Fracture numérique et pass-numérique

Intervention du collectif ACCAD sur RadioPlus Douvrin

Nous allons terminer avec ce chapitre sur le « tout numérique » voulu par le Gouvernement pour 2022 et bien sûr l’illectronisme qui en découle, une lame de fond porteuse de nouvelles formes d’exclusion dont vous nous avez fait prendre conscience, … Une situation que beaucoup déplorent …. Et oui, cette France qui se numérise à grande vitesse laisse sur le bord du chemin les personnes qui ne sont pas équipées ou qui redoutent de se perdre dans les méandres d’internet, en plus des disparités géographiques, sociales et générationnelles et lors de ces deux précédentes émissions, vous nous avez dressé l’état des lieux ! Je me souviens que déjà, en 2017, Jacques Toubon, le défenseur des droits, demandait que les services publics offrent une alternative humaine à la numérisation des démarches administratives et à cette époque, il déplorait un manque de politique globale d’accompagnement humain de la dématérialisation …..

Alors, je crois savoir que l’Etat déploie un programme inclusif afin de pallier cette fracture numérique …. Par exemple, il a mis en place le « Pass numérique ». On explique et, ensemble, on verra où le  bât blesse

Le pass fait partie des nouveaux mots qu’il faut apprendre ou réapprendre. C’est un peu comme les mots que l’on apprend  ou réapprend depuis mars 2020 : confinement, masque, couvre feu, verbalisation, sécurité …  On avait déjà le pass sanitaire –pass qui pose déjà  problème. On a maintenant le PASS pour les études dans le domaine médical. Il va donc falloir s’habituer à ces différents pass. On ne doit plus penser liberté, on doit penser pass. Il y a du pass partout ! Comme quoi le langage et les mots ont de l’importance.

De quoi s’agit-il avec ce pass numérique ? C’est un plan imaginé par l’Etat qui permettra « un accompagnement ciblé et local des personnes en difficulté face au numérique, et ce avec une prise en charge totale ou partielle par un tiers-payeur. » Bien sûr, comme d’habitude, tout le monde sera concerné puisque l’on se dit préoccupé en haut-lieu par cette fracture numérique qui atteint tout de même 13 millions de Français. Donc, on va faire appel aux organismes publics ou semi-publics et, bien entendu, aux associations. Tout ceci sera évidemment gratuit pour les personnes qui en bénéficieraient. Mais cela rapportera aux organismes formateurs. C’est pour cela que certains se sont engouffrés dans ce nouveau dispositif.  Puisqu’on est dans une phase de numérisation de la société, on ne peut pas faire  autrement, on ne peut pas être contre le progrès : toujours la même rengaine qu’il faut rappeler le plus souvent possible.

Alors si vous permettez, je vous fais écouter cette promo qui passait sur nos ondes pour justement encourager les gens à utiliser ce pass numérique …..Ce que j’aime dans cette promo, c’est « Vous ne maîtrisez pas internet ….. etc …. Information sur pass-numérique.agglo-lenslievin.fr » Vous n’avez pas l’impression qu’il y a quelque chose qui coince ?????

C’est vrai. Il suffit de décortiquer cette annonce publicitaire. Tous les publics en difficulté sont énoncés : les personnes qui veulent avoir accès aux démarches administratives, celles qui veulent surfer sur le net, celles qui cherchent un emploi …Cerise sur le gâteau : la Communauté d’agglo Lens-Liévin appâte  avec la proposition d’obtenir jusqu’à 100 €. Comme le soulignent les promoteurs de ce vaste projet : « Les précieux sésames sont ensuite échangeables contre des ateliers de formation auprès des 48 collectivités qui participent à ce vaste projet national déjà expérimenté à plus petite échelle ». Et bien entendu, le sourire reviendra car on sera expert en informatique. Elle est pas belle la vie ?

Il ne faut pas oublier l’optique principal ede ces nouvelles structures : « les ateliers de formation tourneront autour des démarches administratives de manière à permettre aux personnes intéressées de se familiariser avec ces outils devenus quasiment indispensables à la vie courante ». Vous avez entendu : outils indispensables à la vie courante !

On va enfin avoir des Françaises et des Français qui vont s’éclater grâce à un écran que l’on va maitriser. Le leurre absolu.

En tout cas, la CALL va plus loin que l’Etat car le point de départ est de s’occuper des personnes les plus en difficulté face aux outils numériques.

