Bruxelles veut changer la norme

La région bruxelloise veut faire passer la limite de protection contre les radiations électromagnétiques de 6 à 14,5 V/m

Réponse à l’enquête publique du Collectif belge pour l’arrêt du déploiement de la 5G

Le rapport sur les incidences environnementales du projet d’ordonnance de la Région bruxelloise visant à faire passer la limite de protection contre les radiations électromagnétiques de radiofréquence (CEM-RF) de 6 à 14,5 V/m considère implicitement que le déploiement de la 5G est inévitable et n’envisage à aucun moment la possibilité d’en rester à la situation actuelle (2G, 3G et 4G). La saturation du réseau actuel tout comme le déploiement de la 5G sont considérés comme inéluctables, la possibilité de prendre des mesures adéquates pour limiter le trafic des données étant passée sous silence. Le rapport (ou son « résumé non technique ») présente là un premier biais de taille.

Il est regrettable qu’une administration comme Bruxelles Environnement censée être indépendante du pouvoir exécutif publie un rapport aussi orienté, à l’image de la mise en place de la Commission délibérative citoyennes « 5G » par cet exécutif. Pour rappel, cette commission composée de 15 députés et de 45 citoyens tirés au sort parmi la population bruxelloise devait répondre à la question « Comment voulons-nous que la 5G soit implantée en Région de Bruxelles-Capitale, en tenant compte de l’environnement, de la santé, de l’économie, de l’emploi et des aspects technologiques ? ». D’emblée, aucune place dans cette commission n’avait été laissée aux citoyens opposés au déploiement de la 5G qui n’avaient d’autre choix que de refuser de participer. Se réclamer des « recommandations » de cette Commission comme il est fait dans le rapport n’est donc pas recevable, que ce soit pour la recommandation « d’adopter une norme d’émission stricte (sic) de 14,5 V/m », les « dispositions environnementales » à prendre, les « mesures complémentaires ou correctrices », etc.

Bouleversement climatique

Sur la question vitale du bouleversement climatique d’origine anthropique sur laquelle il n’est pas nécessaire de revenir au vu de l’actualité, les conclusions de Bruxelles Environnement dans le résumé semblent d’une légèreté insoutenable : malgré le constat du « secteur de la télécommunication grand consommateur d’énergie et émetteur de gaz à effet de serre » (page 9 du résumé) et, comme tout le monde le sait, malgré les énormes efforts à faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation de la consommation de l’énergie et de la production de gaz à effet de serre liée au déploiement de la 5G est envisagée en toute tranquillité, cet aspect n’étant même pas mentionné dans les conclusions de ce résumé (la majorité des lecteurs de l’étude se contenteront de lire le résumé qui fait tout de même 18 pages, le rapport en faisant 90).

Toutefois, le constat est nettement mieux posé dans les conclusions du rapport (page 86) où on lit : « … bien que des dispositions environnementales soient intégrées à l’Ordonnance, elles ne pourront que légèrement atténuer l’augmentation importante de la consommation énergétique et de la production de déchets engendrée par le déploiement de la 5G par rapport à ce déploiement selon l’ordonnance actuelle (alternative 0), qui est par ailleurs en opposition avec les objectifs climatiques et environnementaux de la Région visant à une réduction de l’émission de GES et à une consommation durable, sobre, locale et circulaire ». Pourquoi ne pas avoir laissé cette phrase dans les conclusions du résumé ?

L’ICNIRP, un instrument au service du lobby

Avec ce rapport, Bruxelles Environnement poursuit l’enfumage démocratique amorcé par l’exécutif en même temps qu’il désinforme et contribue à la fabrique de l’ignorance chère au lobby des télécoms, en particulier sur les normes de protection internationales, notamment celles de l’ICNIRP (Commission internationale sur la protection des radiations non ionisantes), qui protégeraient du « seul effet biologique avéré », à savoir l’effet thermique ; il y aurait bien d’autres effets biologiques et même sanitaires « potentiels », mais aucune étude n’aurait montré de relation causale.

