Les voitures Volkswagen

Les électriques carburent aux « minerais de sang » du Congo

Pour afficher son engagement écologique, le géant allemand de l’automobile a entrepris de convertir l’ensemble de sa gamme à l’électrique. Las, une enquête parue aux Pays-Bas début octobre dévoile que les fabricants de batterie des véhicules du groupe se fournissent en minerais dans l’est de la République démocratique du Congo. Une région où les ouvriers sont exploités par des groupes paramilitaires, lesquels ensanglantent le pays depuis plus de 30 ans.

« Faites-vous plaisir, la conscience tranquille ». Le slogan pourrait s’afficher sur une publicité pour yaourt allégé ; Volkswagen l’a choisi pour ses véhicules électriques. Depuis 2013, la « voiture du peuple », comme le signifie le nom de la marque en allemand, devient de plus en plus « propre ». De la citadine au minivan, le plus grand constructeur automobile européen vend aujourd’hui 20 % de véhicules électriques, garantis sans carburant fossile ni particules fines. Une part qui devrait monter à 70 % d’ici à 2030.

Mais les Volkswagen électriques ne sont pas « propres » pour tout le monde. Elles sont même susceptibles d’alimenter la guerre civile en République démocratique du Congo (RDC), comme le révèle l’hebdomadaire néerlandais De Groene Amsterdammer. Au cœur de cette enquête parue début octobre : les minerais utilisés par les fournisseurs de Volkswagen pour la fabrication des batteries. Une voiture électrique contient en effet six fois plus de ces métaux qu’un véhicule thermique. Quatre d’entre eux sont particulièrement stratégiques pour les batteries : l’étain, le tantale, le tungstène et l’or. Leur production, concentrée en Afrique centrale, provient souvent de mines artisanales contrôlées par des groupes paramilitaires. D’où leur nom de « minerais de sang », popularisé par le journaliste Christophe Boltanski dans un livre éponyme.

Retracer le parcours de ces métaux, de leur extraction jusqu’au moteur d’une voiture, est une gageure. A fortiori chez Volkswagen. La marque communique volontiers sur les quelques pays d’Asie et d’Amérique du Sud — à l’écart des régions en crise — qui lui vendent du lithium ou du nickel. Pour les minerais de sang, en revanche, Volkswagen brouille les pistes : d’après les informations officielles communiquées par le groupe, pas moins de 147 pays seraient susceptibles de les lui fournir, dont la Belgique, l’Irlande ou les Pays-Bas — pourtant peu connus pour leurs gisements de métaux. Les pays européens abritent en réalité des négociants qui achètent leur matière première en RDC et au Rwanda, deux pays en conflit depuis plus de 30 ans

Des enfants « de six ou sept ans » dans les mines

Dans l’est de la RDC, les rebelles du mouvement M23 gagnent chaque jour du terrain. Avec le soutien du Rwanda voisin, le groupe paramilitaire a fait un pas de géant en prenant Goma, principale ville de la région, en janvier dernier. Une conquête au prix de plus de 3 000 morts, notamment parmi les civils, et du déplacement forcé de plusieurs millions de personnes.

Pour financer sa guerre, la milice du M23 compte sur les richesses du sous-sol congolais. À Rubaya, le vert des collines s’est dissous au gré des coups de pioche, laissant un paysage gris, constellé de trous. C’est là qu’a été découvert le plus gros gisement de la région en coltan, un minerai dont on extrait le tantale, pièce maîtresse des condensateurs utilisés dans les voitures électriques. Des ouvriers s’enfoncent dans la roche sans aucune protection, à la merci des poussières toxiques et des galeries qui s’effondrent. En juin dernier, 21 mineurs sont morts ensevelis.

« Dès cinq heures du matin, on voit des enfants de six ou sept ans descendre travailler dans les mines, témoigne Jérôme [le prénom a été changé], activiste local qui a fui le pays par peur des représailles. Certains sont forcés par leurs parents, d’autres n’ont pas le choix car ils n’ont plus de famille. À la fin de la journée, ils ont gagné entre 15 et 30 centimes d’euros. » Les soldats du M23, eux, retirent au moins 800 000 dollars [689 000 euros] chaque mois de la seule mine de Rubaya, selon un rapport de l’ONU publié en décembre 2024.