Alors d’autres initiatives sont mises en avant … par exemple, des bus sillonnent certaines régions, pour permettre aux seniors qui le souhaitent de participer à des ateliers pour se former à l’informatique

 Comme de nombreuses personnes ne sont pas au courant, il faut trouver des stratagèmes  pour aller à la rencontre des personnes en difficulté. Donc, ou on utilise des spots publicitaires, ou on va jusqu’à aménager un bus  -donc un objet mobile- pour apporter la bonne nouvelle. Il ne faut pas mépriser les personnes qui ne connaissent pas l’informatique mais il faut leur faire comprendre que le salut ne viendra que par cette nouvelle connaissance. Il faut que cela rentre bien dans le crâne de ces ignorants ! Et l’imagination est au pouvoir pour arriver au but final : connecter tout le monde.

L’ex-Secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Majhoubi, a détaillé comment il voulait aider les personnes exclues et pour cela, il veut que chaque territoire soit en mesure de déployer des parcours d’accompagnement et fait appel aux associations de médiation numérique, aux collectivités locales, aux organismes sociaux comme la CAF ou Pôle Emploi … ; cela vous semble-t-il efficace ?

L’ancien secrétaire d’Etat adhère à cet impératif premier : il faut faire prendre conscience aux Français que l’on ne peut pas vivre sans ces outils numériques. C’est une obsession : sans le numérique, pas de salut, cela doit devenir une obligation. Par exemple, à partir de 2022 on ne pourra faire des démarches administratives  que par le net. C’est comme cela, c’est vital, c’est le sens de la vie. Ce n’est pas grave si cela supprime des postes, ce n’est pas grave si les contacts humains seront supprimés. On en a déjà eu un avant goût avec le confinement. Il faut continuer sur cette lancée. La politique de confinement a déjà fait des dégâts sur le plan social (par exemple, avec les dépressions, les suicides …) ; comme on ne change pas une équipe qui gagne, on va renouveler le même genre d’expérience avec la numérisation. Les personnes qui ne veulent pas de cette méthode seront des sous-humains. Un point, c’est tout.

Et puis, nous avons parlé aussi de cassure géographique … Or, Mounir Majhoubi dit que l’engagement a été pris de garantir un accès au haut débit partout sur le territoire et de généraliser une couverture mobile de qualité.

On a déjà un peu évoqué ce problème lors d’une précédente émission. Pour résumer, il faut rappeler que la numérisation obligera à produire plus d’électricité (trois fois plus avec la 5G qu’avec la 4G) ; il faut rappeler que le haut débit sert à vendre de nouveaux produits et à se passer des humains. Comme on est dans une société qui incite à la consommation à outrance, il faut montrer que l’on est dans le sens du progrès quand on achète 5G, quand on écoute 5G, quand on mange 5G, quand on veut de la télémédecine, quand on rêve d’une voiture autonome, quand on télécharge plus vite, quand on accepte la reconnaissance faciale, quand on accepte la télésurveillance(sous prétexte que l’on n’a rien à se reprocher et que c’est bon pour la sécurité du Français moyen) ,quand on veut ces nouvelles villes connectées que l’on appellera des smart city. On se fiche pas mal des dégâts occasionnés par ces nouvelles technologies : pour la confection, il faut beaucoup de matériaux, ce qui veut dire que l’on devra faire subir principalement aux africains, les extractions polluantes de ces métaux rares. Cette situation ne durera pas éternellement car il faut savoir que ces produits  sont –comme l’adjectif le dit- rares. Donc il y aura pénurie à un moment donné. Pour ce qui est de l’obsolescence, le recyclage n’est pas au programme, essentiellement parce qu’il n’y a pas grand-chose à recycler. Quand on veut récupérer un petit peu de ces produits déclassés, on va faire travailler dans des conditions inhumaines notamment des enfants … surtout ceux d’Asie … et d’Afrique. Autre constat : on abandonne 85% de ces objets à l’incinération ou à la décharge. Bonjour les dégâts. Bonjour le respect de la nature, bonjour l’écologie.

Il ne faut pas oublier les autres problèmes environnementaux et sanitaires de cette politique volontariste. Il suffit de regarder notre horizon. Il n’est plus très vierge. Il est constellé de poteaux électriques, d’éoliennes, d’antennes relais. Nos campagnes sont déjà polluées par les pesticides e tout genre. Elles sont maintenant défigurées  avec ces goldoraks des temps modernes. Elles sont aussi polluées par ces ondes électromagnétiques que l’on ne voit pas mais qui commencent faire des dégâts, n’en déplaise à l’ANSES, cet organisme public qui est chargé d’évaluer les risques sanitaires et qui botte en touche quand il analyse les effets sanitaires de la 5G sur nos organismes.

