Cétacés en danger
Saisie par des associations, la justice suspend les travaux de la ligne à Très Haute Tension dans le golfe de Gascogne
Les nuisances sonores provoquées par le chantier de la ligne très haute tension entre la France et l’Espagne, en partie sous-marine, menacent 17 espèces. Le tribunal judiciaire de Bayonne a ordonné la suspension des travaux jusqu’à la mise en place par RTE et ses filiales de mesures de protection.
L’alerte a été donnée mi-juin, par un bioacousticien. Les travaux visant à permettre à la France et à l’Espagne d’échanger leur électricité venaient à peine de commencer. Spécialiste des mammifères marins, il est alors missionné dans le cadre de ce chantier comme observateur indépendant. Et prend place à bord de l’un des navires, piloté par un intermédiaire de RTE, le gestionnaire français responsable du réseau public de transport d’électricité, en charge de ce projet controversé nommé «golfe de Gascogne». Après quatre jours à bord, il s’étonne : comment expliquer que le bateau ne soit plus contraint de respecter le protocole de protection des mammifères marins appliqué dans les eaux espagnoles, dès le passage de la frontière française ? Les prétravaux de bathymétrie, indispensables pour évaluer la profondeur et le relief de l’Océan, provoquent une importante pollution sonore sous-marine, pouvant mettre en danger dauphins, baleines et autres cétacés.
Dans la foulée, il alerte sa direction, qui rétorque qu’après vérification auprès des autorités françaises, aucune étude d’impact ni aucune mesure d’atténuation ne sont obligatoires sur le territoire. Le lanceur d’alerte est débarqué et licencié, sans rancune.
Libé
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Cétacés ! La justice ordonne l’arrêt des travaux maritimes de la liaison électrique France-Espagne
L’imposant navire chargé des études pré-travaux qui traîne derrière lui un surpuissant sonar, dans le golfe de Gascogne, devra rester à quai. La justice a décidé, mercredi 14 août, de suspendre ses opérations. Sa présence était justifiée par un gigantesque projet : une ligne électrique sous-marine à très haute tension entre la France et l’Espagne. Mais en juin, l’un des membres d’équipage, bioacousticien missionné comme observateur, s’étonne que le protocole habituellement imposé à ce genre de missions, pour protéger les espèces évoluant dans ce milieu naturel, ne soit pas respecté.
Après une alerte en bonne et due forme à la direction de l’intermédiaire menant ces travaux pour le compte de Réseau de transport d’électricité (RTE), le spécialiste est licencié et débarqué, comme le rapporte Libération. Opportunément informées de cet écueil, plusieurs associations environnementales, qui guettaient depuis longtemps avec méfiance l’imposant navire, portent plainte le 29 juillet auprès du procureur de la République de Bayonne.
Après une courte enquête, le procureur adresse au tribunal une requête en référé pénal environnemental, visant cinq délits environnementaux, dont la « destruction illicite d’une espèce animale non domestique », « l’altération illicite de l’habitat d’une espèce animale » ou encore la « perturbation volontaire illicite de l’habitat d’une espèce animale », requérant « de faire cesser immédiatement les travaux en cours dans les eaux territoriales des départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques sous astreinte de 10 000 euros par jour et par fait constaté ».
C’est cette procédure en urgence, justifiée par le risque pour les cétacés, et l’absence d’autorisation spécifique à cette phase de pré-travaux, qui a mené les représentants de RTE et de son prestataire devant le tribunal de Bayonne mardi 13 août. Mais le lendemain, mercredi 14 août, la justice a décidé d’ordonner « la suspension immédiate des travaux réalisés […] dans les eaux territoriales des départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, sous astreinte de 10 000 euros par jour et par fait constaté […], durant une période de 4 mois ».
Dans l’ordonnance de référé pénal environnemental, que Mediapart a pu consulter, la juge des libertés et de la détention saisie du dossier donne un mois à RTE pour envoyer à la justice « une étude d’impact des campagnes d’études préalables à la pose de câbles sous-marins d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne en mer territoriale ».
La magistrate ordonne aussi l’élaboration d’un « plan d’atténuation des effets du bruit sur les mammifères marins et les milieux aquatiques » ainsi qu’un « rapport mensuel écrit et détaillé garantissant l’effectivité des mesures ordonnées sur la totalité des campagnes d’études programmées ».
Évaluation « tout à fait insuffisante » des impacts liés aux nuisances sonores
Le projet, de son nom officiel Interconnexion électrique France-Espagne (Inelfe), amorcé en 2017, doit relier Cubnezais (Gironde) à Gatika (Espagne) par la mer, et permettre d’échanger entre les deux pays 2 800 à 5 000 mégawatts par la mer. Dès ses débuts, le projet a suscité les interrogations et les inquiétudes quant à la préservation de l’environnement.
