ICNIRP = Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants
Article sur le site de Michèle RIVASI
Que dit le rapport des députés européens Klaus Buchner et Michele Rivasi sur l’ICNIRP ?
L’ICNIRP se présente, et est décrite par la Commission européenne et dans les médias, comme une commission indépendante donnant des conseils basés sur des preuves scientifiques. Nous pensons que plusieurs raisons exposés dans notre rapport remettent en question cette vision.
La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) est une organisation privée de droit allemand située près de Munich, résidant à l’Office fédéral allemand de protection contre les rayonnements et fournissant depuis sa création en 1992 des avis et des conseils scientifiques sur les effets sanitaires et environnementaux des rayonnements non ionisants. L’OMS, la Commission européenne et la plupart des pays utilisent les lignes directrices de l’ICNIRP pour les limites d’exposition aux champs électromagnétiques, publiées en 1998.
La composition de l’ICNIRP est très unilatérale et déséquilibrée. Avec un seul expert médical (qui n’est pas un spécialiste des effets des rayonnements sans fil) parmi les 14 membres de la Commission ICNIRP, et un nombre très restreint d’experts de formation médicale au sein du Groupe d’Experts Scientifiques (SEG), nous pouvons dire que l’ICNIRP a été, et est toujours, dominée par des spécialistes des sciences physiques, ce qui n’est peut-être pas la composition la plus sage lorsque votre mission consiste à donner des conseils sur la santé et la sécurité humaines aux gouvernements du monde entier. Comme on peut le lire dans les portraits des membres de la Commission de la ICNIRP et du SEG, tous partagent la même position sur les questions de sécurité : les rayonnements non ionisants ne présentent aucune menace pour la santé et les seuls effets admis sont thermiques.
L’ICNIRP défend le dogme que les seuls effets prouvés sont les effets thermiques. Plusieurs experts en champs électromagnétiques (CEM) ont souligné à de nombreuses reprises ces dernières années que l’ICNIRP rejette à tort certaines études scientifiques montrant des effets néfastes sur la santé – comme les conclusions du programme national de toxicologie américain (NTP) qui a montré que les rats et les souris présentent des cancers après exposition à des rayonnements téléphoniques – et s’en tient de manière presque dogmatique à la conviction que les rayonnements non ionisants ne présentent aucune menace pour la santé et que les seuls effets sanitaires possibles sont thermiques en cas de rayonnement intense.
Même après les nombreuses critiques des membres de la communauté scientifique mondiale, l’ICNIRP reste fidèle au paradigme selon lequel les seuls effets prouvés sont thermiques. « L’ICNIRP semble ne prendre en compte que le réchauffement des tissus et les contractions musculaires incontrôlées, bien qu’elle affirme dans ses derniers avis avoir également évalué d’autres mécanismes », écrit par exemple le professeur néerlandais Hans Kromhout de l’université d’Utrecht, qui dirige aux Pays-Bas une étude à long terme sur les effets de l’utilisation des téléphones portables sur la santé humaine, et préside une commission spéciale sur les champs électromagnétiques du Conseil néerlandais de la santé.
L’ICNIRP cultive entre-soi complaisant. Il semble qu’un « cercle fermé de scientifiques partageant les mêmes idées » ait transformé l’ICNIRP en un club scientifique complaisant, avec un manque d’expertise médicale et biologique ainsi qu’un manque d’expertise scientifique dans les évaluations de risques spécifiques, ce qui pourrait conduire à une « vision étriquée ».
Comme l’ont souligné de nombreux scientifiques critiques, les membres de l’ICNIRP semblent ignorer ou méconnaitre les études scientifiques constatant les éventuels effets néfastes non thermique, tels que les effets sur la qualité du sommeil, l’équilibre hormonal, le risque accru de fausses couches, de maladies neurodégénératives et aussi de cancers. Rappelons que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé en 2011 les champs électromagnétiques radiofréquences comme « potentiellement cancérigènes pour l’homme (groupe 2B), sur la base d’un risque accru de gliome, un type de cancer du cerveau malin associé à l’utilisation de téléphones sans fil ».
La majorité des scientifiques de l’ICNIRP ont effectué des recherches partiellement financées par l’industrie. Est-ce important ? C’est ce que nous pensons. Les publications scientifiques, cosignées par deux scientifiques de l’ICNIRP – Anke Huss et Martin Röösli – confirment l’importance du financement. En 2006 et 2009, ils ont procédé à un examen systématique de l’effet de la source de financement dans les études expérimentales sur l’utilisation des téléphones portables sur la santé, et leur conclusion a été que « les études parrainées par l’industrie étaient les moins susceptibles de rapporter des résultats suggérant des effets (néfastes pour la santé) ». Sur les 59 études passées en revue, 82 % des recherches financées par les agences publiques ou les gouvernements et 71 % des recherches financées conjointement font état des effets sur la santé de l’exposition aux RF. Lorsque la recherche est uniquement financée par l’industrie, seuls 33 % des études trouvent un lien. Et l’étude de Huss et Röösli n’est pas la seule à l’avoir démontré, car de nombreuses études sur les différences entre les rapports de recherche financée par l’industrie et ceux de la recherche financée par le secteur public suggèrent un fort biais de financement.
