La 5G teste les limites de la confiance
Nous publions avec son aimable autorisation la traduction française de cette tribune du professeur finlandais Dariusz Leszczynski* publié sur le site Medium le 13 avril 2021.
En 2020, la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) a publié une mise à jour des directives de sécurité relatives aux expositions aux rayonnements de radiofréquences (RF-CEM) émis par les dispositifs et réseaux de communication sans fil, tels que les téléphones mobiles ou les stations de base de téléphonie mobile. Cette publication a remplacé les directives RF-CEM de l’ICNIRP de 1998 [ICNIRP 1998 RF-EMF guidelines].
Ces directives, recommandées par l’Organisation mondiale de la santé, ont été adoptées par une majorité de pays dans le monde, devenant ainsi une partie de leur cadre réglementaire pour les communications sans fil. Les États-Unis utilisent les directives de l’IEEE/ICES et de la FCC, mais cherchent à « s’harmoniser » avec les directives de l’ICNIRP.
La sécurité selon l’ICNIRP
Le principe de base qui régit ces directives de sécurité est que, selon l’ICNIRP, les seuls effets prouvés sur la santé induits par ce type d’exposition aux rayonnements sont ceux qui se produisent lorsque la température des tissus humains augmente de plus d’un degré Celsius – les effets dits thermiques.
Lorsque la température des tissus humains n’augmente pas de plus d’un degré Celsius, l’ICNIRP considère que le rayonnement est inoffensif pour la santé humaine. Selon l’ICNIRP, le niveau de rayonnement émis par les dispositifs sans fil obéissant aux directives de sécurité de l’ICNIRP est insuffisant pour provoquer une augmentation de la température des tissus humains ayant un effet sur la santé. En outre, d’après l’examen de la littérature scientifique de l’ICNIRP, il n’y a pas d’effets avérés sur la santé sans une telle augmentation de température.
Étant donné que l’ICNIRP considère que seuls les effets thermiques de l’exposition aux rayonnements peuvent avoir des effets sur la santé, l’ICNIRP a conçu des directives de sécurité pour protéger les utilisateurs de tout effet thermique pouvant affecter la santé. Selon l’ICNIRP, la prévention des effets thermiques par les limites de sécurité actuellement utilisées est suffisante pour protéger la santé de tous les utilisateurs.
Cependant, il existe une longue liste d’effets biologiques observés dans des expériences sur des animaux ou des cellules cultivées en laboratoire, qui ont été induits par des expositions aux rayonnements sans fil à des niveaux bien inférieurs aux limites d’exposition actuelles fixées par l’ICNIRP. Les scientifiques redoutent que de tels effets non thermiques, s’ils devaient se produire chez les utilisateurs, n’entraînent des effets sur la santé.
Selon l’interprétation de la littérature scientifique par l’ICNIRP, ces effets non thermiques ne devraient pas se produire. Cependant, à moins que tous les scientifiques observant des effets non thermiques ne souffrent d’hallucinations, il y a quelque chose qui ne va pas dans l’évaluation des preuves scientifiques par l’ICNIRP.
Les directives de l’ICNIRP, en plus d’être établies pour prévenir uniquement les effets thermiques, sont également basées seulement sur des expositions aiguës à court terme (de quelques minutes à quelques heures). Elles ne fournissent pas d’informations sur leur capacité à protéger contre les expositions continues et à long terme, c’est-à-dire celles qui durent des mois à des décennies. Ainsi, alors qu’il existe des recherches publiées sur les effets aigus, ceux qui se produisent pendant ou peu après l’exposition, il y a très peu de recherches sur les expositions chroniques à long terme. Cela suggère que l’application des recommandations de l’ICNIRP aux expositions à long terme est basée sur une hypothèse de sécurité et non sur des preuves scientifiques.
Les directives de l’ICNIRP sont également présentées comme protectrices pour tous les utilisateurs, quel que soit leur âge ou leur état de santé. L’ICNIRP affirme que, qu’il s’agisse du corps en croissance et en développement d’un petit enfant, du corps malade d’une personne âgée souffrant de maladies chroniques ou potentiellement mortelles, ou du corps robuste d’un adulte jeune et en bonne santé, tous sont protégés de la même manière.
L’expérimentation sur l’homme étant limitée, pour des raisons éthiques évidentes, nous devons nous tourner vers les études épidémiologiques pour examiner les effets à long terme des expositions chez l’homme. Ces études sur les effets biologiques à long terme et la santé peuvent prendre de nombreuses années et présentent souvent des limites réelles, de sorte qu’il existe peu d’études de ce type sur lesquelles on peut se baser. Cela signifie qu’il y a peu de preuves scientifiques garantissant que les directives de sécurité de l’ICNIRP s’appliquent à toutes les individus, quel que soit leur âge ou leur état de santé, et quelle que soit la durée d’utilisation des dispositifs sans fil. Cela suggère, une fois de plus, que l’application des directives de l’ICNIRP de manière égale aux jeunes et aux vieux, aux personnes en bonne santé et aux malades, est basée uniquement sur l’hypothèse de la sécurité et non sur les preuves scientifiques disponibles.
