L’efficacité énergétique promise par le nouveau réseau 5G devrait rapidement être dépassée par la voracité de notre consommation de données.
Sans compter l’absence totale de réflexion sur la fin de vie des téléphones et des millions d’objets connectés.
Cet article est le cinquième et dernier volet d’une enquête que Reporterre consacre à la technologie du réseau sans fil de cinquième génération, ou 5G. Le premier volet : « Plongée dans l’univers de la 5G : merveille ou cauchemar ? ». Le deuxième : « La 5G, des fréquences, des antennes et des craintes ». Le troisième :« La 5G, pactole ou fantasme économique ? ». Le quatrième : Avec la 5G, demain, tous surveillés.
« La 5G tue. » Dans un post Facebook abondamment commenté, l’astrophysicien Aurélien Barrau fustige le déploiement de ce nouveau réseau, s’alarmant de notre incapacité structurelle à dire « ça suffit, nous n’avons pas besoin, pas envie, de cette débauche insensée » ainsi que « cette hubris suicidaire de création de besoins matériels qui prévalent sur les ravages insensés que leur mise en acte induisent nécessairement sur le vivant ». Face à lui, Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et apôtre du transhumanisme déplore une vision « réactionnaire et rétrograde, voulant bloquer le progrès technologique ».
Technophilie contre retour à la bougie ? Au-delà des caricatures qui prolifèrent sur les réseaux sociaux, essayons de faire le point sur les conséquences écologiques de la 5G. Tout d’abord, au niveau de son efficience énergétique. Le chercheur Romain Chevillon vient de publier une thèse à ce sujet. Il calculé qu’à périmètre constant d’utilisation, la 5G sera moins énergivore, notamment grâce aux antennes directionnelles. « Mais, vu que le nombre d’utilisateurs va augmenter, on aura sans doute une hausse des consommations. » Optimiser les processus pour absorber la croissance sans dépenser plus d’énergie demeure selon lui « du domaine des mathématiques pures qui intègrent de l’intelligence artificielle. Nous sommes toujours dans la recherche fondamentale ». Le chercheur illustre ici à merveille l’« effet rebond » : celui-ci se produit lorsque les gains environnementaux obtenus grâce à l’efficacité énergétique s’annulent par une augmentation des usages. Dans le cas de la 5G, les utilisateurs vont dévorer plus de données et ainsi détruire les bénéfices des progrès technologiques.
7,2 milliards de milliards de datas ont été échangés chaque mois dans le monde en 2017
Les équipementiers et opérateurs de téléphonie mobile en sont bien conscients. Et travaillent sur des systèmes permettant de réduire la facture énergétique. Parmi les pistes : le traitement décentralisé des données, pour éviter de faire remonter trop d’informations inutilement et répartir la puissance de calcul intelligemment. Cela reviendrait à installer un système « start and stop », comme sur les voitures, pour économiser l’énergie quand l’ordinateur tourne au ralenti. Ces avancées demeurent toutefois anecdotiques face à l’ampleur du problème. Et la recherche reste confidentielle. « C’est compliqué, car ce n’est pas cette direction de recherche qui va rapporter de l’argent immédiatement », note Guy Pujolle, professeur à la Sorbonne au laboratoire d’informatique Paris 6. Il précise d’ailleurs que « ce n’est pas la 5G, qui est un moyen de transporter les informations, qui consomme vraiment. Mais plutôt les data centers, qui vont stocker les données transportées ».
Selon un rapport publié par Cisco, une entreprise étasunienne spécialisée dans les réseaux informatiques et les serveurs, 7,2 exaoctets [1] de datas ont été échangés chaque mois dans le monde en 2017, soit une hausse de 63 % par rapport à 2016. Un volume qui devrait être multiplié par sept d’ici à 2022 pour atteindre 49 exaoctets mensuels. Pour comparaison, un exaoctet représente l’équivalent de 215 millions de DVD… Toutes ces données sont stockées dans les datas centers ultragourmands en énergie. Selon le réseau de transport d’électricité de France (RTE), la consommation d’électricité de tous les datas centers de France en 2015 s’est élevée à environ 3 TWh en 2015. Soit plus que la ville de Lyon. Certains font des efforts pour être plus « verts » : électricité hydraulique fournie par les chutes du Niagara chez Yahoo ; refroidissement polaire chez Facebook et ses installations dans le Grand Nord suédois ; eau glaciale de la mer d’Écosse pour les serveurs de Microsoft.
