En gros : s’exposer aux ondes Et être surveillé en permanence
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Exposition aux ondes : « l’ampleur du phénomène nous surprend »
Alors que la véritable 5G n’est même pas encore déployée, le Criirem constate une hausse impressionnante de l’exposition du public aux ondes électromagnétiques.
Un an après les premières offres commerciales, la 5G, pour l’instant, fait un flop. D’ailleurs, y a-t-il vraiment de la 5G sur le territoire ? Les opérateurs pourraient presque être accusés de publicité mensongère : mis à part quelques zones expérimentales, ils ont surtout développé leur réseau 4G – même s’ils préfèrent parler de 4G+. Une récente étude de l’Arcep (1) révèle d’ailleurs que, à moins d’avoir le bon opérateur et de se trouver au bon endroit (une zone dense ou très touristique), les gros malins qui ont dépensé l’équivalent d’un Smic pour s’équiper d’un ordiphone 5G n’ont pas un meilleur débit que les autres. Parfois, même, leur connexion est moins bonne que celle de ceux qui n’ont « que » la 4G.
Pour l’instant, ils se consacrent donc à la première étape, conformément au « New Deal Mobile » signé avec le gouvernement en 2018 : planter des pylônes partout, faire disparaître la moindre zone blanche (merci bien pour les EHS, lire p. 16), densifier le réseau et donc épaissir le brouillard électromagnétique. Et pas qu’un peu. « On s’attendait à une augmentation, mais l’ampleur du phénomène nous surprend quand même », souffle Catherine Gouhier, présidente du Criirem (2).
Jusqu’à 20 Volts par mètre
Certaines estimations évaluaient à 30 % l’augmentation moyenne de l’exposition aux ondes électromagnétiques avec l’arrivée de la 5G. Celle-ci n’est pas encore sortie de ses starting-blocks, mais Catherine Gouhier estime que les niveaux d’exposition ont déjà augmenté d’environ… 50 % ! « Il y a une hausse générale, mais elle est encore plus marquée en milieu urbain », précise-t-elle. Les chiffres ont de quoi hérisser les cheveux sur la tête – quasiment au sens propre : « Avant, lorsqu’on faisait une mesure à 3 ou 4 volts par mètre, ça nous semblait déjà beaucoup. Aujourd’hui, on mesure régulièrement des expositions à 10 V/m, et jusqu’à 20 V/m ! »
Bien sûr, les normes sont encore respectées puisqu’elles ne nous protègent que des effets immédiats, dits « thermiques » : les antennes ne nous crament pas encore la peau, il reste une petite marge. Mais pour rappel, le Conseil de l’Europe, qui a bien compris le problème, estime pour sa part qu’il ne faudrait pas dépasser… 1 V/m pour protéger la santé humaine sur le long terme (3). « L’ANFR (4) ne semble pas s’en préoccuper du tout, s’inquiète Catherine Gouhier. Quand on fait des mesures sur des sites où l’on trouve des niveaux très élevés, on leur signale, mais on n’a pas de réponse. » Que fait donc l’ANFR ? Peut-être que la mise à jour de sa carte Cartoradio, qui recense toutes les antennes relais du pays, lui prend tout son temps…
Notes
1- Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
2- Centre de Recherche et d’Information Indépendant sur les Rayonnements Électro-Magnétiques non-ionisants.
3 – Résolution n° 1815 du 27 mai 2011 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
4- Agence nationale des fréquences.
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Étudiez, vous êtes filmés !
Les établissements scolaires n’échappent pas au développement des technologies de surveillance. Portiques d’accès, vidéosurveillance, il s’en est même fallu de peu pour qu’ils deviennent le laboratoire français de la reconnaissance faciale. Dans quel but ?
L’intendant d’un lycée parisien témoigne : « le proviseur a recruté un surveillant qui ne s’occupe que des couloirs et de la cour. Il n’a pas de bureau, il est en mouvement toute la journée. Cela n’a l’air de rien mais c’est efficace. » (1) Bien qu’il ait visiblement de bonnes idées, ce proviseur est complètement has been. Car, pour faire régner l’ordre au sein des établissements scolaires, la grande mode n’est plus à l’humain mais aux caméras et autres technologies de surveillance. L’idée est double : « sécuriser » les abords et empêcher les intrusions, d’une part, assurer la tranquillité à l’intérieur de l’enceinte, d’autre part. « À ces raisons, il faut ajouter le lobby exercé par les marchands de sécurité auprès des chefs d’établissement », note le sociologue Tanguy Le Goff (1).
