Entre Noémie et Amy
Noémie : As-tu songé à tout ce qu’on pourra savoir ou deviner sur ta vie privée grâce aux logiciels de traitement des données qui seront recueillis via le compteur Linky ?
Amy : As-tu réfléchi à tous les avantages apportés par ce nouveau compteur ?
Noémie : Moi, ces avantages ne m’intéressent pas. Je préfère préserver ma vie privée. Mais on ne me laisse pas le choix, on veut me l’imposer alors que l’ancien compteur me convenait parfaitement et ne présentait pas tous ces inconvénients du nouveau qui m’apparaît comme une sorte liquidateur de vie privée, l’inquisiteur du foyer. Qu’on le propose à ceux que cela ne gêne pas, qui en ont envie, qui y trouvent un intérêt, ça ne me pose aucun problème, mais qu’on veuille m’imposer en fait un mode de vie dont je ne veux pas, alors même que l’ancien compteur est toujours opérationnel, je trouve ça très choquant. Éventuellement, si mon compteur ne marchait plus et qu’on me dise qu’on n’installe plus désormais l’ancien modèle, j’aurais pu le comprendre, mais là c’est vraiment du gaspillage et de la pollution, car comme toujours les anciens compteurs remplacés par millions viendront polluer des terres étrangères déjà très abîmées par la pollution de nos vieux appareils soi-disant recyclés à domicile.
Amy : Tu crois vraiment que l’État laisserait faire s’il n’y avait pas de recyclage ou au moins un débouché à caractère écologique pour ces anciens compteurs ? Tu prends vraiment les femmes et les hommes politiques pour des cyniques de la pire espèce !
Noémie : Mais alors pourquoi l’ont-ils permis pour les ordinateurs et autres appareils électriques ou électroniques en n’obligeant pas les fabricants à reprendre leurs matériels une fois ceux-ci arrivés en fin de vie pour qu’ils les recyclent ?
Amy : Cela aurait été un frein au développement économique, un frein au progrès technologique.
Noémie : Tu considères donc que la pollution est le prix à payer en contrepartie au progrès, sauf que dans ce cas pourquoi faire supporter ce prix à des étrangers dans le besoin au lieu de l’imposer à ceux qui ont mis au jour ce progrès ou en ont profité. C’est trop facile, c’est de l’exploitation de la misère humaine sous prétexte d’aider ces populations en difficulté à gagner quelque argent en retraitant nos déchets. C’est franchement dégueulasse et en plus c’est un moyen bien pratique pour nous déculpabiliser.
Amy : C’est le genre humain qui est ainsi fait. Et puis, je ne suis pas sûre que ça ne les aide pas quand même ne serait-ce qu’un peu. Mais tu disais qu’avec Linky, on cherchait à t’imposer un mode de vie dont tu ne veux pas, sauf que personne ne t’oblige à utiliser ces avantages qui s’offrent à toi si tu n’en veux pas. En revanche, en refusant l’installation de ce nouveau compteur tu empêches les organismes qui en sont chargés d’améliorer le fonctionnement du service public de l’électricité.
Noémie : Rien ne m’oblige peut-être en effet à utiliser les soi-disant avantages procurées par ce compteur connecté, mais rien ne me permet d’en écarter les inconvénients qui, eux, me sont imposés. Et puis je ne vois pas en quoi j’empêcherais l’amélioration du service public de l’électricité en refusant l’installation du Linky chez moi, dans la mesure où je ne l’empêche pas chez les autres. Que ceux qui sont accros aux objets et compteurs connectés l’installent donc chez eux s’ils le veulent afin de profiter de leurs prétendus bienfaits tout en en supportant également les inconvénients, mais qu’on ne vienne pas m’obliger à supporter ces inconvénients sous prétexte qu’ils seraient accompagnés d’avantages dont de toute façon je ne veux pas.
Amy : Oui, mais c’est un peu comme pour les vaccins, c’est seulement si tout le monde se vaccine que tu peux espérer éradiquer la maladie contre laquelle tu te fais toi-même vacciner.