Sur ce plan, le rapport se contente de citer des études favorables aux thèses de l’ICNIRP et du lobby des télécoms et ignore toutes les autres, en fait des milliers d’études publiées depuis plus de 50 ans. Par exemple, ce que dit le rapport sur les effets génétiques est particulièrement consternant et atteint des sommets dans l’art de la désinformation : « Rassurants, les résultats montrent que plus une étude est scientifiquement sérieuse, plus les observations de lésions génétiques sont faibles » (sur ces effets génotoxiques, voir ci-dessous). A fortiori, on ne peut compter sur les auteurs du rapport pour exposer les méta-analyses qui montrent que les conclusions des études sur les effets biologiques et sanitaires sont fonction du mode de financement : majoritairement, les études financées par l’industrie ne montrent pas d’effets biologiques ou sanitaires contrairement à celles financées par des fonds publics ou des organismes indépendants de l’industrie. Cette influence ne date pas d’aujourd’hui : pour 85 études sur la génotoxicité (atteinte de l’ADN) des CEM-RF publiées de 1990 à 2005, 43 études ont montré un effet, 42 n’en ont pas trouvé, une répartition plus ou moins égale (ce qui n’est pas inhabituel dans ce type de comparaison). Par contre, ce qui est remarquable, c’est que 32 des 35 études financées par le lobby de l’industrie de la téléphonie mobile et de l’armée de l’air étasunienne ne montrent aucun effet ; de plus, une des trois études financées par le lobby qui a trouvé un effet a failli ne pas être publiée : www.microwavenews.com/RR.html).

La plupart des pays du monde s’appuient sur les recommandations de l’ICNIRP qui est une institution privée de droit allemand créée en 1992 par Michael Repacholi pour répondre au mieux aux volontés de l’industrie des télécoms. Elle fonctionne comme un club fermé : ses membres décident seuls de qui peut y entrer et seuls y sont admis ceux qui défendent l’idée que s’il n’y a pas d’effets thermiques, il ne peut y avoir de conséquences sanitaires. Elle n’applique aucune règle de transparence ou d’indépendance, puisqu’au contraire la plupart de ses membres passés ou présents sont connus pour leurs liens avec l’industrie des télécoms.

Le lien étroit qu’entretient l’ICNIRP avec l’industrie est documenté de longue date comme le montrent les enquêtes et documents suivants :

  1. ICNIRP : conflits d’intérêts, capture réglementaire et 5G

    Information et rapport sur le site de Michèle Rivasi : michele-rivasi.eu/a-la-une/icnirp-conflits-dinterets-5g-et-capture-reglementaire.

  2. How much is safe?
    Une enquête des journalistes d’Investigate Europe
    investigate-europe.eu/publications/how-much-is-safe (janvier 2019).

  3. Self-referencing authorships behind the ICNIRP 2020 radiation protection guidelines.

    https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/reveh-2022-0037/html

  4. Aspects on the International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP) 2020 Guidelines on Radiofrequency Radiation.
    Par : Hardell L, Nilsson M, Koppel T, Carlberg M. Publié dans Journal of Cancer Science and Clinical Therapeutics,
    doi:10.26502/jcsct.5079117.

  5. Conflit d’intérêts et partialité dans les comités consultatifs de la santé: le cas du groupe de travail de l’OMS sur les champs électromagnétiques (CEM).
    https://www.researchgate.net/profile/Don-Maisch

Des limites de protection totalement inadéquates

« Sur base de ce seuil [de l’effet thermique néfaste] et du principe de précaution, l’ICNIRP recommande de limiter l’exposition de la population à des rayonnements ne dépassant pas 41,2 V/m. La norme bruxelloise actuelle de 6 V/m est donc 50 fois inférieure à la recommandation de l’ICNIRP. La Région bruxelloise a une des normes les plus strictes du monde, plus stricte qu’en Flandre et en Wallonie » (résumé, page 8). En fait, cette différence est très limitée, du même ordre que celle entre la peste et le choléra comme expliqué ci-dessous.

La limite recommandée par l’ICNIRP est de 41,2 V/m (volt/mètre) pour l’intensité du champ électrique d’un rayonnement dont la fréquence est de 900 MHz (mégahertz), ce qui, converti en densité de puissance, revient à 4,5 W/m2 (watt/mètre carré).

Les limites recommandées par de nombreux experts indépendants pour les radiofréquences (RF) sont très largement inférieures à celles de l’ICNIRP, d’un facteur de 100 000 environ, et donc aussi à celles actuellement en vigueur à Bruxelles (d’un facteur de 2000), en termes de densité de puissance. Par exemple, les auteurs du rapport BioInitiative recommandent une limite de l’ordre de 5 μW/m2 (microwatt/m2 soit 0,04 V/m) pour l’exposition cumulée des ondes RF à l’extérieur des habitations. Pour la 2G, 3G et 4G, l’Académie européenne de médecine environnementale (EUROPAEM) recommande 100 μW/m2 (0,2 V/m), mais 10 fois moins durant la période de sommeil et 100 fois moins pour les enfants et les personnes fragilisées (1 μW/m2, soit 0,02 V/m). L’Institut für Baubiologie recommande des valeurs similaires.