« Il va bien falloir, du point de vue des constructeurs, trouver quelque chose pour justifier le renouvellement des téléphones »
Au-delà de l’aspect énergétique se pose aussi la question de l’obsolescence programmée de nos appareils connectés. En effet, pour profiter des avantages de la 5G, il va falloir changer nos téléphones. Et casser notre tirelire. Le Samsung Galaxy Fold est annoncé au tarif de 2.000 euros. Le Huawei Mate X est en vente à 2.299 euros. « Il s’agit plutôt d’une vitrine technologique pour montrer notre capacité d’innovation », justifie Steeve Bourdon, responsable communication de la marque chinoise. Inutile de lister ici tous les modèles vendus par les constructeurs : le site internet spécialisé Les Numériques déconseille de s’équiper avant l’année prochaine. Voire avant 2021.
« Les gens qui vont acquérir un smartphone en 2020 auront envie qu’il soit compatible avec la 5G. Mais ils vont prendre un risque, car la technologie n’est pas encore totalement testée. Les téléphones risquent d’arriver avant les réseaux », estime Jean-Pierre Casana, responsable innovation chez Orange.
Le déploiement de la 5G est pourtant une très bonne affaire pour les constructeurs. « On arrive au bout du cycle de la 4G. Il va bien falloir, du point de vue des constructeurs, trouver quelque chose pour justifier le renouvellement des téléphones. C’est pourquoi il faut déjà commencer à programmer dans l’esprit la future obsolescence de l’outil actuel », dit Dominique Boullier, sociologue et spécialiste des usages du numérique et des technologies cognitives. En France, on change de téléphone tous les 20 mois environ. Où finissent les rebuts ? Dans nos tiroirs pour la plupart. Seuls 15 % passeraient par un circuit de collecte, selon un rapport sénatorial.
Quant au recyclage, c’est loin d’être la panacée, comme l’explique, Vianney Vaute, cofondateur de Back Market, plate-forme dévolue aux produits reconditionnés : « Tant que le secteur des technologies n’aura pas procédé à une profonde remise en cause culturelle et que ses entreprises chercheront par tous les moyens à encourager l’achat perpétuel de produits neufs, tous les processus d’écoconception, tous les programmes de recyclage (…) demeureront des alibis aux effets limités qui, en outre, freineront l’émergence d’approches alternatives et complémentaires au recyclage. »
« Il faudrait ralentir notre connectivité permanente mais l’enjeu est difficile »
Rappelons également les conséquences environnementales de la conception des téléphones portables, truffés de métaux surnommés « minerais de sang », extraits de mines exploitées par des groupes armés où travaillent souvent des enfants.
On s’intéresse ici au téléphone, objet symbolique de la 5G, mais cette logique d’obsolescence programmée s’applique à l’ensemble des gadgets technologiques qui peupleront demain notre quotidien. Qu’allons-nous faire quand les 75,44 milliards d’objets connectés annoncés en 2025 seront en fin de vie ? Faudra-t-il ouvrir des cimetières à robots, comme il en existe déjà en Russie ? « Le numérique rend les déchets totalement invisibles. Un peu comme le nucléaire, analyse le sociologue Dominique Boullier. Quand on jette un plastique par terre, on le voit. Mais, pour le numérique, cela part ailleurs. Il n’y a aucune vision systémique de tout cela. Il faudrait ralentir notre connectivité permanente mais l’enjeu est difficile. L’État doit légiférer, imposer des bilans énergétiques, aider les gens à changer leur comportement. » Et enfin, intégrer la sobriété numérique dans nos pratiques technologiques.