Comment faire pour résister aux discours politiques
Les deux articles qui suivent sont tirés de la revue mensuelle –n° 161- sortie en avril 2021 par « l’âge de faire »
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La 5G, tu n’en veux pas. Tu as beau en être absolument convaincu·e, il n’est pas toujours facile de répondre au discours dominant établi par ses promoteurs. T’y opposer fait donc de toi un·e marginal·e exposé·e aux quolibets… sauf si tu montres à ton interlocuteur à quel point ses arguments sont creux, et qu’il les reprend vraisemblablement sans y avoir vraiment réfléchi. Parce que, disons-le : s’il y a bien un truc de ridicule, avec la 5G, ce sont les arguments de ses promoteurs. Voici quelques prises d’aïkido oratoire anti-5G.
On n’arrête pas le progrès ! La 5G, c’est le progrès !
>>> La première question à poser à ton interlocuteur·rice est peut-être de savoir ce qu’il entend exactement par « progrès ». Généralement, il sera bien embêté, car ces phrases sont plus des mantras que de réelles réflexions. Mais bon, sa réponse, au final, pourra certainement se classer dans l’une de ces deux grandes catégories :
– « Le progrès = les innovations technologiques » : et vice versa ? En effet, ce qui est sous-entendu ici, c’est qu’une innovation technologique est, en soi, un progrès. Admettons que la mise au point du cachet de paracétamol, de la guitare sèche ou de la pompe à insuline constitue d’appréciables évolutions. L’invention du glyphosate et de la mine antipersonnel paraissent nettement moins sympathiques. Toute innovation technologique n’est donc pas souhaitable.
– « Le progrès = la longue évolution de l’humanité qui lui a permis de vivre de mieux en mieux. » Admettons, avec un masque sur le nez, que nous vivions mieux aujourd’hui qu’il y a 1000 ou 2000 ans. Est-on sûr de vivre mieux qu’il y a 50 ans, c’est-à-dire avant l’emballement de la société de consommation ?
La 5G va permettre de formidables innovations !
>>> Demande lui donc de quelles innovations il parle. Il a de fortes chances de reprendre à son compte l’un des trois arguments rabâchés à longueurs d’ondes mainstream par les pro-5G :
– La voiture autonome : ça n’est rien d’autre qu’un taxi ou un VTC sans le chauffeur qui va avec. À part la destruction d’un emploi, on ne voit pas l’intérêt fondamental d’une telle innovation.
– On pourra télécharger beaucoup plus vite : oui, mais tu auras beau pouvoir télécharger un film en 2 secondes, il te faudra toujours environ 1h30 pour le regarder. Quand t’auras téléchargé 45 heures de vidéo en 1 minute, t’auras l’air malin !
– La téléchirurgie : en quoi le fait que le chirurgien ne soit pas dans la même chambre que le patient qu’il opère constitue un « progrès » ?!
Tu dis que t’es contre la 5G, mais toi, t’as bien un portable !
>>> Plusieurs façons de répondre, selon le degré d’amitié que vous avez avec votre interlocuteur :
1/ Bah non, j’ai pas de portable. (réponse réservée aux Amish·es).
2/ Oui, et quand je vois tout ce que je peux faire avec la 4G, ça me suffit amplement.
3/ Et toi tu as une lampe de chevet et pourtant tu es contre le nucléaire.
4/ Je suis un peu obligé-e d’en avoir un. Mais avant l’invention du moteur à explosion, aucun patron n’exigeait que tu aies le permis de conduire pour être embauché.
La Chine et les États-Unis l’ont fait. Si on ne le fait pas, on va prendre du retard !
1- La compétition de tou·te·s contre tou·te·s nous a menés dans l’impasse écologique dans laquelle nous nous trouvons. Il serait peut-être temps de passer à autre chose, non ?
2- Doit-on nécessairement suivre la route tracée par la Chine de Xi Jinping et les États-Unis de Donald Trump ? (Attention, la réponse se cache peut-être dans la question.)
