A ceux qui s’interrogent sur l’opposition à Linky, Gazpar et autres capteurs communicants, Enedis vient d’en confirmer l’ampleur en lançant le 1er octobre un pseudo « débat participatif Linky ».
Débattre du mouchard électronique trois ans après le début de son déploiement et alors que des millions de foyers se le sont déjà vu imposer, cela vous rappelle quelque chose ? Oui, la campagne de pseudo-débats sur les nanotechnologies organisée en 2009-2010 par le gouvernement (via la Commission nationale du débat public – CNDP), trois ans après l’inauguration de Minatec, premier pôle européen de nanotechnologies, à Grenoble. Ou les pseudo-débats sur l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, avec cette même CNDP, en 2005 puis en 2013, vingt à trente ans après la décision d’enfouir les déchets nucléaires dans la Meuse.
Comme à chaque fois, le recours au pseudo-débat participatif signale une révolte d’opinion et la nécessité de la mater pour faire comme prévu. C’est le coup du débat après coup.
Qu’adviendrait-t-il si – par impossible – la conclusion du « débat participatif Linky » était un refus de l’échantillon consulté ? Voyez-vous l’Etat et le patron d’Enedis annoncer la fin du programme, dédommager les usines de fabrication et les sous-traitants assurant la pose pour le manque à gagner, remplacer les mouchards déjà posés par d’anciens modèles, rembaucher les releveurs licenciés et présenter leurs excuses aux Français pour ce choix anti-démocratique, liberticide, polluant et déshumanisant ? Oui, hein, rions avec Enedis.
Voici trois ans qu’enfle une révolte inédite contre les capteurs communicants, à la surprise des technocrates qui avaient tout planifié. Ils nous avaient déjà envoyé les directeurs régionaux d’Enedis, puis la directrice nationale de la communication, Gladys Larose, en vain. Ils avaient tenté la « pédagogie », la ruse, l’intimidation, les menaces, le harcèlement, la violence, en vain. Récemment, ils sommaient les communes de les informer de l’activité des opposants. Le 14 décembre 2017, anxieux de « la persistance d’un fort mouvement d’opposition à Linky », ils avaient manigancé une « table ronde » à l’Assemblée nationale, sous la férule de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et de son vice-président, Cédric Intelligence-artificielle Villani. En vain.
Alors, ils sortent les acceptologues.
L’ultime recours
Combien de fois les avons-nous vus débarquer, ces sociologues et animateurs de réunions, avec leurs « procédures de dialogue avec le peuple » et leurs PPP (Post-it et PowerPoint) sous le bras, pour nous rabâcher que nous pouvions tout dire, sans tabou, puisque notre parole comptait pour rien (ça, ils ne le disaient pas) ? Nous les connaissons si bien que nous nous sommes fait passer pour eux. Un tel manque de disruption trahit l’affolement des technocrates d’Enedis. Il faut croire que la pose des mouchards ne suit pas le rythme prévu par leur « programme industriel », en raison du nombre des refus et d’une opposition concrète (compteurs barricadés, poseurs empêchés, voisins vigilants, recours devant les tribunaux, etc).
Puisqu’ils nous y contraignent, rabâchons.
Le débat participatif sur Linky, ce sont les opposants aux capteurs communicants – des centaines de collectifs et des élus municipaux courageux – qui l’ont lancé et qui le mènent depuis trois ans partout en France. Nous, Pièces et main d’œuvre, documentons et critiquons la « planète intelligente », ses réseaux, objets et humains connectés depuis 2010. Jamais les 60 « citoyens tirés au sort », ni les quelques contributions récoltées sur le site d’Enedis pour son pseudo-débat virtuel ne vaudront les salles combles de centaines de réunions, jusque dans les plus petits villages, ni les échanges de documents, réflexions, informations entre simples citoyens. S’ils s’interrogent sur le bien-fondé de leur filet électronique, des milliers de personnes leur ont déjà répondu.