L’efficacité de ces outils n’a néanmoins jamais été réellement démontrée. Dans son étude, Tanguy Le Goff note qu’ils peuvent avoir une certaine utilité sur les « comportements malveillants », comme boucher les trous des serrures ou déclencher l’alarme incendie – autant de bêtises potaches qui peuvent, mises bout à bout, perturber de façon importante les journées de cours. À condition d’épouser sans scrupules le modèle technologique et de dépenser sans compter, la vidéosurveillance peut faire baisser le nombre de ces actes.
Pour le reste, son intérêt est très relatif : elle ne fait baisser que légèrement les intrusions et a « un faible impact (…) sur les vols tant des biens personnels que des équipements du lycée ». Le chercheur note même que « l’équipement en vidéosurveillance et, plus largement, les politiques de sécurisation physique et d’enclosure des établissements tendent à générer un effet imprévu : le désinvestissement du personnel à l’égard de ce qui se passe au-delà des grilles du lycée ». De plus, « la vidéosurveillance génère une opposition entre le lycée et le quartier, elle en renforce l’extraterritorialité (…) [et est] parfois vécue comme une violence frontale de la part de jeunes non scolarisés dans le lycée et peut susciter des réactions anti-institutionnelles. »
La vidéosurveillance, une composante de l’arsenal
Pourtant, ces dispositifs envahissent toujours plus d’enceintes scolaires. Au détriment de l’encadrement humain ? C’est ce qu’observe Céline Vaillant, secrétaire générale de la FCPE (2) des Alpes Maritimes : « Il y a un phénomène d’érosion du nombre d’adultes présents, notamment les surveillants, par rapport au nombre d’élèves. Quand ma fille est rentrée au collège, il y avait 11 surveillants pour 800 élèves. Ce n’était déjà pas beaucoup mais, trois ans plus tard, ils n’étaient plus que 8. On voit d’un côté des investissements très lourds sur des équipements technologiques, et de l’autre, on rogne sur les budgets de choses nettement plus efficaces et polyvalentes : des surveillants ! »
Même son de cloche chez Jérôme (3), qui enseigne les maths dans un lycée dit « sensible » de la banlieue parisienne. « Notre principal vient tout juste de nous annoncer qu’il comptait installer des caméras. Nous allons nous y opposer. Nos élèves sont déjà suffisamment fliqués à l’extérieur de l’établissement. Et nous, ce que nous voulons, c’est du personnel. » Et de citer un exemple d’opposition entre les moyens technologiques et les moyens humains : « Avant, on faisait l’appel sur des fiches et un surveillant passait, à chaque heure de cour, pour les ramasser. C’est tout bête, mais il y avait un adulte dans les couloirs. Maintenant, avec le logiciel Pronote, on fait l’appel sur notre tablette et c’est transmis directement à la direction. Il n’y a plus de surveillant dans les couloirs… »
Les caméras ne sont finalement qu’une composante parmi tant d’autres d’un arsenal sécuritaire et technologique promu par l’État et les collectivités. Aux entrées des lycées et des collèges, se multiplient par exemple les portiques de sécurité, que les élèves ne peuvent franchir que munis de leur badge personnel. Pour accéder à la cantine, certains ont développé la reconnaissance palmaire, qui permet d’identifier l’élève en fonction de la forme de sa main. Deux lycées de la région Paca ont même failli devenir les laboratoires français de la reconnaissance faciale ! C’est Christian Estrosi qui avait eu cette brillante idée, bien aidé il est vrai par l’entreprise Cisco qui lui promettait – comme c’est sympa ! – de tout mettre en place gratuitement. Le projet a finalement été interdit par le Tribunal administratif, grâce à une action menée par la Quadrature du net, la FCPE et la CGT éducation.