3- Les mêmes discours étaient tenus au moment de l’arrivée des OGM. Finalement, il n’y a pas de culture de plein champ d’OGM en France, et on ne s’en porte pas plus mal.
C’est écologique, puisqu’une antenne 5G consomme moins d’électricité pour transmettre une même quantité de données.
1- La 5G ne va pas remplacer les réseaux existants, elle va s’y ajouter. Fatalement, la consommation globale des réseaux sans fil sera donc plus importante avec la 5G que sans. [Argument parfaitement adaptable à la question de l’exposition aux ondes, comme nous le verrons plus loin].
2- Comme tu pourras télécharger plus vite, tu téléchargeras beaucoup plus : c’est l’inévitable effet rebond, qui va faire bondir les téléchargements et la consommation d’énergie.
3- Le réseau 5G augmenterait la consommation électrique du pays de 2 %, soit la production d’un réacteur nucléaire et demi, rien que pour la France. Pour pouvoir télécharger plus vite, es-tu prêt à rouvrir Fessenheim ?
Les ondes de la 5G ne posent pas de problème de santé
>>> Tu peux la jouer naïf (réponse 1), sarcastique (2), factuel (3) ou intuitif, à ta guise.
1- Si tu as des informations là-dessus, cours vite le dire aux scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) : eux ont avoué qu’à l’heure actuelle, ils n’en savent absolument rien.
2- Tu as raison, ça ne pose pas de problème de santé. En tout cas pas plus que le tabac dans les années 60, l’amiante dans les années 80 et le glyphosate dans les années 2000.
3- La 5G ne va pas remplacer les réseaux existants, elle va s’y ajouter et donc mécaniquement augmenter l’épaisseur du brouillard électromagnétique.
4- Je croirai ceux qui me disent que les ondes téléphoniques n’ont pas d’effets sur le vivant quand je verrai des oiseaux se poser sur des antennes relais*.
* Argument piqué à une personne venue assister à une conférence sur la 5G. C’était il y a plus d’un an. Depuis, j’y fais attention et n’ai effectivement jamais vu le moindre piaf sur une antenne relais.
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Comment résister aux discours politiques
Décryptons trois des dernières interventions sur la 5G de ministres ou du président de la République pour déjouer les stratégies destinées à nous faire avaler leur couleuvre connectée.
1- Pour épargner le gouvernement et l’industrie, rejeter la responsabilité sur les citoyen-nes, quitte à placer ces dernier-es en pleine dissonance cognitive.
Barbara Pompili a superbement utilisé cette stratégie, le 14 décembre 2020, à l’occasion d’une rencontre avec les membres de la Convention citoyenne pour le climat – qui réclamait un moratoire sur la 5G. La ministre de la transition écologique en a appelé à la responsabilité individuelle : « Il y a eu la 2G, la 3G, la 4G, la 5G… Moi, je ne crois pas du tout au fait qu’on puisse arrêter ça. Par contre, je crois qu’on doit s’interroger sur la manière dont on se sert du numérique. Maintenant, plus personne ne proteste quand on dit qu’il faut fermer l’eau quand on se lave les dents. Je crois qu’on est sur la même chose avec le numérique. » Selon Pompili, donc, ni le gouvernement ni personne n’est pas en mesure d’arrêter l’industrie dans sa volonté d’aller toujours plus vite, toujours plus loin, en consommant et polluant toujours plus. D’ailleurs, l’État fait tout ce qu’il peut, semble-t-elle indiquer : « On essaye d’expliquer aux gens que ce n’est pas parce que la 5G est arrivée qu’il faut se débarrasser de son [changer de] téléphone. » On ne sait pas trop où le gouvernement explique tout ça aux gens. En revanche, personne n’a pu échapper au matraquage publicitaire des opérateurs nous encourageant à passer à la 5G. Or, rappelons qu’un forfait 5G ne peut-être utilisé qu’avec un smartphone compatible, dont les premiers modèles ont été commercialisés fin 2020. Pour l’utiliser, il faut donc bien « se débarrasser de son téléphone » pour en acheter un neuf.