Ces limites peuvent sembler basses, mais elles ne surprennent pas quand on sait que les valeurs retenues par l’ICNIRP représentent un milliard de milliards de fois le niveau du CEM naturel à ces fréquences (ce qui signifie que les limites proposées par les experts indépendants sont malgré tout plus d’un milliard de fois supérieures au CEM naturel).

De plus, pour transporter les données, les CEM utilisés pour la téléphonie sont modulés, ce qui n’existe pas dans la nature et représente une composante peu comprise de leur toxicité, néanmoins importante selon certaines études.

Une procédure de mesure boiteuse

La Région bruxelloise suit les recommandations de l’ICNIRP pour le calcul ou la mesure des CEM-RF : le niveau d’intensité d’un CEM est moyenné sur 6 minutes (« valeur RMS ») et ne rend absolument pas compte des pics d’intensité instantanés, lesquels sont la règle pour la téléphonie mobile et auxquels correspond une « valeur pic ». Pour les effets biologiques des CEM, ce sont ces valeurs pic qui comptent ; pour illustrer cette différence fondamentale, disons simplement que, si vous deviez subir 100 piqûres d’aiguille de 1 mm de profondeur au niveau du cœur (valeur moyenne), vous ne garderiez aucune séquelle, tandis qu’une seule piqûre de 100 mm (valeur pic) pourrait être mortelle.

Le rapport entre la valeur pic et la valeur RMS en termes de densité de puissance est de l’ordre de 25 pour une antenne 2G, 3G ou 4G, mais est beaucoup plus important, de l’ordre de 1000, pour une antenne 5G. De ce point de vue, la 5G pourrait s’avérer encore beaucoup plus toxique que les générations précédentes.

Pourquoi les auteurs du rapport ne font-ils pas mention de ce subterfuge pourtant bien connu ?

Des auteurs du rapport désinformés ?

La section 3.6 du rapport est introduite par un préambule qui dit notamment que « l’état de l’art des connaissances exposé ci-dessous repose dès lors essentiellement sur les travaux préalables réalisés par le comité d’experts ».

Elle se termine par cette conclusion : « Pour les fréquences utilisées actuellement, les données disponibles sont issues de 20 à 30 ans de recherches… En conclusion, l’état actuel des connaissances ne permet pas de démontrer d’effet néfaste, mais ne permet pas non plus de conclure à une absence totale d’effet sur la santé ».

Pour quiconque connaît un tant soit peu le domaine, cet extrait du rapport est choquant. D’une part, les premières données ont fait leur apparition dès après la fin de la 2e guerre mondiale, il y a près de 70 ans de cela, et d’autre part les « effets néfastes » sont largement démontrés, toutes choses faciles à vérifier.

En ce qui concerne la date des premières études sur la toxicité des CEM de RF artificiels, voici deux documents qui attestent de leur ancienneté. Ils montrent que la découverte des « effets néfastes » non thermiques remonte à près de 70 ans :

Parmi bien d’autres d’études produites il y a plus de 30 ans, il y a celles sur la barrière hématoencéphalique (BHE) et le système immunitaire.

Effet sur la barrière hématoencéphalique (BHE)

La BHE est une couche spéciale de cellules qui protège le cerveau en empêchant les toxines présentes dans le système sanguin de l’atteindre. L’ouverture de cette barrière peut entraîner des maladies du développement du système nerveux, des maladies neurodégénératives (Alzheimer, etc.) ainsi que le développement de tumeurs dans le cerveau.

En 1975, Allan Frey a publié le résultat de ses recherches dans les Annales de l’Académie des sciences de New York : l’exposition à des micro-ondes à 1,9 GHz de faible intensité ouvre la BHE chez les rats. Par la suite, d’autres études évaluées par des pairs ont confirmé les conclusions de Frey, en particulier celles publiées par l’équipe du professeur Leif G. Salford dans les années 1990 (Université de Lund). Leif G. Salford a exposé le résultat de ses recherches et ses inquiétudes devant le Parlement de l’UE en 2000.

