dernier n’est pas en reste quant à la course effrénée à la survie numérique de l’espèce. Notamment via une autre de ses sociétés : Neuralink. Cette dernière a pour objectif de développer des puces que l’on intégrerait à nos cerveaux afin de pouvoir accroître nos performances neuronales ou soigner la schizophrénie, la paralysie ou encore la cécité. La pression qu’Elon Musk met sur ses employé.e.s aurait déjà mené à la mort de 1.500 animaux (singes et cochons notamment) dans les laboratoires de la société.
Comme expliqué par le schéma ci-dessous, le principe de la puce implantée dans notre cerveau nous permettrait d‘interagir mentalement avec notre ordinateur via bluetooth. Une puce que l’on rechargerait la nuit, en plaçant un appareil sous notre oreiller. Les premiers tests sur des humains devraient débuter mi-2023 selon Elon Musk lui-même.

L’année passée, grâce à cet implant, Pager, un singe âgé de 9 ans, a pu jouer au ping-pong sur sa console, uniquement par l’usage de la pensée. Une avancée dont Elon Musk n’a pas manqué de se targuer. Seulement, cet exploit fut déjà réalisé en 2016 sur une néerlandaise souffrant d’une sclérose latérale amyotrophique (une maladie dégénérative, celle dont souffrit également Stephen Hawking).

Un coût écologique exponentiel

On ne pense bien souvent qu’aux algorithmes lorsque l’on parle des intelligences artificielles. Sauf que pour fonctionner, ces dernières ont besoin du réseau numérique que l’on sait énergivore. Les data centers, ou centre de stockage, vont être amenés à stocker un nombre croissant de données car les capacités de calculs ne font que progresser à un rythme effréné. Le nombre total de données double tous les deux ans. On estime ainsi qu’entre 2012 et 2018, les calculs nécessaires au deep-learning ont augmenté de 300.000%.
Des chercheurs de l’université du Massachusset ont étudié le coût écologique de quatre des modèles d’IA les plus performants (et donc énergivores) : GPT-2, Elmo, BERT et Transformer. Leurs résultats ? Pour arriver à développer ces modèles c’est
282 tonnes de CO² qui sont nécessaires, soit cinq fois plus qu’une voiture américaine de sa création à sa destruction.

A l’aune de ces chiffres astronomiques et constamment en croissance, nous sommes en droit de nous questionner sur l’impact imminent des intelligences artificielles et leur lourde structure énergivore. Ces géants de la Tech, voulant “changer le monde” en nous faisant entrer dans une nouvelle ère numérique, pourraient tout aussi bien accélérer l’effondrement de nos acquis sociaux, déjà en danger ainsi que d’accentuer une fracture économique déjà béante. Il nous incombe, donc, de rester vigilant.e.s sur les années à venir.

pour.press