Marchandisation du virtuel

La fuite en avant du système économique

Les NFT, ces jetons non-fongibles qui garantissent la propriété exclusive d’un objet numérique, et le métavers, sorte d’univers parallèle virtuel, sont les deux grandes tendances technologiques de 2021. Mais ce sont surtout les symptômes d’un capitalisme crépusculaire.

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L’économie du monde romain est soudain emportée par une folie, celle du menhir. Tout le monde veut son menhir, la production s’emballe et les prix atteignent des niveaux vertigineux. Le tailleur de menhirs Obélix devient « l’homme le plus important du village » et dépense en vanités diverses l’or gagné dans cette nouvelle industrie.

Bientôt, chacun se lance dans le menhir, au village et ailleurs. « Les Grecs, les Égyptiens, les Phéniciens nous envahissent avec leurs menhirs », finit par se lamenter César devant la perspective d’une immense crise de surproduction de menhirs qui frappera bientôt Rome. Car Panoramix, le druide gaulois, avait eu, au pic de la folie, cette remarque sensée : « Le plus drôle, c’est qu’on ne sait toujours pas à quoi peut servir un menhir. »

Cette histoire imaginée par Goscinny est plus originale qu’il n’y paraît. Ce n’est pas celle d’une simple bulle financière. De la tulipe hollandaise à l’Internet, en passant par l’or californien et les chemins de fer, les bulles se sont généralement appuyées sur des perspectives d’usage erronées. On a vu trop grand, mais la tulipe, l’Internet et les chemins de fer ont survécu à ces bulles parce que ces biens ont un usage et une utilité réelle. Dans l’affaire du menhir, le support de la bulle est un bien profondément inutile. Le menhir n’a aucun autre usage, à part le fait d’être possédé.

De sorte que le génial scénariste d’Astérix semble avoir saisi à l’époque une dynamique qui ne se révèle que de nos jours, 45 ans plus tard. Car l’année 2021 aura vu le développement inédit de deux phénomènes technologiques qui ressemblent à s’y méprendre aux menhirs de la BD de 1976 : les « non fungible tokens » (NFT) et le métavers.

Profondément inutiles, ces deux phénomènes provoquent une ruée vers l’or de particuliers avides de fortunes faciles. Et leur impact ne se limite plus à quelques cercles restreints. Ils se diffusent désormais dans des institutions publiques ou privées, et deviennent ainsi les symptômes d’un système économique aux abois.

Les NFT, menhirs du monde actuel

Que sont donc ces deux phénomènes ? Commençons avec les NFT. Ce sont des certificats de propriété (« tokens ») d’objets virtuels divers. Cette certification se fait par une blockchain (ou chaîne de blocs), autrement dit par un système de validation informatique décentralisé censé assurer l’unicité de ce certificat.

C’est en cela que ces certificats sont « non fongibles » : à la différence d’une monnaie, qui est fongible, un NFT n’est pas un moyen d’échange avec n’importe quel autre produit. C’est un objet unique dont la seule fonction est de certifier la propriété d’un autre objet. En revanche, il est possible d’échanger ce certificat en passant par la blockchain, qui assurera alors le transfert de propriété.

Le marché est passé en une année de quelques centaines de millions de dollars à plus de 7 milliards de dollars à la mi-novembre.

Le NFT pourrait, a priori, s’apparenter à une forme « d’enclosures » de l’Internet. Comme jadis les terres communes ont été fermées par des clôtures pour les privatiser, les objets de l’Internet disposent désormais, avec les NFT, de propriétaires. Certaines célébrités à la mode se sont d’ailleurs empressées d’acheter des NFT d’images qui sont devenues leurs avatars sur Twitter.

Mais la comparaison ne tient qu’à moitié, car le NFT est un certificat de propriété, pas un droit de propriété. Le détenteur d’un NFT d’une image ne détient pas de droits sur l’usage de cette image, qui peut continuer à être utilisée gratuitement. C’est un peu comme si on a une photo de la Joconde ; on n’en est pas propriétaire. Mais il existe bien un détenteur réel de ce tableau, le Musée du Louvre. Un détenteur de NFT sait qu’il est le vrai détenteur de l’objet lié à son NFT. Et c’est son seul droit. On n’est donc pas loin ici du menhir d’Astérix. Quelle différence entre le rappeur Snoop Doggy Dogg utilisant une image dont le NFT a été acheté à prix d’or comme avatar de son compte Twitter, et le riche patricien romain s’offrant pour le prix de deux esclaves un menhir pour décorer son atrium ?