Pourquoi un tel acharnement à vouloir équiper les lycées des dernières trouvailles sécuritaires ? « Ce n’est pas la vidéosurveillance qui va permettre, par exemple, de lutter contre le harcèlement scolaire. Mais c’est sûr que pour un homme politique, c’est plus spectaculaire de se faire filmer devant un énorme portique vidéosurveillé que devant une infirmière en train d’écouter un gamin qui va mal », regrette Céline Vaillant.
Une autre explication peut être avancée. Celle-ci se trouve dans un document rédigé en 2004 par « l’organisation des industries électroniques et numériques ». Ce lobby regroupe à peu près tout ce que le pays compte comme entreprises du secteur. Son porte-parole ? Pierre Gattaz, qui deviendra président du MEDEF un peu moins de dix ans plus tard. À travers ce Livre bleu, l’organisation fait ses préconisations au gouvernement afin de booster l’activité numérique : développer internet à très haut débit, généraliser la télévision haute définition, mettre au point un dossier médical électronique… Au sommaire de ces grandes orientations, tout un chapitre est consacré à la sécurité du territoire, dans le monde post-11 septembre 2001. « Les récents attentats de Madrid justifient que la France et l’Europe soutiennent leur industrie électronique en consacrant des moyens plus importants pour la R&D (Recherche et développement) sur la sécurité, en facilitant l’émergence de nouveaux produits sécuritaires et en favorisant leur usage », insistent les rédacteurs.
Problème : « La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. » Parmi les différentes méthodes proposées, l’une d’elles consiste à s’appuyer sur l’éducation nationale : « dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants. »
Le pari de l’industrie est donc le suivant : habitués dès l’enfance à s’identifier pour franchir le portique de sécurité de son établissement, à se sentir en permanence vidéosurveillé, à poser sa main sur un capteur biométrique pour accéder à la cantine, les adultes de demain accepteront beaucoup plus facilement l’installation de ces technologies à chaque coin de rue et leur renforcement permanent. « Quand on ouvre une école, on évite, vingt ans plus tard, d’ouvrir une prison », aurait dit Victor Hugo. Il n’avait peut-être pas prévu que, moins de deux siècles plus tard, la première puisse ressembler si étrangement à la seconde.
Notes
1- La vidéosurveillance dans les lycées, de la prévention des intrusions à la régulation des indisciplines, Tanguy Le Goff, 2010.
2- Fédération des conseils de parents d’élèves.
3- Le prénom a été modifié.
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Se sentir toujours surveillé
Pour empêcher, technologiquement, les élèves de faire des conneries et de perturber la vie scolaire, il faut y mettre le prix. C’est ce qu’a fait un lycée de la région parisienne qui, en 2010, avait dépensé 90 000 euros pour s’équiper d’une cinquantaine de caméras (1). Celles-ci quadrillent l’ensemble des bâtiments, des cours et des parkings du lycée, et fonctionnent sur le modèle du « panoptique de Bentham ».
Le « panoptique de Bentham » ? Une stratégie élaborée par le philosophe du même nom, destinée au milieu carcéral. Le concept est le suivant : dans une tour centrale à l’établissement pénitentiaire, le gardien peut observer, en tournant sur lui-même, n’importe quelle cellule, sans être vu par les prisonniers. Ces derniers ignorent donc s’ils sont observés à l’instant T, mais savent qu’ils peuvent l’être à tout moment. Ils adaptent donc – en permanence –, leur comportement. Remplacez la tour centrale par une armée de caméras, vous obtiendrez le même résultat : faire savoir aux élèves – ou aux détenus – qu’ils sont potentiellement observés à chaque seconde, où qu’ils se trouvent, et que le moindre écart de conduite pourra leur être reproché. Nous serons ravis de savoir que c’est apparemment efficace pour faire baisser le nombre d’incivilités dans les lycées – nous n’avons en revanche trouvé aucune étude portant sur les conséquences que cela peut avoir sur l’ambiance de travail et l’état psychologique des lycéen·nes ainsi surveillé·es.
Note
1- Exemple cité dans le travail de Tanguy Le Goff.
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Ces trois articles de Nicolas BERARD sont tirés de l’excellent mensuel « L’Âge de Faire » ; dans son numéro 168 de décembre 2021
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