En août 2022, le Conseil national de protection de la nature (CNPN), instance consultative, s’était aussi penché sur le dossier. L’avis du conseil national pointait alors le « grand nombre d’espèces de batraciens, reptiles, oiseaux, insectes et mammifères représentant un enjeu fort sur plusieurs zones impactées par le projet ». Le conseil national étrillait aussi l’évaluation « tout à fait insuffisante » des impacts liés aux nuisances sonores et « l’omission surprenante des impacts en milieu marin et quasi-absence de mise en œuvre de la séquence ERC [acronyme du principe éviter-réduire-compenser – ndlr] ».
Mais à l’époque, l’avis du CNPN n’avait pas empêché la préfecture d’autoriser la mise en œuvre des travaux. En septembre 2023, la publication des arrêtés d’utilité publique et d’autorisation environnementale avait immédiatement inquiété les associations de défense de l’environnement, mais aussi la municipalité de Seignosse, qui avaient préparé leurs recours, sans succès.
« C’est un immense soulagement, nous sommes très contents de la décision de justice », réagit Marie Darzacq, présidente de Landes Aquitaine Environnement. « Pour l’instant, devant le tribunal administratif, nous avions tout perdu, et RTE se réjouissait », se souvient la membre du collectif créé à l’annonce du projet. « C’est grâce au lanceur d’alerte que tout s’arrête pour un temps », s’émeut celle qui réside à Capbreton.
« Ce qui est imposé à RTE aujourd’hui, c’est ce qui a été fait du côté espagnol, donc ça paraît logique », analyse Marion Crecent, l’une des avocates des trois associations. « Ce dispositif de référé pénal environnemental est assez récent, il n’a mené pour le moment qu’à une quinzaine de décisions », explique-t-elle, appuyant sur le caractère urgent et rare de la situation dans le golfe de Gascogne.
Des impacts sur la faune
Contacté par Mediapart, RTE, en charge de la maîtrise d’œuvre des travaux, dit « prendre acte de la décision du tribunal judiciaire de Bayonne, qui est en cours d’analyse par [ses] équipes ». La société publique française « se réserve le droit de faire appel de la décision à l’issue de cette analyse » mais « reprendra ses sondages en mer en respectant les mesures complémentaires demandées par le Tribunal ».
Pour les trois associations signataires de la plainte, Défense des milieux aquatiques, Sea Shepherd et Landes Aquitaine Environnement, il y avait urgence. Pour Louise Dumont Saint Priest, autre avocate en charge du dossier, les sonars utilisés pour les études de bathymétrie (mesure de la profondeur des milieux sous-marins) peuvent produire un son équivalent à un « marteau-piqueur » pour les cétacés.
Dans leur plainte, les associations détaillent : « Les bateaux de RTE utilisent, pour positionner leurs équipements en mer, un “beacon”. […] Ils envoient par cette technique des signaux impulsifs de plus de 220 décibels toutes les trois ou quatre secondes, à 24-26 kilohertz, ce qui est particulièrement puissant. […] À titre de comparaison, il convient de préciser que les transpondeurs, utilisés dans le secteur de la pêche afin de faire fuir les mammifères marins lors de l’arrivée des filets des pêcheurs, respectent une norme comprise entre 130 et 150 décibels maximum. »
« Les mammifères marins utilisent l’acoustique et les sons pour se déplacer, se repérer dans l’environnement marin, communiquer entre eux et pour chasser, c’est-à-dire pour se nourrir. Leur survie en dépend donc », expliquent les associations, inquiètes.
Mais cette décision de justice ne règle pas tous les problèmes. Empêchés de tracer tout droit vers l’Espagne par le canyon marin de Capbreton (Landes), les porteurs du projet ont décidé de faire un passage par la terre sur plus de 20 kilomètres entre Seignosse (Landes) et Capbreton, pour faire replonger le câble en mer au sud du canyon. « C’est un désastre. Pour l’enfouir, le bois de Bouhebe, qui est l’un des derniers poumons de Capbreton, va être complètement ouvert en deux sur 1,4 kilomètre », s’étrangle Marie Darzacq, la présidente de Landes Aquitaine Environnement, qui réside à 80 mètres du tracé terrestre de la ligne à haute tension.
« Ce n’est pas normal qu’on autorise à bétonner derrière les dunes, mais comme c’est pour l’État, cela donne l’impression qu’ils ont tous les droits », dénonce la juriste à la retraite. « Nous ne sommes pas contre cette interconnexion électrique, mais depuis le début nous poussons pour que cette ligne à très haute tension suive le tracé de l’A63, de sorte à beaucoup moins impacter les zones naturelles », développe Marie Darzacq, qui promet : « On se battra jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut. »
mediapart
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Commentaire
A quoi servira cette ligne THT ? À permettre la spéculation sur le prix de l’électricité ? À renforcer la numérisation de la société ? Tant qu’on ne traitera pas des véritables problèmes énergétiques, on sera dans de faux problèmes.