Quels sont ces objets auxquels sont attachés les NFT ? Tout ce qui se fait sur le Web. Des photos, des gifs ou des vidéos. Les premiers NFT étaient des images « inédites » mais simples réalisées par des ateliers comme Cryptopunk ou Superare. Et elles restent les plus chères aujourd’hui. Selon la plateforme Nonfungible, un gif animé Superare s’échangeait le 6 décembre contre 2,3 millions de dollars états-uniens !

Car l’année 2021 a vu exploser l’engouement pour les NFT, à l’image de la découverte des menhirs par les Romains. Le marché est passé en une année de quelques centaines de millions de dollars à plus de 7 milliards de dollars à la mi-novembre, et, selon la banque JP Morgan, sa taille augmente de 2 milliards par mois…

La perspective de devenir riche en échangeant un NFT a fait venir beaucoup de monde sur ce marché. On estime à environ un million le nombre d’acteurs. Le marché est pourtant loin d’être sûr. II n’est pratiquement pas régulé et la question des droits est assez vaporeuse. Par exemple, fin novembre, plus de 300 œuvres d’art ont été photographiées et mises en vente en tant que NFT sans l’accord des artistes.

Auparavant, un investisseur avait cru acheter un NFT d’une image créée par l’artiste à la mode Banksy pour 336 000 dollars, mais il s’agissait d’un faux. La blockchain ne peut évidemment pas certifier l’authenticité de l’objet attaché au token… Enfin, la plupart des NFT s’échangent en cryptomonnaie, principalement en ether, ce qui ajoute à la fois au risque et à l’attrait d’un gain rapide.

Au cours du second semestre de 2021, les NFT ont commencé à se démocratiser et à toucher certaines institutions. Si les banques hésitent encore à s’y mouiller, ce n’est pas le cas de certains musées, comme celui de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, qui a émis des NFT de ses œuvres pour près de 440 000 dollars.

De même, certaines entreprises du monde de la mode, comme Dolce & Gabbana, ont vendu des accessoires virtuels pour avatars en NFT pour pas moins de 5,65 millions de dollars. Enfin, le monde du sport s’est également lancé dans les NFT, à l’image de la National Basketball Association (NBA) aux États-Unis, qui a émis des tokens pour des clips issus d’actions de matchs de la Ligue.

L’enjeu est désormais de trouver des applications « pratiques » aux NFT pour développer une forme de valeur d’usage à ces jetons virtuels en marge de leur aspect hautement spéculatif. Plusieurs jeux vidéo utilisent ainsi des NFT : ils permettent de jouer et leur acquisition donne droit à de nouvelles possibilités. D’ailleurs, le volume d’échange des NFT liés à des jeux est désormais plus élevé que celui lié à des créations. Parfois, mais rarement, la détention de NFT donne droit à des avantages dans le monde réel. Mais ce sont là des exceptions. La plupart des NFT ont un usage « interne » au monde virtuel, qui ne se transcrit guère dans la réalité physique.

Le métavers ou l’autre monde

De ce point de vue, le métavers va encore plus loin. Il s’agit de la dernière idée du fondateur de Facebook – dont la maison mère s’appelle désormais Meta –, Mark Zuckerberg. Le métavers est destiné à devenir un univers virtuel complet, évidemment géré par la société du milliardaire, où il sera possible de « vivre » une vie parallèle à la vie « physique ».

Cela ressemble à l’expérience Second Life qui, dans la décennie 2000, avait suscité beaucoup d’enthousiasme, avant de se muer en flop retentissant. Mais cette fois, l’ex-Facebook est à la manœuvre, avec sa capacité de tout marchandiser.