Sinon, il y aura toujours un vivier potentiel de contamination, et jamais la maladie ne sera éliminée.
Noémie : Sauf que là, on ne parle pas de maladie mais d’un appareil qui au contraire pourrait rendre malades les personnes électro-sensibles, qui en tout cas craignent d’en être affectés.
Amy : À ma connaissance, aucune preuve scientifique n’a été apportée sur la dangerosité de ce compteur quant à d’éventuels effets sur les personnes dites électro-sensibles.
Noémie : Aucune preuve de son inoffensivité non plus. Et puis même si comme tu sembles à demi-mot le supposer l’électro-sensibilité n’était qu’un mythe, le fait pour les gens d’y croire (et ils seraient quand même relativement nombreux alors à y croire) serait suffisant pour les rendre malades, ce que l’ancien compteur n’avait pas comme un inconvénient. Alors franchement, tu parles d’un progrès qui en rend malades certains.
Amy : On va tout de même pas bloquer tout progrès au motif que certains prétendus électro-sensibles s’en plaindraient. Le jour où cette électro-sensibilité sera clairement démontrée sans qu’on ne puisse la contester, je veux bien, mais si à chaque fois qu’une personne prétend être électro-sensible alors que ça n’a pas à ce jour été scientifiquement prouvé de manière formelle, on devait reporter l’application du progrès jusqu’à ce qu’on en prouve l’innocuité, imagines un peu toutes les avancées techniques dont on ne jouirait pas aujourd’hui, à commencer par ton téléphone portable.
Noémie : Mais puisque je te dis que je ne m’oppose pas à ce que ceux qui veulent jouir de ce que tu appelles un progrès, et que moi je vois plutôt comme une régression sociale, en bénéficient à condition qu’on me laisse le choix de refuser ce progrès qui n’en est pas un à mes yeux, c’est quand même incroyable que tu refuses de comprendre ça !
Amy : Et tu la vois où cette prétendue régression sociale exactement ?
Noémie : Mais dans le flicage généralisé qui se profile à l’horizon ! On est déjà fliqué de partout avec nos cartes bancaires, ordinateurs, objets connectés et autres téléphones portables, sauf que là c’est nous en tant qu’utilisateurs qui nous nous y soumettons de notre plein gré en toute connaissance de cause, alors qu’avec Linky ce flicage nous est imposé même si on y est opposé et qu’on refuserait d’y souscrire si on nous en laissait le choix. Là justement, ce n’est plus un choix, c’est imposé. Franchement, je ne comprends pas que tu ne comprennes pas la nuance qui n’est quand même pas si subtile que ça. Elle m’apparaît au contraire très claire. Bon sang, c’est quelque chose !
Amy : Et moi, je n’arrive pas à comprendre que tu ne comprennes pas que si on ne généralise pas le progrès quand celui-ci s’impose pour un meilleur fonctionnement du service public, le fait de ne l’appliquer qu’à certains empêcherait cette amélioration.
Noémie : Je ne vois pas en quoi parce que je la refuserais pour moi-même, à supposer que ce soit vraiment une amélioration ce dont je ne suis pas convaincue, je l’empêcherais pour les autres.
Amy : Mais parce que pour pouvoir gérer la distribution d’électricité au mieux, le gestionnaire de service public a besoin des outils les meilleurs. En cas de pic de consommation, il sera mieux à même de distribuer cette électricité de manière judicieuse en fonction des informations qu’il aura sur l’état de la consommation à un instant donné, informations que l’ancien compteur ne lui permet pas de recueillir.
Noémie : C’est de l’enfumage, le service public était déjà suffisamment bien géré avec l’ancien compteur, et je ne vois pas en quoi le nouveau compteur permettrait de mieux le gérer.
Amy : Mais parce que la consommation d’électricité va augmenter de plus en plus et que l’ancien compteur ne pourrait pas permettre au gestionnaire de pouvoir s’adapter en cas de pic de consommation, quand par exemple la voiture électrique se sera généralisée.
