C’est la fin (momentanée ?) de Colères du présent à Arras
Le salon du livre d’expression populaire et de critique social n’ouvre pas ses portes ce 1er mai 2025 dans le chef-lieu du Pas-de-Calais.
C’était pourtant la tradition puisque, en 2024, s’était ouvert le 23ème salon.
D’après La Voix du Nord :
« Le conseil d’administration de l’association a demandé son placement en liquidation judiciaire. Lestée d’une dette importante, Colères du présent, structurellement fragile, n’a pas su rebondir après la pandémie. C’est la fin du Salon du livre du 1er mai à Arras, unique de par son engagement et sa liberté de ton. »
Pourquoi cette colère au présent ?
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Parce qu’on n’ira pas à Arras pour écouter des super conférenciers dans différents domaines, pour acheter plein de livres, pour entendre PFM interviewer différentes personnes et passer de la musique, pour avoir de la musique plein les oreilles – mais pas trop fort -, pour manger des crêpes pas chères préparées par la CGT … et surtout pour rencontrer beaucoup de personnes et parler à n’importe qui.
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Parce qu’on n’aura pas notre stand qui aurait permis cette année de parler de la surexposition des écrans chez les jeunes (mais pas que !), de l’« Intelligence » dite Artificielle, du Linky – avec notre Procès citoyen –, des antennes et de la numérisation à marche forcée.
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Parce qu’on n’aura pas fait venir Fabien LEBRUN pour une conférence sous un chapiteau, à partir de son livre récent : « barbarie numérique ».
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Parce que l’on n’entendra pas non plus Nathalie ROCHER qui nous enchante et nous fait réfléchir aussi avec son conte « le rossignol et l’empereur » – une allégorie de notre rapport à la technologie et au vivant.
Ce salon servait aussi de fin de parcours des manifestants du 1er mai. Cela amenait du monde.
C’était un salon libre, et il l’a montré durant ses 23 représentations. C’est ce qui en faisait sa force. Il en venait des gens de différentes régions pour vendre, pour expliquer, pour respirer ; il en venait d’autres pour glaner, pour boire et manger, pour déambuler en homme-sandwich – avec des idées intéressantes ; on a même vu un maire d’une petite commune se promener avec des pancartes devant et derrière son dos ! Les stands étaient multiples, variés ; on avait l’embarras du choix. Les tracts se distribuaient pour tel ou tel sujet. C’était un salon peu ordinaire, avec de nombreux acteurs anonymes, avec beaucoup de stands, avec beaucoup de convictions.
Pourquoi donc cette colère au présent ?
Parce que la mairie n’aime pas beaucoup ces rassemblements culturels qui font trop réfléchir. Parce qu’elle préfère un festival Main Square, un championnat du monde de la frite à Arras : c’est plus populaire, c’est plus contrôlable.
Pourquoi la mairie n’aimait pas beaucoup ces salons ?
Certainement parce qu’elle n’avait pas vraiment la possibilité de bien mettre son grain de sel, de donner ou d’imposer son avis.
Cela ne pouvait pas durer. Il ne faut pas fabriquer des êtres informés, c’est trop dangereux.
Et surtout, il faut commencer à comprendre que l’on n’a pas à réfléchir collectivement, librement. Il faut laisser parler les médias bien-pensants, qui expliquent ce qu’il faut dire, ce qu’il faut critiquer …
Donc la mairie n’aimait pas ce salon libre. Mais c’était impossible de le crier sur tous les toits : il y aurait eu un tollé général. Donc, on fait ce qu’aiment faire les politiciens et les entrepreneurs. On prend son mal en patience, on prend son temps. On laisse faire en mettant quelques petites touches piquantes. On travaille dans l’ombre. Et surtout, on s’arrange pour mettre en péril une institution. Comment ? En ne donnant pas aux organisateurs le moyen de réaliser des projets audacieux : cela coûte quelquefois trop cher !
On attend car on est sûr de réussir sur le long terme. C’est ce qui s’est passé : pas assez d’argent, trop de dettes, donc on ferme.
On pourra remplacer par une autre activité le même jour, mais on est sûr que cela n’aura pas le même retentissement, parce que ce sera nettement moins grand, parce que ce sera plus facilement contrôlable et il y aura moins de personnes concernées.
C’est ce qui se passe à Arras.
Cela fait un peu penser à Hénin-Beaumont. Quand les fraîchement élus sont arrivés à la plus haute marche du podium local en 2014, ils ont compris qu’ils ne pourraient pas tout de suite s’attaquer à la médiathèque. Ils savaient que celui qui en était à la tête était trop gauchiste à leur goût. Ils ont donc courbé un peu la tête. Ils n’étaient pas pressés car le directeur allait partir en retraite fin 2015. Donc ils ont attendu un peu plus d’un an, sans faire d’histoires. Puis, ils ont repris la main, à leur façon, en 2016 !
Ils ont eu aussi un autre problème avec le centre culturel l’Escapade. Ce fut plus dur pour le résoudre. Car l’Escapade fonctionnait bien, avait une audience. Donc ils ont attendu, non sans intervenir pour semer la zizanie, notamment dans les structures. Ils ont mis du temps … et ont réussi, en 2025 : 11 ans à attendre. Ce fut long mais ils ont gagné la première grande bataille culturelle.
En tout cas, pour Arras, on a perdu un an. Mais on peut essayer de revoir une copie assez semblable afin de retrouver cette ambiance perdue cette année. On se donne le temps ? On prépare 2026 ? Chiche… mais ce sera du boulot !
On peut regretter en particulier les crêpes de la CGT ! Mais pas que, évidemment !
A la place de ce salon, à Arras, il y a, ce jour, un « tapage littéraire » au pôle artisanal des écuries des hautes fontaines.
Cela ne remplace pas du tout Colères du présent avec son grand salon !