Le projet Hercule, qui doit finir de démanteler EDF(-GDF), est de retour, avec un texte de loi qui devrait être publié avant l’été.
On aurait pu croire que la crise sanitaire l’enverrait aux oubliettes. Niet. À travers cet acharnement, le président Macron montre une fois de plus son adhésion parfaite, aveugle et débile à la doctrine néolibérale. Car c’est bien de cela dont il s’agit.
EDF-GDF est né en 1946. Le ministre de la production industrielle d’alors, Marcel Paul (PC), avait compris que l’énergie était un secteur essentiel pour reconstruire le pays, et qu’il fallait le développer dans sa globalité pour agir efficacement. « Il n’est pas possible de briser ni l’unité technique, ni l’unité économique, ni l’unité commerciale des exploitations d’électricité qui, dans les quatre cinquième des cas, sont des exploitations de production, de transport (haute tension, Ndlr) et de distribution (basse tension, Ndlr) », expliquait-il (1). C’est ainsi que les moyens de production ont pu répondre à la demande, et que le pays a pu se reconstruire. Avec tous les abus que nous pouvons constater aujourd’hui en termes de pollution et de modèle de société, certes. Mais l’objectif recherché à l’époque a pu être atteint, grâce, notamment, à ce formidable outil collectif.
Au cours des trente dernières années, l’unité vantée par Marcel Paul a été patiemment réduite en miettes. Ce saucissonnage ne doit rien au hasard. Il répond à la doctrine néolibérale dont la mise en application a été expérimentée, pour le secteur de l’énergie, par la clique du dictateur Pinochet au Chili. La création d’un marché concurrentiel de l’électricité est rendue compliquée par le fait qu’il s’agit d’une énergie de réseau ? Pour que le privé puisse tout de même s’accaparer des parts de marché, les néolibéraux procèdent à une « dé-intégration verticale », qui consiste à séparer les différentes activités les unes des autres.
C’est précisément ce que poursuit le projet Hercule. L’entreprise, déjà bien désarçonnée, serait scindée en trois entités : EDF Bleu (transport et nucléaire), EDF Vert (distribution et électricité renouvelable) et EDF Azur (barrages hydroélectriques). Ce qu’il faut en retenir est assez simple : les secteurs déficitaires (Bleu) resteraient publics, tandis que les secteurs d’avenir (Vert) seraient ouverts au secteur privé (2). Socialiser les dettes, privatiser les profits, un grand classique.
Il serait pourtant urgent, comme en 1946, de re-créer un grand pôle public de l’énergie. Le défi qui s’impose est en effet au moins aussi gigantesque que celui d’après-guerre : mener la bifurcation écologique pour limiter le dérèglement climatique. Et pour cela, il faut reprendre en main tous les leviers qui permettraient d’appliquer une stratégie globale et cohérente, articulant les différentes énergies entre elles et les moyens de production entre eux, utilisant les bénéfices des secteurs rentables pour, par exemple, isoler des bâtiments et œuvrer pour la sobriété.
Hier pour reconstruire le pays, aujourd’hui pour sauver le climat : dans les deux cas, le néolibéralisme est l’ennemi. Marcel Paul avait prévenu dès 1946 les agents – et à travers eux les usagers – d’EDF-GDF : « Je vous demande de ne jamais oublier que vous avez en charge un instrument fondamental de la vie du pays. Votre dignité, comme l’intérêt national, vous font un devoir impérieux de continuer à défendre sans jamais défaillir le Service Public, propriété de la nation, contre les représentants du grand capital industriel et bancaire dont le seul objectif est d’asservir encore plus le pays à leurs insatiables besoins de domination et de profit. » Pour l’heure, les grévistes d’EDF et de ses filiales ont du mal à se faire entendre médiatiquement et à mobiliser les usagers dans leur combat.
Mais ça va venir, Marcel, ça va venir…
Nicolas Bérard, journaliste au mensuel « l’âge de faire »
1 – Et la lumière fut nationalisée, René Gaudy, éditions Sociales.
2 – Reste le cas d’Azur, qui serait, dans un premier temps en tout cas, une entreprise détenue par EDF Bleu, ce qui s’explique notamment par le fait que les centrales nucléaires doivent pouvoir fonctionner en collaboration étroite avec les barrages pour refroidir les réacteurs.