Entre parents et enfants

La négociation permanente

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« Allez, encore dix minutes … » ; « Allez encore un chapitre ! » ; « 10 € ? Mais je ne peux rien faire avec 10 €, je peux avoir 15 € ? » ; « Mais tout le monde en a un dans la classe ! ». Si vous avez déjà entendu  l’une de ces phrases, c’est que vous êtes sûrement l’heureux parent d’un enfant qui joue parfois avec vos nerfs en testant vos limites.

Émilie et Florent, parents de deux filles de 12 et 8 ans, en banlieue de Lille, le reconnaissent sans problème. « La négociation chez nous, c’est tous les jours. Je veux la télé, je veux la switch… Le rangement des chambres, aussi, c’est un gros sujet. » Sur ce dernier point, le plus aigu de la maisonnée,  « je suis parfois un peu dépité, on est souvent obligé de jouer de la carotte ou du bâton. On a déjà privé de télé, de console … Elles vont faire un effort, mais après 24 h, c’est déjà fini. Et la plus grande va essayer de marchander quand je lui demande de ranger la chambre, oui mais j’ai déjà rangé la cuisine, oui mais j’ai déjà rangé mes affaires dans le salon… ». Et, parfois, même le contrôle parental sur les écrans ne suffit pas. « J’ai déjà reçu des messages un peu secs pour débloquer le temps supplémentaire. Je lui ai répondu :  « tu peux dire bonjour quand même ! » »

« Personne n’est gagnant »

Ces séances de négociation, Nadia les connaît bien, elle aussi. « Mon fils de 8 ans négocie tout le temps et sur tout ! Ça peut être les sucreries, le temps d’écran. Quand il voit une brèche, il y va ». Dans le foyer, il y a des règles, assez classiques : pas d’écran les jours d’école, heure du coucher stable, participation aux tâches de la maison… « Mais mon fils a vraiment tendance à jouer avec les limites pour nous faire craquer. Il passe d’un « je veux » à l’autre en permanence, va voir son père quand il voit que je ne bouge pas. Et n’hésite pas à jouer sur l’affectif, je te fais plus de câlins, t’es pas sympa … Dans ces cas-là, je lui réponds que je ne suis pas là pour être sympa, mais pour l’éduquer. Et parfois,ça craque, il y a du conflit. Au fond, il n’a pas ce qu’il veut et moi je suis usée et culpabilisée, personne n’est gagnant », confie la maman.

Dans ce genre de situation, chacun fait comme il peut. « On a un cadre, mais il est à géométrie variable. On a un objectif souple sur le temps d’écran par exemple, c’est « pas trop ». Si on mettait une durée trop rigide, on sait qu’on n’arriverait pas à le tenir. Du temps, on en rajoute si il pleut si je suis noyé par le boulot », admet Émilie. « En revanche, si on voit que les devoirs ne sont pas faits, ou qu’on doit demander 60 fois la même chose,on ne lâche pas ».

Chez Nadège « on gère le temps d’écran avec des jetons. Un jeton « 10 min », ça se gagne en bossant à l’école et avec une bonne attitude à la maison. Et zéro écran, le matin le jour d’école ». Chez Sandrine, « la télé est devenue un moyen de négociation » pour canaliser la cadette, reconnaît la maman. « Lave-toi, habille-toi, brosse-toi les dents. Fais tes devoirs et tu pourras regarder la télé ». Chez Julie, on assume de poser un cadre rigide mais clair à ses filles, Clémence et Julia. « Les filles ne sont pas trop dans la négociation. On a des règles de vie à la maison, on leur explique très tôt. Célia vient de commencer le portable parce qu’elle rentre au collège. Mais on a discuté deux heures avec elle avant , ce qui permet d’éviter qu’elle cherche des marges » explique la maman avant de poursuivre . « Si elles veulent les discuter, je leur dis que c’est possible, mais elles doivent me donner de bons arguments ».

« Comme une relation commerciale »

Ce qui n’évite quand même pas toujours de fastidieuses séquences de marchand de tapis. « Récemment, Clémence a voulu négocier du temps d’écran. Elle voulait une heure, je lui ai dit ok pour 10 minutes, elle descend à 30 minutes. Moi je reste sur 10. Elle descend à 25. Et moi, je suis descend à 9. Elle n’a pas aimé mais je lui ai montré que moi aussi je savais jouer ».

Elle, cadre dans la fonction publique, vit aussi au quotidien de petites séquences de négociations avec une adolescente de 16 ans. « Elle va faire valoir ses arguments. Elle n’arrivera jamais pour une demande sans avoir anticipé sur ce quelle peut proposer, du genre j’ai passé l’aspirateur, je peux sortir ce soir ? C’est un peu comme une relation commerciale, finalement », raconte sa mère.