Le fonctionnement de l’ICNIRP
Si on examine la composition de l’ICNIRP, il est facile de constater que tous les membres ont des opinions très similaires sur la question des champs électromagnétiques de radiofréquences et de la santé. Tous les membres de l’ICNIRP ont exprimé pratiquement la même opinion, à savoir que les RF-CEM sont absolument et complètement sûrs pour tout le monde, tant que leurs niveaux restent dans les limites de sécurité conseillées par l’ICNIRP.
Il est intéressant de noter que les évaluations scientifiques des experts de l’ICNIRP sont fréquemment contredites par des chercheurs non impliqués dans les activités de l’ICNIRP. Plus intéressant encore, les membres de l’ICNIRP, lorsqu’ils sont placés dans divers comités scientifiques nationaux en compagnie d’autres scientifiques non membres de l’ICNIRP, arrivent parfois à des conclusions qui contredisent les avis de l’ICNIRP.
Récemment, ces opinions divergentes ont été publiées par :
Pour la majorité des utilisateurs de technologies sans fil, l’ICNIRP n’est qu’un acronyme. Ils entendent dire que l’ICNIRP prétend être une organisation scientifique, dénuée de toute influence, qu’elle provienne de l’industrie ou des organismes gouvernementaux de réglementation des rayonnements. Cependant, peu d’utilisateurs savent comment l’ICNIRP fonctionne dans la pratique. Considérez que :
1. L’ICNIRP est un groupe d’environ une douzaine de scientifiques qui prétendent ne représenter personne d’autre qu’eux-mêmes.
2. L’ICNIRP prétend ne subir aucune influence de lobbying de la part de l’industrie et des organisations nationales de radioprotection.
3. Les membres sortants de l’ICNIRP sont remplacés par de nouveaux membres qui sont choisis par les membres actuels.
4. Les critères de sélection de l’ICNIRP, et les justifications de la sélection de nouveaux membres particuliers, ne sont pas accessibles au public. Seuls les membres de l’ICNIRP savent pourquoi une personne a été sélectionnée pour rejoindre leur groupe.
5. L’ICNIRP n’est responsable envers aucune entité des décisions scientifiques qu’elle prend.
6. Personne n’a le contrôle de la manière dont l’ICNIRP parvient à ses recommandations de sécurité.
7. Il n’y a aucune supervision des activités de l’ICNIRP par qui que ce soit.
8. L’ICNIRP n’a aucune responsabilité légale pour ses avis scientifiques.
La responsabilité juridique
Les directives de sécurité de l’ICNIRP sont ce qu’elles disent être, juste des directives. Personne n’est légalement tenu de les utiliser. Cela signifie que même s’il était prouvé que les recommandations sont erronées, personne ne pourrait légalement poursuivre l’ICNIRP pour cette erreur.
Cependant, en choisissant d’utiliser les directives de sécurité de l’ICNIRP, l’industrie des télécommunications et les organisations nationales de radioprotection deviennent légalement responsables de tout risque sanitaire causé par les dispositifs émettant des rayonnements qu’elles fabriquent, même s’ils sont conformes aux directives de l’ICNIRP. Une fois que les télécommunications et les organismes nationaux de radioprotection acceptent et utilisent les directives de sécurité de l’ICNIRP, ce sont eux, et non l’ICNIRP, qui sont légalement responsables s’il s’avère que les appareils sont dangereux pour la santé.
En bref, les membres de l’ICNIRP ne sont responsables que devant « Dieu et l’Histoire » des décisions, bonnes ou mauvaises, que l’ICNIRP peut prendre.
Pour comprendre la signification de cette absence totale de surveillance ou de contrôle des activités de l’ICNIRP, il faut se rappeler que les directives de sécurité élaborées par l’ICNIRP sont les seules directives utilisées par l’industrie qui fabrique et exploite le matériel et l’infrastructure de la communication sans fil dans la majeure partie du monde.
En substance, les directives de sécurité de l’ICNIRP justifient le fonctionnement de l’industrie des télécommunications qui, en 2019, avait une valeur annuelle, au niveau mondial, d’environ 1,74 trillion de dollars US – l’ICNIRP, l’organisation qui revendique une indépendance totale de tout intérêt extérieur, qui agit sans aucun contrôle ou surveillance externe, et qui n’est responsable devant personne de ses décisions scientifiques.