Pour le moment, le projet global est assez flou. Dans la présentation officielle, on peut lire que « le métavers fera ressentir un mélange hybride de l’expérience sociale en ligne d’aujourd’hui élargie en trois dimensions et projeté dans le monde physique ». Comprenne qui pourra, mais ce qui semble se dessiner, c’est la possibilité de faire ce que l’on peut faire réellement aujourd’hui dans le métavers : rencontrer des gens, participer à des réunions et, bien évidemment, consommer et acheter du patrimoine.

Les enthousiastes de ce monde virtuel estiment qu’il s’agit de créer un « monde meilleur », mais, en réalité, ce monde-métavers ressemble à s’y méprendre au monde physique capitaliste mondialisé. C’est d’abord et avant tout un univers marchand qui, à la différence du monde physique, sera coordonné et régi par les multinationales du numérique. Cela ressemble donc surtout à une forme de monde parfait du techno-féodalisme décrit par l’économiste Cédric Durand dans son dernier livre.

Microsoft a d’ailleurs annoncé une offensive pour contrer l’influence de Meta dans ce futur monde et pouvoir obtenir sa part de rente soutirée à des utilisatrices et utilisateurs devenus « accros » à cet univers parallèle.

Évidemment, la question du druide Panoramix ne peut, là aussi, que se poser. À quoi ce « monde virtuel » peut-il bien servir ? À rencontrer des gens éloignés ? Mais les applications et logiciels existent déjà, comme on a pu le constater durant les confinements. À réaliser des achats en ligne ? C’est évidemment aussi déjà possible. Quelle que soit la possibilité avancée, il est difficile d’y trouver une véritable utilité nouvelle.

Il devient presque aussi cher d’acheter un terrain sur le métavers qu’un appartement haut de gamme à Paris.

Dès lors, le métavers commence à se rapprocher du monde des NFT. Les achats dans ce monde, notamment ceux de « terrains » ou de bâtiments virtuels, mais aussi d’avatars, se font via des NFT sur les plateformes dédiées. D’ailleurs, les premiers pas de métavers prennent la forme d’une ruée sur les terres et leur « propriété » pour des sommes, là encore, défiant a priori toutes les prévisions.

À nouveau, on n’est pas très loin de l’idée d’enclosures qui a tant contribué à la constitution du capitalisme. Mais on est plutôt, là aussi, entre ce phénomène et celui des bulles immobilières actuelles, dont nos contemporains sont si coutumiers.

Dans la première semaine de décembre, plus de 100 millions de dollars ont été dépensés pour acheter des terres sur ce monde parallèle. L’enjeu, pour beaucoup, est de devenir le « voisin » ou la « voisine » d’une personnalité. Certaines « parcelles » très recherchées ont pu atteindre 2,5 millions de dollars pièce. Autrement dit, il devient presque aussi cher d’acheter un terrain sur le métavers qu’un appartement haut de gamme à Paris…

Repousser les limites du monde

Ces deux « innovations » ont pris en quelques mois des formes de bulles financières géantes. Évidemment, certains technophiles leur trouveront toujours une « utilité » et prétendront y voir la « nouvelle révolution digne de celle d’Internet ». Ce n’est pas très étonnant, car, on l’oublie souvent, le mode de production existant produit les besoins propres à son existence.

La question n’est donc pas, en réalité, de savoir si des gens trouvent tout cela utile, puisque le fait de « vouloir y être » constitue alors le critère de l’utilité. Là encore, la BD de Goscinny est une référence : il y montre comment le pouvoir politique romain crée ex nihilo le « besoin » de menhirs, comme le capitalisme contemporain crée le besoin de NFT ou de métavers. Au reste, dans ce cas, le caractère spéculatif de ces objets et la soif de devenir riche aisément sont le moteur du succès, qui n’existe pas avec le menhir purement « décoratif ». Mais c’est ici logique : le mode de production antique décrit avec précision par l’album d’Astérix n’est pas le même que le nôtre.

Dès lors, ce qui importe n’est pas de savoir si ces technologies sont « utiles » ou même si elles auront ou non un avenir. Ce qui semble le plus intéressant, c’est ce qu’elles disent de notre système productif. Pourquoi ce dernier produit-il des innovations de ce type ? De ce point de vue, on ne peut que constater que ce système éprouve la nécessité impérieuse de se reproduire dans le monde virtuel, y compris dans ses excès les plus contestables que représentent les bulles financières, mais aussi de dégager des formes de rente, autrement dit des revenus issus non pas du travail mais de la seule propriété.

