Avant 6 ans, l’enfant est vulnérable

Une neurologue alerte sur le danger des écrans

Deux articles dans La Voix du Nord du 19 novembre

En avril 2024, une commission d’experts chargée par Emmanuel Macron d’évaluer l’impact de l’exposition des enfants et adolescents aux écrans, a rendu son rapport en mettant en avant « un consensus très net sur les effets négatifs des écrans ». Plus d’un an après, quelles mesures ont été prises ? On fait le point avec Servane Mouton, neurologue et coprésidente du groupe d’experts.

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Qu’est devenu ce rapport scientifique de 142 pages et ses 29 propositions parmi lesquelles ne pas exposer aux écrans les enfants de moins de 3 ans, attendre 11 ans pour un téléphone portable et 13 ans pour un smartphone avec accès à Internet ? « On a du mal à le savoir et l’instabilité politique n’aide pas au suivi des dossiers, regrette la neurologue Servane Mouton, coprésidente du groupe d’experts. On a eu des interlocuteurs motivés et puis ils sont partis avec les changements de gouvernements. »

Les études scientifiques ont tendance à augmenter la barre des exigences et des restrictions à 6 ans car on note des effets délétères avec de moins bonnes performances cognitives globales.

L’objectif de ce document était « de mettre en avant le fait que le sujet dépassait la question des écrans, dit-elle. Il y avait aussi la place de l’enfant, des ados, des technologies numériques dans la société en prenant en compte les enjeux sanitaires et environnementaux ». L’idée était aussi « d’inverser l’ordre des responsabilités, de mettre en premier celle des industriels du secteur et des politiques qui n’avaient pas su, pu, voulu mettre en place une régulation suffisamment efficace pour empêcher ces dérives », explique la neurophysiologiste.

Interdit aux moins de 3 ans

Parmi les avancées, des mesures ont tout de même été prises comme l’interdiction des écrans dans le collectif pour les moins de 3 ans depuis le 3 juillet. « Si cet arrêté a une valeur symbolique forte et que je salue cette initiative, il a officialisé quelque chose qui était déjà largement fait dans les crèches et chez les assistantes maternelles », estime Servane Mouton, qui aurait aimé que l’interdiction soit appliquée pour les moins de 6 ans dans les espaces collectifs.

Avant 6 ans, l’enfant est vulnérable, les premières années sont déterminantes.

« Les études scientifiques ont tendance à augmenter la barre des exigences et des restrictions à 6 ans car on note des effets délétères avec de moins bonnes performances cognitives globales, en particulier sur le langage, l’attention et les capacités sociorelationnelles. De plus, jusqu’à l’âge de 6-8 ans, du fait de la grande transparence du cristallin, l’œil est plus sensible aux effets délétères de la lumière riche en bleu émise par les écrans qui favorise la myopie et pourrait être toxique pour la rétine. »

La spécialiste insiste : « Avant 6 ans, l’enfant est vulnérable, les premières années sont déterminantes. » Et les effets négatifs sur le cerveau en développement de l’enfant sont visibles dès 30 minutes d’écran par jour ! « Il y a une tendance à l’appauvrissement du langage, à des difficultés de concentration. On a des alertes des gens du terrain, pédiatres, médecins de PMI, enseignants, souligne Servane Mouton. Et la surexposition est plus massive dans les populations les moins favorisées donc ce sujet est devenu une source d’inégalité supplémentaire. »

Appauvrissement du langage

La coprésidente du groupe d’experts insiste : « C’est préoccupant car le langage est notre moyen de communiquer, de penser et de construire ensemble le monde. Ça justifie donc des mesures massives, demandées depuis des années ». L’auteure du livre Écrans, un désastre sanitaire souligne que « la citoyenneté et la démocratie se construisent dès la petite enfance donc il faut veiller à protéger du mésusage des écrans dès la naissance, et accompagner les parents avec un cadre clair et une régulation officielle sur les smartphones, et une mise en cohérence entre les préconisations destinées aux familles et les pratiques de l’Éducation nationale pour mettre fin aux injonctions contradictoires ».

Pour les ados, il faut les accompagner dans la gestion des écrans car ils ne vont pas résister mieux qu’un adulte.

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ayant suivi le parcours de membres de la famille avec d’importants troubles cognitifs. De nos jours nous nous posons la question : ce sera quoi pour moi ? un cancer ou alzheimer ou parkinson ? MLB

Les scientifiques rappellent que l’enfant, avant 6 ans, a besoin d’explorer le monde dans toutes ses dimensions, d’être encadré et soutenu par ses parents et qu’il n’a pas besoin d’écran. « Et pour les ados, il faut les accompagner dans la gestion des écrans car ils ne vont pas résister mieux qu’un adulte », précise la neurologue. Problèmes de sommeil, de vision, de sédentarité, de manque d’activité physique… Son conseil ? Pas d’écran dans la chambre, pas le matin avant d’aller à l’école, pas dans l’heure précédent l’endormissement, pas pendant les repas, « et je préconise de résister jusqu’à la fin du collège avant d’acheter un smartphone notamment car les réseaux sociaux ne sont pas éthiques ».