Pour revenir sur le secrétariat d’Etat au numérique, le remplacement de Mounir Mahjoubi n’a pas été très heureux, surtout quand on entend son successeur, Cédric O, proclamer ceci : « Rennes sans la 5G, c’est Reims sans le champagne » ! Triste évolution !

J’ai comme l’impression qu’il y a quand même beaucoup de failles dans ce qui est mis en place, avec beaucoup de paramètres qui ne sont pas pris en considération et, à mon avis, je pense que malheureusement la bombe à retardement finira par exploser mais qu’auparavant, un certain nombre de personnes se verront exclues …. Certains pourraient dire que c’est du pessimisme …. J’appellerai cela plutôt avoir conscience d’une certaine réalité … 

La numérisation du quotidien, c’est une violence inouïe et ordinaire

Accélérée par la crise du covid, la numérisation de la vie quotidienne se poursuit, brutalisant quotidiennement les dépassés et les réfractaires sur l’air du « c’est ainsi ». Cette violence mériterait pourtant de trouver écho sur la place publique d’autant plus que les services publics ne sont pas épargnés.

Les discours misérabilistes sur la « fracture numérique » ignorent un point essentiel : c’est le fait que parmi ces treize millions d’individus, une bonne partie pense peut-être que l’État ne devrait pas pouvoir exiger d’eux qu’ils achètent un ordinateur, un smartphone, une imprimante, un scanneur et un abonnement internet (le parc électronique de base). Une partie d’entre eux pense aussi qu’on ne peut pas les obliger à polluer en achetant toutes ces machines « dématérialisantes ».

Qu’on veuille les aider ou leur botter les fesses, on présente toujours ceux et celles qui répugnent à numériser leur vie comme des gens qui n’ont pas encore compris, alors que, bien au contraire, ils ont souvent très bien compris. La question n’est pas celle de l’aptitude personnelle mais celle de la liberté.

La numérisation des commerces et des administrations a en elle-même des conséquences plus directes et décisives que les résultats des élections du mois de juin. Elle est pourtant totalement absente du débat public. Un des collectifs qui s’est penché sur ce problème se nomme le  collectif Écran total ; il rassemble depuis une dizaine d’années des professionnels confrontés à la déshumanisation de leurs métiers par le numérique et des chômeurs en lutte contre la « bunkérisation » des services publics, Pour être plus clair, la bunkérisation,  c’est la difficulté, voire l’impossibilité, des usagers à  accéder à ces services publics.

En tout cas, rares sont ceux qui ont le courage de tirer les conclusions politiques de cette situation.

Ce n’est pas moi qui exprime ce propos ; c’est extrait d’un article dans reporterre.

Si des ONG cherchent à rapprocher ces exclus du numérique par des programmes de formation spécifique, il semble à certains collectifs qu’on peut prendre le raisonnement inverse, à savoir maintenir des accès non numériques aux services publiques, laisser le choix d’un traitement humain à la place des traitements automatisés…

Car c’est dans la loi : le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) prévoit ainsi une série de droits méconnus du grand public, et cachés par les entreprises et les administrations. Dont le très intéressant article 22 qui permet à tout individu de refuser que son cas soit traité par une procédure Intelligence Artificielle ou uniquement numérique (contrôle aux frontières, affectation à l’enseignement supérieur…).

Et aussi parce que le numérique partout est dangereux pour les individus, pour les enfants  notamment…

Je voudrais terminer sur un autre mot et sur son utilisation actuellement perverse. Il s’agit du mot « solidarité ». Obéir au gouvernement, rester chez soi, télétravailler, ne pas fréquenter ses proches signifie être « solidaire ». A l’inverse, organiser un bal et aller manger le midi chez sa vieille tante, c’est être égoïste. La solidarité ne signifie plus l’entraide mais la soumission des individus à la technologie et à l’administration, auxquels on s’en remet pour faire tenir la société.

En tous, c’est à suivre et nous ferons, peut-être, ensemble le bilan à la fin de 2022 … savoir si nous avons vu, quant à nous, les choses trop en noir ou si c’est le Gouvernement qui les aura vues de façon trop optimiste …

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Emission « l’air du temps » ; lundi 12 juillet, à partir de 9 h 30 environ.

Radio Plus Douvrin ; https://www.radioplus.fr/ ; 104.3 FM