Pour donner du sens à ces deux points, il faut en revenir au fonctionnement du capitalisme actuel et à la façon dont s’exerce la loi de la valeur en son sein. Le fait le plus remarquable de notre époque est le ralentissement depuis quatre décennies de la productivité du travail. Or, cette productivité est la clé de la capacité du capitalisme de dégager de la valeur toujours croissante, autrement dit de sa capacité d’accumulation. Sans une forte croissance de la productivité, le maintien de la croissance des profits dépend alors soit de l’exploitation renforcée du travail (la dégradation du rapport entre capital et travail), soit de la mise en place de rentes, autrement dit de revenus indépendants de la création de valeur.

Le ralentissement de la croissance de la productivité n’est pas étonnant en soi, il est le fruit de ce que Marx appelait la composition organique du capital : plus on accroît la mécanisation, moins le travail compte dans la production de valeur et donc moins la production de valeur est possible, puisque seul le travail vivant est source de valeur. Dans la vision schumpétérienne, les innovations ont cette fonction de venir casser cette tendance en relançant régulièrement les gains de productivité. Le problème, c’est que la « révolution Internet » des années 1990-2000 n’a pas brisé cette tendance, bien au contraire.

Si l’on doit résumer la situation actuelle, on pourrait dire que le monde est devenu trop étroit pour les besoins du capital.

Dès lors, d’autres contre-tendances se sont mises en place. D’abord, la pression a été mise sur le monde du travail avec les « réformes structurelles » pour réduire la part prise par les salarié·es dans les maigres gains de productivité. Ensuite, on a « libéralisé », autrement dit, on a ouvert de nouveaux marchés sur les ruines de l’État-providence et de l’État stratège pour donner de nouvelles capacités de profit au secteur privé.

Enfin, on a financiarisé l’économie pour permettre de réaliser des gains substantiels à partir des profits réalisés. Après la crise de 2008, ce « capital fictif » a été soutenu par les banques centrales, qui ont agi comme assureurs en dernier recours des marchés financiers. Cela a conduit au développement de rentes considérables, notamment dans le secteur immobilier. Et même la Chine a dû s’y soumettre, car elle aussi est contrainte, malgré sa croissance en apparence vigoureuse, par la tendance de fond du capitalisme mondial.

Toutes ces contre-tendances ont des limites. L’exploitation du travail provoque une réaction dans la foulée de la crise sanitaire, avec le phénomène de la « grande démission » aux États-Unis. L’équilibre des forces menace de ne plus être si favorable au capital. Le processus de libéralisation et de privatisation a atteint ses limites et, là aussi, la crise sanitaire l’a montré avec éclat. Enfin, les bulles financières deviennent de plus en plus fragiles. L’immobilier chinois est entré en crise et l’accélération de l’inflation menace le soutien des banques centrales aux marchés.

Si l’on doit résumer la situation actuelle, on pourrait dire que le monde est devenu trop étroit pour les besoins du capital. Et c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les tentatives des milliardaires états-uniens de relancer la conquête spatiale, mais aussi et surtout celles de créer de nouveaux marchés « virtuels » non soumis (croit-on) aux limites du monde physique. La pression de la loi de la valeur est devenue telle qu’il faut construire des sources de rente au-delà de l’existant.

Comme l’a fait remarquer le géographe David Harvey, l’accumulation du capital est « expansive » dans le temps et dans l’espace. En cherchant de nouveaux marchés, le capital gagne du temps pour assurer sa propre survie. « Tout se passe comme si, en cherchant à annihiler le temps par l’espace, le capitalisme gagnait du temps en conquérant l’espace », résume-t-il dans Les Limites du capital, récemment publié en français aux éditions Amsterdam.

Mais cette fuite en avant est forcément limitée car la terre est finie, et une fois tout transformé en marchandise, il faut toujours continuer à extraire plus de valeur. Après avoir raclé les fonds de tiroirs, il faut donc dépasser les limites physiques et les besoins réels. Et c’est bien ici que les NFT et le métavers trouvent leurs sources.