L’ICNIRP coopère étroitement avec l’industrie des telecoms. Nous avons constaté l’adhésion et l’étroite coopération des membres de l’ICNIRP avec l’ICES, le Comité international sur la sécurité électromagnétique de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE). L’IEE est une organisation de droit américain dans laquelle de nombreux professionnels de l’industrie des médias, des télécommunications et de l’armée sont activement et structurellement impliquées. Sous la direction actuelle de l’ICNIRP, ces liens se sont encore resserrés « dans le but de fixer des limites de sécurité harmonisées au niveau international pour l’exposition aux champs électromagnétiques ». Cela peut être considéré comme un éventuel conflit d’intérêts.
Il ressort clairement des procès-verbaux du ICES en 2017 que l’ICNIRP a travaillé en étroite collaboration avec l’ICES sur la création des nouvelles lignes directrices en matière de sécurité des radiofréquences qui ont été publiées en mars 2020. Cela signifie que de grandes entreprises de télécommunications telles que Motorola et d’autres, ainsi que l’armée américaine, ont eu une influence directe sur les lignes directrices de l’ICNIRP, qui constituent toujours la base des politiques de l’UE dans ce domaine.
Le secteur des télécommunications semble assez satisfait du positionnement de l’ICNIRP et ne fait pas pression pour abaisser les limites harmonisées recommandées. Bien que le secteur des télécommunications dispose d’un grand pouvoir de lobbying au sein de l’Union européenne, l’Association européenne des opérateurs de réseaux de télécommunications (ETNO) ne fait pas pression pour abaisser les normes de l’ICNIRP, car celles-ci ne sont pas considérées comme faisant partie de la « pression réglementaire » qui entrave le développement technologique. Au contraire : les normes proposées par l’ICNIRP sont les « limites harmonisées » dont l’ETNO se félicite.
Dans l’ensemble, le secteur des télécommunications semble assez satisfait du positionnement de l’ICNIRP. Cela s’écarte de la procédure habituelle d’élaboration des politiques de l’UE, selon laquelle une industrie spécifique concernée s’efforce toujours, sur des aspects clés, d’influencer les lois et les règlements en sa faveur par divers moyens de lobbying. Apparemment, dans le cas de l’ICNIRP, il n’est tout simplement pas nécessaire de le faire. Dans le même temps, le secteur des assurances n’est pas très rassuré et refuse de payer d’éventuels frais de justice lorsque les entreprises de télécommunications seront poursuivies, ce qui devient de plus en plus fréquent.
Les Etats Membres et la Commission européenne, qui ont la responsabilité de protéger leurs citoyens, seront responsables en cas de scandale sanitaire. Même si l’ICNIRP s’est positionnée au cours des 25 dernières années comme la seule vérité scientifique en ce qui concerne la relation possible entre les CEM et les effets néfastes sur la santé, il serait incorrect de tenir cette ONG scientifique pour seule responsable si un jour il devenait incontestable que les CEM causent des problèmes de santé. Les gouvernements nationaux ont la responsabilité de protéger leurs citoyens, tout comme la Commission européenne, qui est après tout la « gardienne du traité » et qui devrait donc également tenir compte du « principe de précaution » juridiquement contraignant.
Nous pensons, en réponse à tous les arguments mentionnés ci-dessus et dans le reste du rapport, que l’appel à une évaluation scientifique plus indépendante dans ce domaine est pleinement justifié.
C’est la conclusion la plus importante de ce rapport : Pour un avis scientifique réellement indépendant, nous ne ne pouvons pas et nous ne devons pas nous fier à l’ICNIRP. La Commission européenne et les gouvernements nationaux de pays comme l’Allemagne devraient cesser de financer l’ICNIRP. Il est grand temps que la Commission européenne crée un nouveau conseil consultatif public et totalement indépendant sur les rayonnements non ionisants. Les fonds actuellement utilisés pour l’ICNIRP pourraient être utilisés pour mettre en place cette nouvelle organisation. Et compte tenu de l’augmentation globale du financement de la R&D via Horizon Europe, avec un budget prévu (pour 2021-2027) de 75 à 100 milliards d’euros, le financement ne devrait en aucun cas constituer un obstacle insurmontable à la mise en place de ce nouvel organisme véritablement indépendant.
En savoir plus :
Le rapport original de Klaus Buchner et Michèle Rivasi en anglais « ICNIRP :
Conflicts of Interest, Corporate capture and the push for 5G »
Les minutes de l’ICES, relatant les liens avec l’ICNIRP en 2017