A Anzin, maman solo de jumelles de bientôt 11 ans,a adopté une stratégie similaire de cadrage clairs des règles très en amont. «  J’essaie de mettre du sens dans chacune des règles que je leur impose, d’expliquer, d’être dans l’échange ». Il n’empêche. « Tenir le cap demande beaucoup d’énergies et de temps. Et par moment il faut faire preuve de souplesse, pour récompenser … ou par nécessité. A un moment donné, j’ai besoin de souffler ».

Si l’apprentissage du téléphone et des messageries de type Whatsapp ou tiktok se fait « ensemble, et pas plus de dix minutes, et pas tous les soirs », le piège en ce moment c’est la tablette et une application ludique d’apprentissage des langues. « Si je ne suis pas attentive, ça part en négo. Attends, je sauvegarde … allez encore une leçon … elles peuvent gagner 20 minutes comme ça ».

Et quand les règles ne sont pas respectées, c’est la sanction. « Une de mes filles est privée de console en ce moment, parce qu’elle laisse traîner ses affaires.Mais je ne suis pas persuadé que ce soit idéal en terme éducatif. J’attends même l’échec de la punition pour lui dire : « on fait quoi maintenant ? » et pour qu’elle comprenne qu’il y a peut-être des solutions plus intelligentes. » Et une bonne négociation, c’est aussi apprendre l’art de perdre ?

« La multiplication des écrans a contribué à augmenter les opportunités de conflits »

Pour la psychologue pour enfants Pauline De Falco, la négociation est un mécanisme habituel qui participe au développement de l’enfant. Mais dans certaines limites que l’omniprésence des écrans dans nos vies – et les leurs  – est venue bousculer.

La négociation est-elle un phénomène habituel dans la relation parent-enfant ?

La négociation fait partie intégrante du développement relationnel entre parents et enfants. Pour l’enfant, ces échanges sont l’occasion d’apprendre à gérer le dialogue, modérer ses désirs et comprendre les limites. Toutefois, si l’enfant négocie tout, tout le temps, avec tout le monde, ce n’est pas souhaitable. Ce comportement traduit souvent un besoins excessif de contrôle de la part de l’enfant sur les décisions et évaluations des adultes concernant ce qui est juste ou non.

Or, il est essentiel pour le développement affectif et cognitif de l’enfant que l’adulte demeure une figure référente et garante d’un cadre stable et sécurisant.

Fixer des règles est-il un moyen efficace de se prémunir de séquences répétitives de négociation ?

Oui, totalement ! Il faut anticiper et tester ces règles pour voir si elles sont applicables et mesurées. Il ne faut pas non plus hésiter à adopter des règles généreuses… Car si elles sont « trop dures », et qu’on passe notre temps à punir, ce n’est agréable pour personne. Il faut aussi choisir ses objectifs car je vois beaucoup de parents qui s’épuisent à être sur tous les fronts … Et finalement c’est contre-productif car on est tellement épuisé qu’on lâche une fois sur trois, ou même tout le temps.

Est-il souhaitable de rentrer dans une relation de type action-récompense, « si tu ranges ta chambre, tu pourras jouer un peu à la console… » ?

On a besoin parfois de « faire pression «  pour que les choses soient faites en temps et en heure. Le risque, c’est que l’enfant l’utilise aussi contre nous. Il existe toutefois une alternative plus subtile fondée sur l’explication des conséquences logiques et la communication émotionnelle authentique. Par exemple, au lieu de dire « si tu ranges ta chambre, tu pourras jouer à la console «, j’exprime plutôt : « Quand tes jouets ne sont pas rangés, cela rend plus difficile pour moi de garder la maison en ordre, ce qui me cause un sentiment de frustration ». Cela favorise le développement de son empathie, son sens des responsabilités et son autonomie, non à travers la recherche d’une récompense extérieure mais via une compréhension interne et partagée des valeurs  et des besoins collectifs.
Puis on peut ouvrir sur une demande ou une suggestion, qui laisse un sentiment de contrôle à l’enfant, comme « tu ranges avant ou après le repas ? » ou « je t’aide maintenant ou tu fais seul avant la douche ? ». Cela permet à l’enfant de raisonner et de partager ses idées.

Qu’a changé l’arrivée massive des écrans dans cette dynamique de négociation assez naturelle ?

La multiplications des écrans a contribué à augmenter les opportunités de conflits avec les enfants. Lorsqu’on commence à négocier sans cesse sur les écrans, c’est que leur utilisation est probablement trop fréquente ou que ces écrans ont un effet récompensant trop puissant. Cette sursollicitation peut être associée à des troubles du sommeil, des difficultés attentionnelles, ainsi qu’à une montée de l’irritabilité et de l’anxiété, qui complexifie la négociation, rend les échanges plus tendus. Dans ces situations, il est important de reconnaître qu’un enfant peut tout simplement ne pas être prêt à gérer cette consommation et que le maintien ou l’augmentation du temps d’exposition aggrave le cercle vicieux. Il est parfois nécessaire , voire essentiel, d’envisager des périodes de privation ou de sevrage. Il s’agit non pas de punitions arbitraires, mais de réponses réfléchies aux effets neurobiologiques puissants des contenus numériques.

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CM