Des « certifications » environnementales inefficaces

Le magazine De Groene Amsterdammer révèle que le tantale utilisé par Volkswagen  provient en partie de l’est de la RDC. L’un de ses fournisseurs, le groupe kazakh Ulba, reconnaît lui-même s’approvisionner dans la région. Sans aucun scrupule : malgré les « 117 incidents » en lien avec le tantale recensés dans son dernier rapport de vigilance, le négociant en minerais indique avoir « pris la décision de continuer ses relations commerciales » dans ces zones de conflit.

Sollicité, le groupe Volkswagen, qui possède aussi les marques Porsche et Audi, met en avant la « complexité de la chaîne d’approvisionnement, qui ne permet pas de confirmer ou d’infirmer des achats » auprès de ces producteurs de minerais. L’entreprise souligne qu’elle demande à ses fournisseurs de se conformer à la Responsible Materials Initiative, une organisation financée par l’industrie, censée garantir des bonnes pratiques environnementales et sociales. D’après les journalistes néerlandais·es, sur les 344 fournisseurs d’étain, de tungstène, de tantale et d’or à Volkswagen en 2024, plus d’un tiers n’a pas obtenu la certification de la Responsible Materials Initiative. Une certification au demeurant totalement inepte, puisque le groupe kazakh Ulba, lui, est labellisé « conforme »

« Volkswagen ne peut pas simplement pointer du doigt ses fournisseurs : elle a les moyens d’exiger la transparence », réagit Marianne Moor, de l’ONG néerlandaise PAX. La marque allemande pourrait non seulement publier la liste des mines qui l’approvisionnent, mais aussi rompre avec ses fournisseurs problématiques. Comme Apple : en 2023, la firme, qui dépend aussi de ces minerais pour ses smartphones, a cessé ses achats auprès de 14 négociants qui s’approvisionnent en Afrique centrale. Huit d’entre eux figurent toujours parmi les partenaires de Volkswagen. Pas encore de quoi rouler la conscience tranquille.

** **

Pour aller plus loin

« Rechargeons les batteries des droits humains » : un titre éloquent pour le rapport publié en octobre 2024 par Amnesty International. L’ONG a analysé les actions des principaux constructeurs automobiles pour respecter les droits humains dans leur chaîne d’approvisionnement en minerais. Le bilan n’est satisfaisant pour aucun d’entre eux. Sur les 13 entreprises analysées, Volkswagen se hisse au quatrième rang, mieux que Renault par exemple, qui ne publie pas la liste de ses fournisseurs de métaux.

D’autres minerais stratégiques pour les constructeurs de voitures électriques sont synonymes d’esclavage moderne en RDC. Comme le cobalt, lui aussi exploité dans des mines artisanales, parfois par des enfants et au prix d’une pollution massive des sols et des cours d’eau. Un documentaire saisissant d’Arte, à voir jusqu’au 21 novembre.

Pour les groupes armés de l’est du Congo, les minerais sont un moyen, pas une fin : c’est la thèse défendue par Christoph Vogel dans son livre Conflict Minerals Inc. (éditions Hurst, non traduit). Le chercheur à l’université de Gand (Belgique) rappelle que la cupidité de quelques seigneurs de guerre n’explique pas les conflits dans la région, lesquels relèvent surtout de problématiques ethniques et géographiques.

** **

Ce que vous pouvez faire

Dans une foire aux questions très complète, le think tank Carbone 4 rappelle que « les véhicules thermiques aussi dépendent d’une activité extractive problématique » faite de marées noires, d’atteintes aux droits de l’homme et de conflits armés. En dépit des conditions de production des minerais, les batteries électriques restent bien plus vertueuses pour l’environnement que les moteurs à combustion.

L’électrique oui, mais pas à tout prix. Un gros SUV Audi émet deux fois plus de CO2 qu’une Renault 5 sur l’ensemble de son cycle de vie, même si ces deux véhicules fonctionnent sur batterie. Si vous ne pouvez pas vous passer de votre voiture, la sobriété doit devenir le maître mot. Et si vous vivez en ville, « pensez à covoiturer », comme le dit la pub !

Un dernier mot d’espoir : de nouveaux moteurs électriques sans minerais de conflit sont en cours de développement en France et devraient être commercialisés à partir de 2027. Et parce que le futur de la mobilité n’est pas qu’une question d’innovation technologique, prenez-vous à rêver avec les « vélis », des mini-véhicules en cours d’expérimentation dans 16 territoires et qui fonctionnent pour la plupart… à pédales.
Disclose.ngo