Le mot du jour

éviser

ex -viser, militaire = qui tire dehors (même chez soi) vers nous sans portable, et qui est déjà visé par la box ou l’antenne-relais hors de soi.

Peut se décliner euphoniquement :

– éviter/évitement de l’Autre et du problème que pose le portable, l’antenne, le Tout-électronumérique…

– évider : pour le cerveau et la réflexion (décervelage).

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Qui d’entre nous n’a pas vécu cette situation étrange : se trouver dans une salle d’attente près de personnes qui ne semblent pas vous voir, le regard fixé sur leur téléphone portable, sourdes à votre « bonjour », ou croiser des gens en train de marcher, aveugles au paysage alentour, leur regard vous traversant comme si vous étiez invisible, absorbés par une conversation téléphonique ou par leur propre image brandie devant leurs yeux sur un écran ?
Un verbe nous est revenu en mémoire à ce sujet, un verbe, et même deux,  inventés   par l’auteur d’un livre de Science-Fiction* publié il y a quelques années: éviser et inouïr.
Ce roman se déroule dans deux villes partageant le même territoire, imbriquées l’une dans l’autre, mais appartenant à deux pays différents. Ainsi, certaines rues sont communes, telle cette avenue sur laquelle le flot de voitures est mélangé, mais où il est interdit de regarder de l’autre côté ou dans certains endroits, là où se trouve « l’autre ville ».
Et en fait, les habitants ne se « voient » pas, conditionnés depuis leur enfance à ne pas voir ni entendre leurs homologues : ils les évisent. Ils peuvent s’asseoir à une terrasse de café voisine d’une autre et éviser les consommateurs assis autour de la table toute proche : leur cerveau ne les enregistre tout simplement pas. Quelle métaphore intéressante, ne trouvez-vous pas ?
Nous, EHS et lanceurs d’alerte, ne marchons-nous pas avec les yeux grand ouverts, effarés par le spectacle que nous offrent nos semblables, hypnotisés, absents, se mouvant dans un monde déréalisé, et qui nous évisent ?
Ce que nous constatons avec consternation, c’est la co-existence de deux mondes, dont l’un se perd dans le virtuel des écrans et prend progressivement la place de la réalité, telle que notre cerveau la perçoit. Essayons-nous d’alerter sur les dangers sanitaires des ondes électromagnétiques artificielles ?
Nous sommes inouïs.
Nous comportons-nous de manière différente, avec un livre à la main, sans portable ?
On nous évise.
Ou bien, si nous insistons, troublant par nos paroles l’univers de rêve induit par les technologies numériques, nous déclenchons l’agressivité, jusqu’à ce que nous nous taisions, et que nos interlocuteurs retrouvent les sensations confortables de l’addiction.
C’est ainsi que fonctionne un conditionnement qui s’est emparé des cerveaux depuis environ deux décennies, véritable piège surfant sur l’attractivité du sans fil, son côté « pratique », puis ludique, et enfin « indispensable ».
Mais cet « indispensable » n’est qu’un leurre qui alimente la fortune des multimilliardaires tout en grignotant notre espace de liberté physique (plus de zones blanches ?) et mental (« A quoi sert de résister ? C’est le progrès ! ») et en mettant notre santé en danger.
Gardons notre lucidité, les yeux ouverts, nous en avons besoin plus que jamais, à l’heure où l’Intelligence artificielle s’immisce dans nos vies et menace de les contrôler.
Regardons bien en face le danger que nos contemporains évisent. 

Le Conseil d’Administration de robin des toits

 *The city and the city, China Miéville, Éditions Fleuve Noir 2011