Puisque le capital n’est plus capable de se valoriser suffisamment dans le monde physique, il va créer lui-même des mondes nécessaires à cette valorisation. Ce phénomène se fait par le développement de besoins virtuels qui, pour les agents économiques, doivent devenir aussi impérieux que les besoins physiques. Il devient aussi important de pouvoir habiller mon avatar en NFT Dolce et Gabanna que de moi-même pouvoir me vêtir. Il devient plus important de pouvoir habiter dans un quartier chic du métavers que de trouver un logement dans l’Ouest parisien.

« L’artificiel illimité »

Cette expansion est donc l’ultime étape des contre-tendances multiples mises en place depuis cinq décennies par le capitalisme contemporain sans pouvoir régler le problème de la valeur. Dès lors, et c’est ce que les néo-schumpétériens refusent de voir, la fonction des innovations change : elles ne sont plus destinées à relancer la productivité mais à assurer le flux de rentes des multinationales. C’est l’avenir du capitalisme et c’est bien pourquoi il y a bien peu de chance que « l’innovation verte » et la « croissance verte » sauvent la planète. Elles cherchent plutôt à sauver le capitalisme de lui-même.

Là encore, NFT et métavers, tout comme les cryptomonnaies et l’exploration spatiale, en sont d’excellents exemples. Ces « innovations » sont fort gourmandes en énergie et en ressources réelles. La « virtualité » de la source de profit se fait toujours au détriment des ressources réelles et c’est bien pourquoi elle est une impasse. C’est d’autant plus vrai que ces innovations prennent immédiatement, on l’a vu, la forme de bulles et que pour se développer, elles doivent être régulées. Mais régulées, elles sont moins « rentables » et contraignent le capital à chercher encore d’autres fausses solutions. Ces fuites en avant sont toujours des impasses.

NFT et métavers agissent par conséquent comme des symptômes de ce phénomène. Dans son essai La Société du Spectacle, publié en 1967, Guy Debord avait parfaitement saisi cette dynamique que produit le capitalisme. Le « Spectacle » est précisément cette forme que prend le capital réduit à trouver de la valeur hors du monde réel. Dans le paragraphe 53, il résume cette société ainsi : « La marchandise se contemple elle-même dans le monde qu’elle a créé. » Le point ultime de ce monde pourrait bien être ce métavers rempli de ces gadgets inutiles que sont les NFT.

Ce monde issu de la séparation originelle dans le capitalisme entre producteur et consommateur agit comme « négation de la vie qui est devenue visible » (paragraphe 10), c’est un « leurre » qui produit une « fausse conscience du désir » dans le seul intérêt de la marchandise, dont, précise Debord, « l’accumulation mécanique libère un artificiel illimité » (paragraphe 68). Là encore, le lien avec ces promesses des NFT et de métavers est évident : les désirs sont perdus dans les flots dictés par les besoins du capital et viennent se concrétiser dans l’achat de marchandises artificielles qu’il faudra revendre pour racheter d’autres pacotilles rentables.

Leur succès, même bref ou incertain, traduit non pas une quelconque forme de génie du système, mais bien plutôt le caractère profondément crépusculaire du capitalisme contemporain.

Dans un monde où la question des besoins devient centrales pour faire face aux inégalités et à la crise écologique, le capitalisme spectaculaire décrit par Debord s’enfuit dans des solutions qui donne encore l’illusion de l’infini et de sa propre survie. Et créé pour cela les besoins qui en sont les supports.

À la fin d’Obélix et Compagnie, le monde romain est jonché de cimetières de menhirs et, malgré la crise, l’ordre politique et social de Rome persiste, avec sa minuscule exception gauloise. La crise du menhir est une péripétie. Elle peut l’être parce qu’elle n’est pas consubstantielle au système de production antique, elle est au contraire anachronique, et c’est ce qui produit l’effet comique de la BD.

Mais dans le capitalisme réellement existant, l’affaire est plus complexe. NFT et métavers sont certes de taille modeste, mais leur dynamique correspond à la dynamique interne du capital. Leur succès, même bref ou incertain, traduit non pas une quelconque forme de génie du système, mais bien plutôt le caractère profondément crépusculaire du capitalisme contemporain. Car cette fuite en avant oublie que, pour exister, elle broie tant les hommes que la nature.

 mediapart

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