Les coupures d’eau sont illégales

Les méthodes de certains opérateurs

Lorsque des abonnés refusent l’installation de compteurs d’eau communicants, il arrive que le fournisseur les menace de coupure d’eau, en visant notamment certaines clauses de son Règlement.

Il arrive même que certains fournisseurs mettent à exécution leurs menaces en coupant l’eau des abonnés récalcitrants.
(ACTU.FR – 10 octobre 2021)
Il s’agit d’une situation d’abus de pouvoir qui contrevient tant à la loi qu’à notre Constitution et à la jurisprudence rendue en la matière. (Cf. § 8 de cette Note juridique)
Chaque abonné en pareille situation a la faculté de porter plainte (juge pénal), et surtout de faire respecter ses droits devant le juge civil (faire cesser les menaces, modifier le contrat, demander le rétablissement de l’accès, des dommages et intérêts, et une interdiction de couper l’accès sous astreinte).

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Pour en savoir beaucoup plus

Voici le document réalisé en lien avec la Fondation France Libertés et la Coordination eau Ile-de-France .

https://www.robindestoits.org/LES-COUPURES-D-EAU-SONT-ILLEGALES-10-12-2021_a3089.html

Extraits

Lorsque des abonnés refusent l’installation de compteurs d’eau communicants, il arrive que le fournisseur les menace de coupure d’eau, en visant notamment certaines clauses de son Règlement.
Il arrive même que certains fournisseurs mettent à exécution leurs menaces en coupant l’eau des abonnés récalcitrants.
(ACTU.FR – 10 octobre 2021)
Il s’agit d’une situation d’abus de pouvoir qui contrevient tant à la loi qu’à notre Constitution et à la jurisprudence rendue en la matière. (Cf. § 8 de cette Note juridique)
Chaque abonné en pareille situation a la faculté de porter plainte (juge pénal), et surtout de faire respecter ses droits devant le juge civil (faire cesser les menaces, modifier le contrat, demander le rétablissement de l’accès, des dommages et intérêts, et une interdiction de couper l’accès sous astreinte).

PLAN DE CETTE NOTE JURIDIQUE
1. Le Droit international
2. Le Code de l’environnement
3. Loi et contrats
4. L’interdiction de la coupure d’eau
5. La décision du Conseil constitutionnel
a. Sur la liberté contractuelle
b. Sur l’interdiction des coupures d’eau
6. Question à l’Assemblée nationale
7. Question au Sénat
8. La jurisprudence
9. Une Revue de presse

  1. LE DROIT INTERNATIONAL

L’accès à l’eau est reconnu dans nombre d’instruments internationaux comme un droit fondamental, indissociable du droit à la vie et à la dignité.
Observation générale n°15 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels « Le droit à l’eau » (art. 11 et 12 du Pacte international relatif  aux droits économiques, sociaux et culturels) – 20 janvier 2003 :
« 1. L’eau est une ressource naturelle limitée et un bien public ; elle est essentielle à la vie et à la santé. Le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme. »
« 10. Le droit à l’eau consiste en des libertés et des droits. Parmi les premières figurent le droit d’accès ininterrompu à l’approvisionnement en eau nécessaire pour exercer le droit à l’eau, et le droit de ne pas subir d’entraves, notamment une interruption arbitraire de l’approvisionnement et d’avoir accès à une eau non contaminée. »
Assemblée générale de l’ONU, Résolution du 28/07/2010 (A/RES/64/292), intitulée « Le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement » :
« Reconnaît que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme. »
Conseil des Droits de l’Homme, 30/09/2010, Résolution 15/9 :
« Article 3 : Affirme que le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est indissociable du droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi que du droit à la vie et à la dignité. »
« Article 6 : Réaffirme que c’est aux Etats qu’incombe au premier chef la responsabilité de garantir le plein exercice de tous les droits de l’homme, et que le fait de déléguer la fourniture de services d’approvisionnement en eau potable et/ou de services d’assainissement à un tiers n’exonère pas l’Etat de ses obligations en matière de droits de l’homme ».