A quoi bon débattre quand les décisions sont arrêtées ? D’abord, à calmer les opposants. C’est connu, la parole libère et apaise la colère. C’est du moins ce que croient les « sociologues des controverses », qui ont pourtant senti l’odeur du goudron et des plumes plus d’une fois. Ces gens n’apprennent rien. Leur recette, fourguée aux initiateurs de projets nuisibles, est inchangée : « Faire participer pour faire accepter ». Traduction pour les opposants : « Participer, c’est accepter ». Voilà pourquoi nous avons refusé toutes les invitations à ces opérations d’enfumage. Ils auraient été trop heureux de revendiquer la validation du processus par les opposants eux-mêmes. Voilà pourquoi, à nouveau, nous appelons à refuser toute participation dont Enedis pourrait se prévaloir.
Une fois de plus, il s’agit de faire de la communication, de fabriquer un « événement » sur mesure pour les médias (déjà arrosés de lucratives publicités pour Linky & Enedis), qui rapporteront complaisamment la mise en scène et les « conclusions » d’une pincée de « citoyens » fantoches.
Bien sûr, les acceptologues peuvent toujours compter sur la vanité et les intérêts d’organismes prétendument « citoyens », « associatifs », « militants » pour jouer les idiots utiles. La place revient en général à France Nature Environnement, qui s’est fait une spécialité d’apporter sa pseudo-caution verte aux projets les plus mortifères. Ces écologistes à gages sont financés par le ministère de l’Ecologie et les pouvoirs publics afin de jouer les figurants dans ce genre de comédie. Nous les avions dénoncés lors des faux débats de la CNDP sur les nanotechnologies. Nulle surprise à les trouver derechef dans le « comité national » chargé d’organiser ce pseudo-débat participatif Linky, aux côtés notamment des industriels de l’électricité… et de la présidente de la Criirem.
Ce n’est pas faute d’avoir rabâché que nous voulions rester maîtres de nos vies, que nous refusions le transfert de notre libre arbitre à des machines et notre incarcération dans une prison électronique. Cependant, les sociologues et experts en concertation ont besoin de collecter nos arguments synthétisés, dans le format imposé par leur site (micro-trottoir de 20 secondes, contributions de quelques lignes), afin de « cartographier l’opposition », selon leur propres termes et d’affûter les éléments de langage destinés à nous contrer. Nous ne sommes pas assez stupides pour les instruire nous-mêmes des ressorts de notre mouvement, de sa dynamique, de son ampleur et de ses motifs.
Dans l’affaire Linky, le rôle de l’analyste – membre du « comité national » du pseudo-débat – est tenu par une doctorante en sociologie, Aude Danieli, déjà présente à la « table ronde » de l’Assemblée nationale. Comme c’est harmonieux : Aude Danieli réalise sa thèse sur « la « mise en société » des compteurs communicants Linky » : « son enquête sur les controverses sociales autour de ces technologies numériques est un analyseur (sic) des processus d’innovation relatifs à ces compteurs communicants et des conflits qu’ils peuvent susciter dans la société française. » Elle aimerait tant nous ajouter à sa cohorte de cobayes pour disséquer nos raisons et moyens. Au fait, Aude Danieli fait sa thèse à l’Ecole des Ponts Paristech CNRS (laboratoire Techniques, Territoires et Société), en partenariat avec Cécile Caron, ingénieure en sociologie du groupe de recherche Énergie, Technologie et Société d’EDF Lab. Comme quoi, la sociologie mène à tout, et même à de belles carrières universitaires. Il ne faut surtout pas en sortir.
Dans le rôle des manipulateurs, comme d’habitude, une agence de conseil en relations publiques et communication : Etat d’esprit (35 boulevard de Strasbourg, Paris 10e). La pudeur d’Enedis lui interdisant d’afficher cette collaboration, c’est le nom d’une revue publiée par ladite agence qui figure sur le site du pseudo-débat : les Cahiers de la ville responsable. Mieux, cette revue serait à l’initiative de l’opération d’enfumage : « Attachés aux grandes questions sociétales en lien avec les territoires et à ce qui relève du dialogue citoyen, c’est donc naturellement que les Cahiers de la ville responsable, en partenariat avec Enedis, ont choisi d’organiser un débat participatif sur le déploiement national des compteurs communicants. » « Les Cahiers de la ville responsable, ont souhaité faire « un pas de côté », proposer un cadre d’information, d’échange et de contribution sur le déploiement du compteur Linky » et ils « ont imaginé un dispositif original de concertation ». Et ce n’est pas dans les habitudes d’Enedis de nous prendre pour des crétins.
