À la prochaine rentrée scolaire, l’intelligence artificielle fera son entrée au lycée, s’inquiète Jean-Michel Djian
Le journaliste et écrivain s’étonne « qu’une telle initiative ne suscite aucun débat de fond philosophique, politique ou critique sur son opportunité ». Selon lui, « personne ne comprend pourquoi on autorise aussi facilement le loup algorithmique à entrer dans la bergerie de l’esprit ».
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C’est passé presque inaperçu mais l’affaire est sérieuse : dès la prochaine rentrée scolaire, l’intelligence artificielle prendra ses quartiers au cœur même du système éducatif. Elle permettra à des modules interactifs adaptatifs (MIA) d’accompagner des élèves de seconde en français et en mathématiques, disciplines caractérisées par un niveau et un intérêt globalement alarmants.
Si le volontariat sera de mise dans l’application du dit programme, on imagine mal comment un adolescent pourra résister à sa formidable attraction. Pour ce qui est de l’enseignant, c’est une autre affaire… Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a donc annoncé le 5 décembre 2023 le recours à ces algorithmes sophistiqués capables de proposer 20 000 exercices « adaptatifs », évidemment développé par un prestataire extérieur.
Non au « techno-solutionisme »
Il est tout de même curieux qu’une telle initiative ne suscite aucun débat de fond philosophique, politique ou critique sur son opportunité. À l’heure où tous les acteurs de la communauté éducative sont vent debout pour dénoncer les dégâts causés par l’utilisation abusive des écrans, comme des catastrophes psychologiques qu’elle induit, la décision de recourir à l’IA semble aller de soi.
L’idéologie du progrès techno-numérique est en effet devenue si envahissante qu’il ne viendrait l’idée à personne de la contrarier. C’est pourtant ce que fait le chercheur Aurélien Barrau, brillant philosophe mais aussi directeur du centre de physique théorique de Grenoble qui s’élève contre le « techno-solutionisme », cette réponse « rationnelle » apportée systématiquement à tous les problèmes sociétaux.
Alors que l’école est désormais rehaussée au rang de priorité nationale par le président de la République et son nouveau Premier ministre, que le métier d’enseignant est dévalorisé sinon décrié, que beaucoup de parents ont transféré la presque totalité de la charge mentale éducative à l’institution scolaire, tout semble bon pour se décharger plus encore du devoir d’éducation en ouvrant grandes les portes aux industriels de l’intelligence artificielle.
Tsunami civilisationnel
Plus personne ne comprend pourquoi on autorise aussi facilement le loup algorithmique à entrer dans la bergerie de l’esprit. Surtout quand, dans le même temps, le pouvoir politique cherche la martingale pour responsabiliser, incarner et surtout humaniser le système éducatif.
La force de frappe des multinationales du soft power a donc gagné. Elle semble sans limite, invincible, inattaquable. Elle domine le monde au point de se soustraire à l’anxiété générale qui agite la planète. En face d’un tel tsunami civilisationnel, que fait la puissance politique sinon surfer sur l’air du temps et aller dans le sens du vent ? Et alors que l’intelligence artificielle n’en est qu’à ses balbutiements, il faut tout de même savoir que le secteur numérique (biens électroniques, utilisations de terminaux, datas centers et réseaux) a produit en 2021 entre 3 et 4 % des émissions mondiales de CO2 se plaçant devant le secteur aérien civil. On n’est plus à une contradiction près.
Sous emprise
Dans Les ingénieurs du chaos (Lattès 2019), Giuliano Da Empoli faisait déjà le constat que l’univers de la politique était de mèche avec celui de la « tech » au point de l’imaginer « sous emprise ». On le croit volontiers.
Mais alors, qui va pouvoir penser haut, produire une méta-pensée contrariante et contraignante sur le sujet s’il est déjà trop tard ? Personne. Il y aura toujours quelqu’un de plus intelligent encore pour rétorquer : qui est prêt à se passer de l’intelligence artificielle si c’est pour vous sauver la vie dans un bloc opératoire ? C’est tout le problème.
Ouest-France
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Deux remarques à propos du passage suivant :
« En face d’un tel tsunami civilisationnel, que fait la puissance politique sinon surfer sur l’air du temps et aller dans le sens du vent ? Et alors que l’intelligence artificielle n’en est qu’à ses balbutiements,… »
L’utilisation de l’intelligence artificielle par les partis politiques peut faire craindre pour la démocratie. A mettre en parallèle avec le thème qui sera étudié lors des assises de l’attention à Paris le 27 janvier : « quelle démocratie à l’ère du numérique ? »
Dire que l’IA n’en est qu’aux balbutiements ne correspond pas vraiment à la réalité : il faut savoir que l’IA est déjà dans les cartons. Mais on distille cette révolution à petite dose pour ne pas effrayer les citoyens.
Cela fait immédiatement penser à la fable de la grenouille ébouillantée – si souvent utilisée par nos politiciens. Comme disait une amie : « On peut même dire que c’est LA technique pour nous faire « accepter » les choses, pire, en être demandeur souvent. »
Pour rappels :
http://vadeker.net/humanite/apercu/survivre/s
https://www.futura-sciences.com/planete/actua
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Commentaire reçu
La seule cause parmi celles que nous défendons et dont on parle est le désastre de l’addictiion des écrans sur les enfants… de plus en plus et c’est tous les jours maintenant dans les journaux, à la télé (même Macron a osé abordé ce sujet !), tout en poussant les « grands enfants » à aller TOUTES ET TOUS sur leurs écrans du matin au soir pour toutes démarches – donc à TOUT électronumériser. C’est bien là le problème civilisationnel mondial car il n’est pas que français. (Ne parlons pas de la grande hypocrisie des pontes de la Silicon Valey et de la dictature chinoise qui SE RESSEMBLENT, poussent au même crime éléctronumérique extractiviste catastrophique (et sanitaire, libericide etc). et qui sont donc de parfaits faux-cul oposés EN APPARENCE sous la bannière capitaliste du MEME technototalitarisme électronumérique.
Y’a pas une ENORME contradiction quelque part ?
Il y aura un débat sur ce sujet à Paris le 27 au cours des Assises de l’attention