Manifeste CNVC

POUR UN DROIT UNIVERSEL À NE PAS ÊTRE CONNECTÉ.ES

Nous ne sommes ni technophobes ni technolâtres. Nous voulons seulement avoir la liberté d’utiliser ou non Internet pour gérer notre quotidien. Nous voulons pouvoir parler avec des fonctionnaires ou du personnel technique compétent plutôt que de nous en remettre à une « appli », à un « chat » ou au robot d’une plateforme téléphonique qui bien souvent ne comprend pas notre question.

Actuellement, beaucoup de personnes précaires perdent le bénéfice de leurs droits par découragement devant la fausse « simplification » des démarches administratives connectées. La connexion doit être une option, pas une obligation.

Chaque année, l’emprise des nouvelles technologies numériques se développe et, parallèlement, les liens humains sont mis à mal. L’obsolescence de notre humanité est programmée. La généralisation du GPS a réduit notre sens de l’orientation, les encyclopédies en ligne diminuent notre capacité de mémorisation, l’enseignement par les écrans réduit les performances scolaires (selon le rapport PISA de l’OCDE), et l’intelligence artificielle risque de nous rendre inutiles en décidant de tout. Les perspectives de l’Internet des objets et des corps, ainsi que les projets transhumanistes d’une humanité « augmentée » n’ont rien de rassurant.

Nous devenons petit à petit de la chair à data. L’éventuelle généralisation des fichiers numériques de contrôle administratif visant à centraliser l’intégralité de nos données les plus personnelles a de quoi nous inquiéter. Ainsi, le Portefeuille européen d’identification numérique n’ouvrirait-il pas la porte aux totalitarismes ?

La connexion est souvent exigée au quotidien pour télétravailler, recevoir un colis, envoyer une lettre, ouvrir une porte d’immeuble, effectuer une opération bancaire, prendre un rendez-vous médical ou auprès des services publics. Se mettent en place actuellement la suppression des billets de train, la fin des tickets de caisse, l’arrivée de l’euro numérique, tout cela entraînant l’envoi d’une myriade d’informations, mensongèrement qualifiées de « dématérialisées », vers les data centers énergivores situés sur plusieurs continents.

La propagande anti-papier a tellement formaté nos esprits que l’on croit en toute bonne foi mieux agir pour la planète en recevant un flot de publicités par Internet et en étant renvoyé.e automatiquement sur des plateformes, tout en oubliant l’énorme empreinte écologique nécessaire pour la fabrication et le fonctionnement des outils électro numériques. Le papier peut être recyclé six fois alors qu’un ordiphone dit « smart » n’est quasiment pas recyclable !

Nous voulons pouvoir garder la monnaie, les chèques, les billets de train, les places de cinéma, les manuels scolaires et les passeports… en papier. Nous préférons dialoguer avec un être humain plutôt qu’avec un ordinateur.

Sous prétexte de commodité et au nom du « Progrès », le marché (qui ne recherche que l’optimisation des profits à court terme) pousse à l’innovation technologique (comme la 5G et bientôt la 6G) et incite la clientèle à une connexion permanente, manipulatrice et addictive . On prétend même, avec cynisme ou naïveté, réguler ainsi « la transition écologique » ! Cette société du tout-connecté, du contrôle électro numérique généralisé est en réalité écologiquement irresponsable et insoutenable : pourquoi charger la barque électrique alors que nous frôlons déjà la pénurie de courant ? Pourquoi développer ces outils qui appauvrissent les ressources limitées de la planète, polluent et détruisent la biodiversité sans réduire notre empreinte carbone ? Il faut 183 kilogrammes de matières premières pour fabriquer un « smartphone » qui pèse 170 grammes, et 32 kilogrammes pour le circuit intégré d’une puce électronique de 2 grammes. Et cela pour des milliards de terminaux ! La guerre (mondiale) des métaux, terres rares et de l’eau a déjà commencé, car de l’eau, il en faudra de plus en plus pour fabriquer la pléthore de nos outils numériques et refroidir la multitude de data centers et de centrales nucléaires.

Le constat de la perte des liens humains, concomitant au saccage de la planète, est très documenté et vécu comme une catastrophe, y compris par les jeunes générations, pourtant les plus connectées. Ce désastre nous oblige à changer de cap et ce n’est certainement pas en contraignant tout le monde à survivre et à consommer par l’intermédiaire d’un « smartphone », ou même d’une connexion filaire, que nous sauverons l’humanité et le vivant.

En passe d’être imposé, le tout-connecté peut entraîner la discrimination et un mal-être pour les personnes peu à l’aise avec Internet ou qui n’y ont pas accès, voire des souffrances pour les électrohypersensibles (EHS), dont le nombre ne cesse d’augmenter à cause des systèmes de communication sans fil et des compteurs communicants de type Linky. Moins de pollution électromagnétique serait bénéfique pour tout le monde, règnes animal et végétal inclus. Les enjeux sanitaires liés aux ondes artificielles pulsées s’accumulant dans notre environnement sont sous-estimés sous la pression des lobbies qui fabriquent le doute malgré de nombreuses et solides études scientifiques. Le marché ne tient pas assez compte du fait, avéré, de la vulnérabilité des enfants.

Seraient également discriminées les personnes qui :

par souci écologique refusent la gabegie énergétique que le numérique nécessite ;

par manque de moyens refusent d’acheter des objets high-tech trop vite obsolètes et souvent inutiles ;

par conscience humanitaire refusent l’exploitation d’enfants dans les mines de cobalt au Congo et ailleurs, loin de nos yeux, payant le prix du sang pour notre confort numérique ;

par conscience politique refusent l’emprise de Big Brother ;

par crainte d’être dépendantes, refusent le « smartphone » pour être maîtres de leur temps.

Pour retrouver une vie désirable dans un monde habitable, une solution existe. Elle est simple, bon marché et à la portée de tout le monde : c’est celle de ne pas se connecter ou de se déconnecter.

Ce pas de côté permettrait le retour de la poésie, de la convivialité et du vivre ensemble.

Avant qu’il ne soit trop tard, il est temps de tourner le dos à l’ébriété extractiviste mortifère, à la gabegie électrique, et à mettre en pratique une véritable sobriété qui commence par la réduction des usages électro numériques. Il est encore temps de tisser des liens humains, sans le filtre des algorithmes, et de réapprendre l’autonomie humaine. C’est une question de défense de nos libertés, de ce qu’il reste de notre intimité, de protection sociale, de bonne santé et de qualité de vie, de reconnaissance des minorités, avec en plus l’aspiration à décoloniser notre imaginaire.

Il est temps de compléter la déclaration universelle des droits humains.

Nous refusons l’obligation de connexion et réclamons un droit à l’objection numérique. Nous nous connecterons quand et si nous le décidons en conscience. Ou pas du tout. Car il en va de l’esprit même de la démocratie, de la civilisation, des valeurs d’un nouvel humanisme étendu à tout le vivant – de celles de liberté, égalité, fraternité.

Nous exigeons que soit institué UN DROIT UNIVERSEL À LA NON-CONNEXION et/ ou à LA DÉCONNEXION. Et nous le voulons gravé dans le marbre de la loi.

Collectif nantais de vigilance citoyenne (CNVC)