  1. LE CODE DE L’ENVIRONNEMENT
    Dans son Article L210-1, le Code de l’environnement confirme :

« L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. […]
Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. »

  1. LOI ET CONTRATS

Les contrats privés (en ce compris les clauses des Conditions Générales de Vente ou CGV) liant un professionnel et un consommateur, ne peuvent contrevenir à la loi lorsque celle-ci est d’ordre public et a fortiori à notre Constitution et aux objectifs de valeur constitutionnelle.
Article 6 du Code civil :
« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. »
Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations :
« Art. 1102.-Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public.
« Art. 1162.- Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

  1. L’INTERDICTION DE LA COUPURE D’EAU

Code de l’action sociale et des familles : Article L115-3, confirmé par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 et son décret d’application n°2014-274 du 27 février 2014 :
« […] Du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L.124-1 du code de l’énergie. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année. »

  1. LA DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
    a. Sur la liberté contractuelle
    Dans sa décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, relative à l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau dans les résidences principales, le Conseil constitutionnel justifie que le législateur peut apporter des limitations à la liberté contractuelle dès lors que la distribution d’eau potable est un service public encadré par la loi :

« 4. Considérant qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ; »
« 8. …la distribution d’eau potable est un service public industriel et commercial qui relève de la compétence de la commune ; que ce service public est exploité en régie directe, affermé ou concédé à des entreprises dans le cadre de délégations de service public ; que l’usager de ce service public n’a pas le choix de son distributeur ; que le distributeur d’eau ne peut refuser de contracter avec un usager raccordé au réseau qu’il exploite ; que lorsque le service public est assuré par un délégataire, le contrat conclu entre ce dernier et l’usager l’est en application de la convention de délégation ; que les règles de tarification de la distribution d’eau potable sont encadrées par la loi ; qu’ainsi, les distributeurs d’eau exercent leur activité sur un marché réglementé ; »
« 9. Considérant, d’autre part, que pour mettre en œuvre cet objectif de valeur constitutionnelle, le législateur pouvait, sans porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus, modifier, y compris pour les conventions en cours, le cadre légal applicable aux contrats de distribution d’eau ; »

b. Sur l’interdiction des coupures d’eau
Commentant l’interdiction des coupures d’eau, le Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) mentionne le 19 juin 2015 que cette interdiction s’applique pour tous, que l’usager paie ou non ses factures :
« Le Conseil constitutionnel, saisi le 25 mars 2015 par la Cour de cassation sur une question prioritaire de constitutionnalité posée par une société de distribution d’eau, a rendu une décision qui garantit l’accès à l’eau considéré comme un besoin essentiel de la personne.
Cette décision marque la fin de deux années de « bataille judiciaire ». En effet, le Conseil constitutionnel a validé l’interdiction généralisée des coupures d’eau pour les résidences principales, y compris lorsque l’usager ne paie pas ses factures. Le Conseil constitutionnel a ainsi validé la Loi Brottes de 2013, qui interdit à tout distributeur de couper l’alimentation en eau tout au long de l’année dans une résidence principale même en cas d’impayé.
En conséquence, la clause contractuelle invoquée par certains fournisseurs leur donnant prétendument le droit de couper l’accès à l’eau n’est pas applicable dès lors qu’elle est manifestement contraire à la décision du Conseil Constitutionnel du 29 mai 2015, à l’objectif de valeur constitutionnelle de garantir l’accès à l’eau pour toute personne, quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, comme en témoignent ces autres propos du Conseil Constitutionnel :

6. « il résulte des premier, dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle »
7. « en interdisant aux distributeurs d’eau d’interrompre la distribution d’eau dans toute résidence principale tout au long de l’année pour non-paiement des factures, le législateur a entendu garantir l’accès à l’eau pour toute personne occupant cette résidence ; qu’en ne limitant pas cette interdiction à une période de l’année, il a voulu assurer cet accès pendant l’année entière ; qu’en prévoyant que cette interdiction s’impose quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, il a, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013 susvisée, entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau ; que le législateur, en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ».

