Merveille ou cauchemar ?
La technologie 5G promet de révolutionner la vie quotidienne : travail, transport, santé, loisirs… Pendant une journée, notre reporter a vécu dans ce futur hyperconnecté.
Cet article est le premier volet d’une enquête que Reporterre consacre à la technologie du réseau sans fil de cinquième génération, ou 5G.
6 h 53. Je m’étire doucement dans mon lit au doux son du chant du rossignol. Comme chaque matin, mon réveil s’est automatiquement programmé à la fin de mon cycle de sommeil grâce aux capteurs enfouis sous mon matelas. Je me lève et file dans la salle de bain, où mon miroir ne me dit pas que je suis la plus belle… Et me propose plutôt d’acheter un nouveau fond de teint miraculeux pour cacher mes cernes.
Sous la douche, à peine le temps de rêvasser : mon pommeau connecté clignote pour m’indiquer que j’ai dépassé les 50 litres d’eau autorisés. Avec la sécheresse qui fait rage depuis plusieurs années, j’essaie de limiter ma consommation. Même chose pour l’électricité, car les éoliennes et panneaux solaires qui alimentent la ville ne tiennent pas toutes leurs promesses et les coupures sont fréquentes. Heureusement, je régule mes appareils grâce au compteur Linky. Outil très utile, n’en déplaise à ses détracteurs, les cryptoécologistes qui veulent retourner à la bougie.
Dans ma cuisine, le café est prêt. J’enfile mes lunettes connectées pour regarder les informations de la journée. « Émeute meurtrière à Chicago. La police réplique : 35 morts. » J’avale de travers, repose mes lunettes. Difficile de supporter la vue de corps ensanglantés en 3D dès potron-minet. Je note pour plus tard : reconfigurer le logiciel uniquement pour les informations positives. Avant de partir, un coup d’œil sur la porte de mon frigo m’indique qu’il est vide. Je n’ai même pas le temps de commander ce que l’écran tactile me conseille, car l’heure tourne : il me reste 10 minutes pour sauter dans ma voiture et me rendre au bureau.
« Félicitations, vous avez maigri ! Nous offrons 15 % sur notre nouvelle collection »
Depuis que les flux de transports et les feux de circulation sont connectés à un système de gestion centralisé, plus le moindre embouteillage. Quel confort de circuler dans une voiture autonome, qui roule toute seule ! Je peux finir de me maquiller dans mon rétroviseur sans risquer l’accident. Bon, il est vrai que la voiture autonome est un privilège réservé aux plus aisés et que la majorité des gens s’entassent dans les métros des compagnies privatisées, mais l’air est beaucoup plus sain : les vieilles bagnoles à essence ont enfin été bannies de la métropole. On circule tous à l’électrique, ou à l’hydrogène. Bien sûr, le système n’est pas infaillible. L’autre jour, une voiture autonome s’est encastré dans un mur pour éviter un sans-abri qui marchait sur la chaussée…
Une fois garée près de mon bureau, je passe devant mon magasin préféré et ralentis un instant. La vitrine scanne ma silhouette. Un message apparaît : « Félicitations, vous avez maigri ! Nous offrons 15 % sur notre nouvelle collection. »
J’hésite. Je suis terriblement en retard. Cette jolie robe attendra. D’autant qu’elle est importable en ce moment. Avec le dérèglement climatique, les températures de ce mois de juin 2030 sont glaciales. J’accélère le pas, scanne mon iris pour ouvrir la porte de mon bureau. Là, mon écran m’indique les dernières données de production. Je travaille pour une entreprise agricole sans avoir jamais mis les pieds dans les champs. Tout comme les exploitants agricoles, qui ont troqué leur tracteur contre un ordinateur. D’un simple clic, ils peuvent contrôler leurs robots de désherbage ou repérer les ravages des animaux nuisibles avec leurs drones.
Ils chaussent parfois leurs bottes et leurs lunettes connectées pour transmettre l’état de leurs récoltes directement à notre bureau central. Sur notre site, les consommateurs peuvent voir pousser en direct les fruits et légumes qu’ils ont précommandés. Pas de stocks. Pas de perte. De l’agriculture ultra-optimisée grâce au réseau 5G.
« On ne peut rien faire sans l’intelligence artificielle »
18 heures. Mon téléphone m’envoie une alerte : le service de vidéosurveillance a détecté une intrusion chez moi ! Vérification rapide : il s’agit de ma sœur, qui vient passer quelques jours à la maison. J’avais oublié de prévenir le robot… Je le déconnecte d’un clic avant qu’il n’appelle la police et je décide de rentrer plus tôt passer la soirée avec elle. Hélas, mon frigo ne s’est pas rempli tout seul. L’écran de ma table basse me propose de commander un plateau de sushis livré par drone sur le toit de mon immeuble.
En attendant, je discute avec ma sœur, une cardiologue réputée. Elle sort d’une importante opération d’un patient vivant à Tokyo. Grâce à la 5G, plus besoin de voyager pour opérer aux quatre coins du monde. Cette révolution technologique profite aussi aux déserts médicaux. Des bornes de téléconsultation ont été installées dans toutes les petites pharmacies de campagne. Certaines infirmières visitent aussi les malades équipées d’une tablette connectée et assistent à la consultation avec un médecin en hologramme.
Seule une partie de ces dépenses est couverte par la Sécurité sociale car le système de santé est largement privatisé. D’ailleurs, je lis parfois que l’état général de santé de la population s’est dégradé depuis 20 ans. Mais ma sœur n’est que louanges pour toutes ces innovations. « Les personnes âgées ne sont plus fatiguées par de longs trajets en ambulance. J’échange aussi beaucoup plus souvent avec les autres professions médicales, comme les pharmaciens, ou les infirmières qui vivent très loin de Paris. » À ceux qui regrettent une médecine déshumanisée, elle me rétorque qu’on n’avait pas d’autre choix. Personne aujourd’hui ne veut vivre dans ces régions reculées, préférant le confort des smart cities et leur foule d’appareils connectés qui nous facilitent la vie.
21 heures. On sonne à la porte. C’est Martin, mon voisin, qui rentre d’une soirée avec son amicale de technos-sceptiques. Des marginaux, qui remettent en cause l’accélération numérique de ces dernières années. « Cette semaine, l’opérateur télécom Liberté a encore été piraté. Des millions de données récupérées par on ne sait qui. C’est très inquiétant », annonce-t-il, morose. Je ne l’écoute qu’à moitié, accaparée par les notifications de mon smartphone sur cette jolie robe aperçue dans la vitrine ce matin. Ma sœur se sent davantage préoccupée depuis le piratage de son ordinateur contenant les données médicales de ses patients : « C’est un risque à prendre aujourd’hui. On ne peut rien faire sans l’intelligence artificielle. Et, vu tous ses avantages, il faut bien supporter quelques désagréments. » Martin me jette un regard désapprobateur. Il aimerait que je me sente concernée par ces sujets. Par l’ouverture de mines de terres rares en France, indispensables à la fabrication de tous ces objets connectés qui truffent mon appartement. Par la consommation énergétique démesurée due à l’explosion des données. Par le contrôle qu’exercent les multinationales sur tous mes achats.
Je lève la tête, esquisse un sourire un peu gêné. Je viens d’acheter la fameuse robe. L’été va bien finir par arriver.