L’ICNIRP et la sécurité de la 5G
Le déploiement en cours de la nouvelle 5ème génération de communication sans fil, la 5G, a restimulé le débat sur la validité des directives de sécurité de l’ICNIRP.
Ce qui sera nouveau dans les communications sans fil 5G, c’est l’utilisation des ondes millimétriques, avec des fréquences entre 20GHZ et 300GHZ. Si les ondes millimétriques peuvent transférer de grandes quantités de données, elles présentent un problème avec la distance à laquelle elles peuvent être transmises et avec les limites de leur capacité de pénétration. Cela entraînera un déploiement très dense de stations de base (antennes de téléphonie mobile) dans les quartiers (en gros, une petite station de base sur un lampadaire sur deux), et nécessitera des stations de base à l’intérieur des bâtiments. Cela signifie que dans quelques années, lorsque la 5G sera entièrement déployée, les environnements urbains seront pratiquement saturés par le rayonnement des ondes millimétriques.
L’ICNIRP, dans ses directives de sécurité 2020, nous assure que la santé des utilisateurs sera totalement protégée. Mais comment l’ICNIRP peut-elle le savoir ?
La recherche sur les ondes millimétriques et la santé est extrêmement limitée. Plusieurs revues scientifiques publiées récemment ont parcouru diverses bases de données et n’ont trouvé qu’un nombre très limité d’études traitant des effets des ondes millimétriques sur la santé. La grande majorité des études scientifiques publiées sur les ondes millimétriques 5G portent sur les mesures de rayonnement et la dosimétrie, et non sur les effets biologiques et sanitaires.
• En 2019, Simkó et Mattsson ont publié une analyse de seulement 97 études expérimentales.
• En 2020, Leszczynski a publié une analyse de seulement 99 études expérimentales.
• En 2021, Karipidis et al. ont publié une revue de seulement 107 études expérimentales.
La plupart de ces recherches sur les ondes millimétriques consistent en de petites études in vitro ou sur des animaux qui ont une faible valeur pratique pour l’élaboration de directives de protection de la santé publique. Ce manque d’études de recherche est une source de confusion et de problèmes au sein des communautés. Lorsque les utilisateurs demandent les preuves scientifiques des effets des ondes millimétriques 5G sur la santé, ils n’obtiennent pas de réponses car les recherches n’ont pas été effectuées. Il n’est pas possible de prouver que la 5G est sans danger. Cependant, il serait possible de réaliser un nombre suffisant de recherches sur la 5G et la santé pour montrer si les effets sur la santé sont minimes, voire négligeables. À l’heure actuelle, de telles preuves scientifiques n’existent pas.
Cependant, de manière intéressante et inquiétante, le président de l’ICNIRP, Rodney Croft, professeur de psychologie à l’Université de Wollongong en Australie, a récemment déclaré dans une interview avec « The Feed » sur la télévision australienne le 16 juin 2020 :
« La 5G ne présente aucun danger ».
« Écoutez, il est très vrai que la quantité d’études qui examinent spécifiquement la 5G est très limitée, mais d’un point de vue scientifique, ce n’est tout simplement pas pertinent. »
En résumé,
– L’ICNIRP est une organisation qui fonctionne sans aucun contrôle ou surveillance, qu’il soit scientifique ou juridique.
– Il n’y a aucun contrôle sur le fait que l’industrie des télécommunications ou les organisations nationales de radioprotection puissent faire activement pression sur l’ICNIRP.
– L’ICNIRP banalise le manque de recherche sur les ondes millimétriques de la 5G et la santé, comme l’a exprimé le président de l’ICNIRP.
– Les opinions exprimées et les décisions prises par les membres de l’ICNIRP sont considérées comme insuffisamment fondées sur le plan scientifique par des groupes scientifiques nationaux de plusieurs pays, ainsi que par un certain nombre de scientifiques éminents.
– Alors que les membres de l’ICNIRP n’ont aucune responsabilité légale pour leurs avis scientifiques, l’industrie des télécommunications qui utilise les directives de sécurité de l’ICNIRP pour ses produits a une responsabilité légale si ses appareils causent des dommages à la santé.
Dans cette situation scientifiquement et juridiquement complexe, il est urgent de procéder à une validation indépendante des résultats de l’examen scientifique de l’ICNIRP et de la validité des directives de sécurité de l’ICNIRP.
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Dariusz Leszczynski, PhD, DSc,Professeur adjoint de biochimie Université d’Helsinki, Finlande ; Rédacteur en chef Spécialité « Rayonnement et santé ».Frontières de la santé publique, Lausanne, Suisse ; Consultant indépendant et conférencier international ; Expert en radiations sans fil et santé [ 3G, 4G, 5G et au-delà ]
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