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Cela se passe en Vendée

Nous avons été informés de faits suffisamment graves pour être ici dénoncés.

Depuis plusieurs mois, la société Vendée Eau, distributeur d’eau, sollicite ses abonnés pour remplacer leur compteur d’eau traditionnel par un compteur équipé d’un module de radio-relève ou télé-relève.
Lorsque l’un des abonnés exprime son refus de ce type de compteur communicant, la société Vendée Eau adresse à cet abonné un courrier qui le menace de fermeture de sa fourniture d’eau, de pénalité pour cette même fermeture, et conditionne le rétablissement du service d’eau à l’acceptation du compteur à radio-relève.

Pour ce faire, Vendée Eau se prévaut d’un paragraphe de l’article 10.2 de son propre Règlement de distribution d’eau potable : « Si l’abonné refuse de laisser faire les réparations ou remplacements jugés nécessaires au compteur et au robinet d’arrêt avant compteur, le Distributeur d’eau supprime, après mise en demeure notifiée à l’abonné et restée sans suite dans un délai de 30 jours, la fourniture de l’eau ».

Alors que ces abonnés paient régulièrement leurs factures, alors qu’ils ont simplement manifesté leur droit à conserver le compteur déjà installé et en parfait état de marche, Vendée Eau les met face à une situation qui s’apparente à de l’intimidation et du chantage : le compteur à radio-relève ou la coupure d’eau.

Pire encore, Vendée Eau met ses menaces à exécution, et coupe l’eau de ses abonnés, comme en témoigne l’article publié le 10/10/2021 sur le site ACTU.FR.

Pourtant, personne ne peut ignorer que la jurisprudence constante condamne toute coupure d’eau, peu important la période de l’année, même en cas de factures impayées. Un certain nombre de normes juridiques l’attestent, avec en point d’orgue la décision n°2015-470 QPC du Conseil constitutionnel du 29 mai 2015, dont la motivation est limpide : « en interdisant aux distributeurs d’eau d’interrompre la distribution d’eau dans toute résidence principale tout au long de l’année pour non-paiement des factures, le législateur a entendu garantir l’accès à l’eau pour toute personne occupant cette résidence ; qu’en ne limitant pas cette interdiction à une période de l’année, il a voulu assurer cet accès pendant l’année entière ; qu’en prévoyant que cette interdiction s’impose quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, il a, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013 susvisée, entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau ; que le législateur, en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ; »

Il résulte de l’état actuel du droit que toute coupure d’eau, a fortiori pour motif de refus de changement de compteur, est parfaitement illicite, de même que la clause du Règlement de Vendée Eau est manifestement contraire aux principes à valeur constitutionnelle rappelés par la décision susvisée, et ne saurait recevoir application.

Nous avons rédigé une note détaillée qui expose la situation juridique en France concernant l’illégalité des coupures d’eau.

De surcroît, les menaces de coupure et de résiliation de contrat illicites en vue d’obtenir un accord pour un changement de compteur sont susceptibles de constituer une tentative d’extorsion, délit réprimé par les articles 312-1 à 312-9 du code pénal.

En conséquence, par lettre de mise en demeure de notre avocat, nous avons demandé à la société Vendée Eau :
– de cesser toute menace de coupure d’eau aux usagers ayant exprimé un refus de compteur à radio-relève ou télé-relève ;
– d’adresser un courrier d’excuses à tous les abonnés auxquels elle a déjà proféré ces menaces ;
– de supprimer de son règlement de distribution d’eau potable le dernier paragraphe de l’article 10.2 ;
–  d’informer sans délai les usagers de la suppression de ce paragraphe de son règlement ;
– de ne procéder à aucune coupure d’eau ni résiliation de contrat en cas de refus de changement de compteur pour un compteur à radio-relève ou télé-relève.
Vous retrouverez ce communiqué sur notre site :
https://www.robindestoits.org/LES-MENA

[1] https://www.vendee-eau.fr/

[2] https://actu.fr/societe/vendee-une-famille-pri

[3] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/

[4] https://www.robindestoits.org/LES-COUP

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/L