Noémie : C’est du baratin ! Sinon alors pourquoi les autres pays n’en font-ils pas tous autant ? La France serait-elle plus maligne que les autres pays qui ont refusé la mise en place des compteurs communicants ? C’est juste une décision prise par des élites qui veulent l’imposer à marche forcée à tous au nom d’un sentiment de supériorité qu’ils ont quant à leur jugement par rapport à celui des autres dont ils se moquent. Or il y a de plus en plus un divorce qui s’opère entre les élites d’un côté et le peuple de l’autre. Peut-être pas de tout le peuple, je veux bien te le concéder, mais au moins d’une partie, la partie du peuple qui refuse ce mode de vie qu’on veut lui imposer. Parce que moi qui en fais partie, je ne veux pas vivre entourée d’objets connectés ayant vocation à gérer mon quotidien. Je ne veux tout simplement pas d’une maison connectée et on veut m’y forcer. Je veux pouvoir être en mesure d’appuyer moi-même sur un interrupteur pour ouvrir mon chauffage ou ma lumière par exemple et non dépendre d’un système automatisé qui nécessiterait un temps fou pour en changer le réglage au besoin et dont je ne maîtriserais que la partie émergée de l’iceberg. Voilà, je ne veux pas vivre comme tous ces robots qui ne peuvent plus décoller leur nez de leur appareil qui n’a plus de téléphonique que le nom tant il est devenu en fait un mini-ordinateur intégré. J’ai un téléphone portable certes mais qui ne me sert qu’à téléphoner et non pas à gérer tous ces objets connectés dont on voudrait nous rendre dépendants et dont JE NE VEUX PAS !!!
Amy : Mais pourquoi cette hostilité à l’égard du progrès à ce point ?
Noémie : Parce que pour moi, ça n’est pas un progrès mais plutôt une régression sociale ou plutôt une progression vers le meilleur des mondes qui comme chacun le sait ou devrait le savoir serait en fait le pire. Je ne veux pas de ce monde, mais je ne m’oppose pas à ce que les autres en veuillent à partir du moment où ils me laissent personnellement le choix. Et ce choix, je l’ai fait : je ne veux pas d’objets connectés chez moi, car on ne sait jamais entre quelles mains ils peuvent tomber. Je ne veux pas dire que le gouvernement se transformerait d’un coup en pouvoir totalitaire, encore ça s’est déjà vu, ni même qu’il ait jamais eu l’intention de le devenir, mais ce qui est sûr c’est que tout objet connecté peut être piraté, et si ce n’est pas les autorités légitimes qui utilisent les informations ainsi recueillies, alors imagines un peu par exemple ce qu’un prétendant écarté ou un ex-petit ami qui rémunérerait, s’il en a les moyens, un hacker pour savoir à l’aide d’algorithmes de plus en plus performants à quelle heure tu rentres chez toi ou si tu vis seule ou pas, bref t’espionnes par perversité, serait capable d’en faire. Je veux personnellement pouvoir garder au maximum le contrôle sur ma vie privée et ne pas en déléguer la gestion à d’autres dont les objectifs pourraient par ailleurs n’être pas toujours avouables. C’est comme si j’acceptais en fin de compte de me laisser mettre sous tutelle d’office. Et tu voudrais que j’accepte ça sans rien dire ?
Amy : tu exagères, tu es limite parano ! Tu crois franchement que les autorités ne se sont pas prémunies contre ce genre de chose ?