Alors que ce réseau de nouvelle génération nécessite la mise en service de centaines de milliers d’antennes, que ce réseau va consommer des quantités extravagantes d’électricité, qu’il va entraîner la construction de milliards de smartphones, la ministre conclut, en s’adressant aux 150 de la Convention qui soupçonnent que ce ne soit pas très bon pour l’environnement : « Videz vos boites mails, ce serait déjà pas mal. »
>>> Décrypter l’arnaque à l’aide d’une image simple : avec ce discours, c’est comme si le gouvernement construisait des autoroutes à travers tout le pays mais rendait ensuite ceux qui les utilisent seuls responsables de la pollution automobile.
2- Enfermer les citoyen·nes dans un choix binaire (et imaginaire) : soit on avance avec la 5G, soit on recule.
Nous avions déjà eu droit au « nucléaire ou la bougie ». Avec Macron, c’est la 5G ou « la lampe à huile » : « La France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. Et j’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile… Je ne crois pas au modèle amish ! » Le chef de la « Start-up nation » met ici au grand jour son immense manque d’imagination : sans le projet 5G, le voilà complètement démuni. Il cherche donc à nous enfermer dans un faux débat : doit-on aller de l’avant avec la 5G ou aller vers l’arrière en ne développant pas ce réseau. Comme s’il n’y avait pas une infinité d’autres choix possibles !
>>> Montrer que ce type de « développement » est un choix, et que d’autres solutions sont possibles. Pour l’électricité, par exemple, la France a fait le choix du nucléaire, pendant que d’autres privilégiaient l’hydraulique ou le charbon. Et pendant que d’autres, encore, privilégiaient la sobriété. C’est par exemple le choix fait par… les Amishs, et qui nous aurait évité bien des « problèmes contemporains ».
3- Faire passer une idéologie pour une vérité indépassable.
Auditionné par la commission du développement durable au Sénat, Cédric O, secrétaire d’État au numérique, a commencé par affirmer qu’il n’y aurait pas de transition écologique sans numérique : « Nous avons besoin de connecter beaucoup plus d’objets pour être plus efficaces, c’est-à-dire pour faire autant, voire plus, en consommant moins. Ceci est également vrai pour l’énergie elle-même : il n’y aura pas de smart grid et de réseaux distribués, avec des cellules de production photovoltaïques ou éoliennes, sans une numérisation massive, une utilisation également massive de l’intelligence artificielle et un développement de la connexion des objets, y compris via la 5G. » Le sénateur André Salmon lui fait alors remarquer que ce qu’il vient de dire ne constitue pas une vérité indépassable, mais un choix politique [voir ci-dessus] : « Il existe d’autres modèles de société : des sociétés low-tech, des sociétés avec des circuits courts, des sociétés avec une souveraineté… C’est possible. Je ne vous dis pas que c’est souhaitable – sinon, je risque d’être traité d’Amish – mais que c’est possible, que c’est un choix. » Après une première fausse réponse, le sénateur Salmon a de nouveau tenté de lui faire admettre (ou de lui faire comprendre, peut-être) qu’il s’agissait bien d’un choix. Réponse outrée de Cédric O : « Il y a plus de monde sur cette planète, ils consomment plus, et on a une planète limitée. Soit on est plus efficaces, soit on décide qu’il faut tuer tous les vieux, soit on décide qu’il faut contraindre les naissances. Mais à un moment, c’est mathématique. Donc on peut dire, il y a d’autres possibilités, effectivement, il y a d’autres modèles démocratiques : on pourrait tous être sous la royauté ou en dictature. »
>>> C’est quasiment la lutte du bien (la démocratie et la 5G) contre le mal (sans la 5G, la dictature ou la royauté) que nous annonce Cédric O. Le problème, c’est que les faits montrent plutôt l’inverse : le pays le plus avancé dans le déploiement de la 5G est la Chine qui devient, justement, et grâce à la 5G, une véritable dictature 2.0*.
* Lire à ce sujet le livre de Kai Strittmatter, Dictature 2.0, quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde), éd. Tallandier.
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