Système immunitaire

À partir de 1970, des études ont été menées en URSS sur les effets des CEM-RF sur le système immunitaire d’animaux de laboratoire. En voici les conclusions principales :

Une exposition quotidienne chronique de 100-500 μW/cm2 peut induire des réactions biologiques pathologiques irréversibles.

50 μW/cm2 est le seuil d’exposition pour des effets biologiques défavorables. Ces effets ne sont pas pathologiques, l’organisme pouvant compenser, mais à long terme la compensation continuelle peut entraîner des effets indésirables.

Pour comparaison, la limite de l’ICNIRP aux fréquences considérées (autour de 2 GHz) est proche de 1000 μW/cm2.

Ces recherches ont aussi montré l’existence d’une relation de dose-dépendance des effets des CEM-RF sur le système immunitaire.

https://bioinitiative.org

Effets génotoxiques

En 1995, Henry Lai, professeur de bio-ingénierie de l’université de Washington et N.P. Singh ont publié le premier article faisant état de dommages à l’ADN dans les cellules cérébrales de rats exposés à des radiations similaires à celles émises par les téléphones portables.

En juin 2022, le même Henry Lai a fait un inventaire des études sur les effets génotoxiques des radiations électromagnétiques de très basse fréquence et de radiofréquence (RF). Concernant les RF, il a recensé un total de 423 études dont 291 (68 %) montrent des effets génétiques et 132 (32 %) n’en montrent pas.

Le principe de précaution détourné

Page 27 du rapport : « Le seuil d’apparition des effets biologiques a été identifié à 4W/kg, soit 292 V/m2, ce qui correspond à une exposition au-delà de laquelle l’effet thermique est néfaste, car le corps n’est plus capable d’évacuer convenablement la chaleur. L’ICNIRP a établi des recommandations d’exposition maximales sur base du principe de précaution et des seuls effets connus et prouvés [c’est-à-dire le seul effet thermique, tous les autres effets étant niés]. Le principe de précaution implique que lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes et l’environnement, des mesures de protection doivent être prises sans avoir à attendre que la réalité ou la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Dès lors, l’ICNIRP applique un facteur de sécurité de 50 et recommande de limiter l’exposition de la population à des rayonnements ne dépassant pas 41,2 V/m. La norme bruxelloise actuelle de 6 V/m est donc 50 fois inférieure à la recommandation de l’ICNIRP ».

Les auteurs du rapport n’auraient pu mieux définir le principe de précaution, mais ils font preuve d’un aveuglement sidérant à propos de toute la littérature scientifique sur les effets biologiques et sanitaires des CEM-RF ce qui leur permet de dire, sans honte peut-être, que le principe de précaution est bien respecté. Ils refusent aussi d’entendre les appels des scientifiques et médecins de tous pays qui se multiplient depuis 20 ans. Par exemple, mentionnons l’appel initié en 2015 et signé en avril 2020 par 253 spécialistes des CEM de 44 pays différents ; ces scientifiques, qui tous ont publié des travaux de recherche évalués par des pairs sur les effets biologiques et sanitaires des CEM, réclament des limites d’exposition plus strictes et demandent que les impacts biologiques potentiels des technologies de télécommunication 4G et 5G sur les plantes, les animaux et les humains soient réexaminés (emfscientist.org). Autre exemple, l’appel international lancé en 2018 demandant l’arrêt du déploiement du réseau 5G terrestre et spatial (5gspaceappeal.org) ayant recueilli plus de 300 000 signatures de scientifiques (7000+), ingénieurs (14 000+), médecins (4400+) et citoyens.

Coût économique du déploiement de la 5G

L’augmentation de la consommation énergétique liée au déploiement de la 5G se traduira inévitablement par une augmentation du coût pour les utilisateurs du réseau mobile, d’autant plus importante qu’on assiste actuellement à une envolée des prix de l’électricité. C’est évident lorsqu’on sait que, uniquement pour le fonctionnement du réseau 5G, une augmentation de la consommation électrique du pays de l’ordre de 2 % est communément admise.

C’est à un point tel que la viabilité économique de la 5G a été mise en question par des employés d’Orange France dans un document interne qui a heureusement fuité ; ils contestent aussi le déploiement de la 5G sur la base de ses conséquences environnementales :

www.stop5g.be/fr/doc/Orange_Pourquoi-stopper-la-5G_sept2020.pdf

Pour lire le document complet :

https://www.stop5g.be/fr/htm/Reponse-enquete-5G-Bruxell