Toute leur originalité se réduit à tirer au sort trois groupes de vingt citoyens, en Ile-de-France, en Occitanie et en Normandie, pour les réunir à huis-clos trois samedis avant d’accoucher d’un « avis partagé ». La fondation Sciences citoyennes et Jacques Testart ne jurent que par ces « conférences de citoyens » qui ne représentent qu’elles-mêmes et sont censées délivrer la juste parole démocratique.
Rien de neuf dans votre « état d’esprit » ni dans votre dispositif d’acceptabilité. Votre « enquête participative vidéo » (un vulgaire micro-trottoir) et vos « conférences de citoyens » tardives et parcellaires sont vaines et indécentes. Gardez vos sociologues, vos « procédures de dialogue avec le peuple » et votre condescendance. Nous nous exprimons quant à nous sans pare-feux et nos voisins nous comprennent assez bien.
Les charlatans de l’acceptabilité
Combien ce barnum va-t-il nous coûter ? Une broutille, dans les 5, 6, 7 ou 8 milliards du déploiement de Linky. N’empêche, ça fait plaisir de penser que nous allons, en plus, engraisser Grégoire Milot, président fondateur d’Etat d’esprit, et son collègue Pascal Beaumard, en charge du client Enedis. Des professionnels au dress code impeccable – chemise et dent blanches – et aux références rassurantes, puisqu’ils ont réalisé des « études de contexte » pour l’Andra (déchets nucléaires) et animé des réunions pour la CNDP (projets d’autoroutes).
Linky est en de bonnes mains. Ce Grégoire Milot enseigne à la Sorbonne, en master « Affaires publiques – Ingénierie de la concertation », aux côtés de Yannick Barthe, sociologue de l’innovation et co-auteur du bréviaire des acceptologues : Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Lequel regorge de conseils à l’attention des promoteurs de projets nuisibles, invités à « organiser, maîtriser les débordements sans vouloir pour autant les empêcher », à monter des « forums hybrides », mêlant scientifiques et « profanes » pour favoriser les compromis, à multiplier les débats publics pour un résultat miraculeux : « Le nucléaire qui en sortira sera socialement, politiquement et même techniquement complètement différent du nucléaire qui aurait été décidé en dehors des forums hybrides. Parler « du » nucléaire en général n’a aucun sens. Jouer au jeu de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre est encore plus inepte. »
Chez Enedis, ils n’ont pas dû en croire leur devis de relations publiques. Un Linky « socialement, politiquement et même techniquement complètement différent » grâce au pseudo-débat participatif ? Un problème-Linky transformé en solution-Linky ?
Soyons généreux. Après tout c’est notre argent. Prévenons Gladys Larose et le comité de direction d’Enedis : ils dépensent pour rien. Non seulement leur pitoyable opération de com’ n’étouffera pas l’opposition aux capteurs connectés, mais elle révèle aux distraits et aux sceptiques l’existence d’un problème. Elle fait de la publicité à la contestation. Aussi profitons-nous de cette campagne pour rappeler ceci : nous sommes les experts de nos propres vies. Nous contestons à l’Etat le droit de nous imposer un objet connecté chez nous, de nous forcer à vivre dans des « smart cities » déshumanisées et automatisées, de faire de nos données une marchandise – de rendre impossible notre vie humaine. Les prétendues garanties d’innocuité des dispositifs techniques et de confidentialité des données pillées ne rendront jamais les capteurs communicants compatibles avec une vie libre et humaine. Ni « smart city » ni « dématérialisation », nous voulons un monde avec contact.
Plutôt que de perdre notre temps avec des moulins à paroles, nous élargirons et approfondirons notre réflexion et notre critique, avec les habitants de nos métropoles et de nos villages. Nous prenons bonne note de l’inquiétude des technocrates, et nous nous emploierons à la justifier toujours plus, à notre manière : libre et humaine.
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