Noémie : Ouais, c’est ça ayez confiance, on sait bien où ça nous mène. Quelle garantie j’ai moi qu’ils ont mis en place toutes les sécurités pour cela n’arrive pas. Et en plus comment pourras-tu contester une facture avec laquelle tu ne seras pas d’accord lorsque tu n’auras plus aucun moyen de contrôler ce que tu consommes vraiment, quand par exemple un plaisantin, si on peut l’appeler ainsi, se sera amusé à distance à gonfler ta consommation en faisant tourner ton compteur artificiellement plus vite ? A ce qu’on m’a dit, on aurait déjà été réussi à distance à faire tourner le compteur Linky en sens inverse sans même avoir besoin de le démonter pour cela. Alors si c’est vrai, il doit être encore plus facile pour qui maîtrise cette technologie de le faire tourner dans le bon sens en accéléré. Et alors si ça t’arrive, tu crois vraiment qu’on va te rembourser ta facture, comme les banques peuvent le faire en cas de piratage de carte bancaire, simplement parce que tu prétendras ne pas avoir modifié ta consommation d’électricité ? On te demandera de le prouver, ce que tu seras bien incapable de faire !
Amy : Non là franchement tu vois le mal partout ! Mais bon je ne suis personnellement pas contre le fait que tu aies le choix mais saches que ce choix a un coût et qu’il te faudra l’assumer ne serait-ce que parce qu’on sera obligé chez toi de procéder encore à un relevé manuel de ton compteur, alors qu’avec un compteur communicant ça se ferait à distance automatiquement.
Noémie : Et puis encore quoi ? Je veux bien que dans la mesure où le relevé sera toujours manuel chez moi, le tarif ne soit pas réduit, mais qu’on me l’augmente, alors là sûrement pas ! En effet, puisqu’il n’y aura plus besoin d’une personne physique pour venir chez toi procéder au relevé mécanique du compteur, ils feront des économies. Et donc ces économies, réalisées par le fait qu’il ne sera plus nécessaire de rémunérer quelqu’un pour venir à domicile relever les compteurs, devront au contraire se matérialiser par une baisse du tarif pour tous ceux qui seront passés au compteur communicant, le tarif restant inchangé pour les autres. Mais s’ils font des économies sans les répercuter sur les clients, alors ça s’apparente à une hausse déguisée et injustifiée des tarifs, ce qui serait inadmissible, non ? Déjà qu’ils cherchent à obliger par un tout de passe-passe à faire payer davantage certains usagers, à qui ils racontent que la majoration de leur facture s’explique par le fait que le niveau de puissance qui leur avait été attribué avec l’ancien compteur ne correspondait pas à la puissance réelle dont ils ont bénéficié indûment, en raison de ce que l’ancien compteur ne permettait pas d’obtenir la finesse d’évaluation que permet le nouveau compteur … non franchement, c’est à croire que ce n’est là qu’un moyen de faire payer les usagers toujours plus, car si vraiment ils leur avaient accordé un niveau de puissance qui ne correspondait pas à la réalité, c’est une erreur de leur part et ce n’est donc pas à l’usager de l’assumer.
Amy : Si c’est vrai, pourquoi n’attaquent-ils pas alors le gestionnaire de service public devant le tribunal administratif ? Il existe en effet en droit administratif une jurisprudence dite des droits acquis qui permet par exemple à un administré à qui l’Administration aurait accordé à tort un permis de construire de saisir le juge pour faire annuler la décision par laquelle l’Administration serait revenue sur l’octroi du permis de construire lorsqu’elle se serait rendue compte de son erreur dans la mesure où elle l’aurait fait en dehors du délai imparti après l’attribution du permis. Là, ce ne serait certes plus une histoire de permis de construire mais plutôt une histoire de niveau de puissance accordé à tort sur lequel le gestionnaire de service public chercherait à revenir en dehors du délai légal. Enfin je crois que ce serait plaidable.
Noémie : S’il faut maintenant aller au tribunal à chaque fois qu’on voudra nous changer notre compteur, où va-t-on, je te le demande ?
Amy : Mais c’est la vie mon amie.
Noémie : Pas la vie dont j’aurais pu rêver !
Amy : Mais où as-tu vu que la vie était un rêve ? Tu es bien trop naïve, sans doute trop utopiste. Désolée alors de te contrarier, mais je n’ai pas la même vision de ce qu’est la vie, et d’une certaine manière je t’envie d’avoir gardé encore ce petit fond d’illusions.