RadioPlus et le sommet de l’IA

Intervention du collectif ACCAD sur cette radio le lundi 10 février, premier jour du « sommet international » organisé par E. Macron

https://www.radioplus.fr/ ; 104,3 FM

Aujourd’hui s’ouvre à Paris, le sommet de l’IA qui réunit des chefs d’État, des dirigeants d’organisations internationales, des chercheurs et des membres de la société civile pour discuter d’une IA éthique et durable. Ce sommet se trouve d’ailleurs inclus dans la semaine de l’IA qui se déroule depuis le 6 février et ce jusqu’au 11 février avec divers évènements scientifiques et culturels … Il paraît que cet évènement représente une occasion unique de rassembler des perspectives diverses pour façonner l’avenir de l’intelligence artificielle au service du progrès collectif.

Je tiens à faire savoir que votre Collectif ACCAD combat cette course technologique parce que dites-vous : « À l’heure du dérèglement climatique et d’une extinction de masse des espèces, vous la qualifiez de meurtrière … faisant perpétuer le désastre écologique et humain » … » … Vous êtes donc mon invité dans cette rubrique « Sale temps sur la Planète » et merci à vous d’avoir répondu présent pour nous expliquer votre point de vue et surtout nous avancer vos arguments…. Alors Pierre, comme vous, certains affirment que l’intelligence artificielle est un désastre environnemental ….

Tout d’abord … au niveau énergie … il paraît que la consommation est colossale

D’ici à 2027, l’IA pourrait consommer entre 85 et 134 térawatts-heures (TWh) par an, soit la même quantité d’énergie qu’un pays comme l’Argentine, les Pays-Bas ou la Suède. Au niveau mondial, cela représenterait 0,5 % de toute l’énergie consommée. La tendance actuelle est aux modèles de plus en plus gourmands en données (et donc en énergie) et l’effet rebond pourrait aussi pousser les entreprises à pousser encore plus l’utilisation de l’IA, sous prétexte que les machines consomment justement moins.

La génération d’une image par IA peut consommer autant que la charge complète d’un smartphone.

L’IA génère-t-elle une grande quantité de CO2 ?

Plusieurs études montrent que l’IA est fortement émettrice de ces gaz qui contribuent à l’accentuation du réchauffement climatique.

L’empreinte carbone liée à l’entraînement de ChatGPT-3 représente 700 000 km de conduite automobile équivalent CO2 ; 502 tonnes équivalent CO2, soit 110 voitures américaines en circulation pendant un an ; 240 tonnes de CO2 éq, soit 136 allers-retours entre Paris et New-York.

Le président de Microsoft a par exemple confié à Bloomberg que son objectif d’être « neutre en carbone d’ici 2030 » serait plus difficile à atteindre en raison de « l’explosion de l’IA ». Idem pour Meta, qui peine à acheter suffisamment de bons carbones pour couvrir l’installation de milliers de nouveaux serveurs.

Les serveurs des GAFAM rejettent 662 % de CO2 en plus que ce que les entreprises prétendent.

Les centres de données sont déjà responsables de 1% des émissions mondiales de carbone, un pourcentage qui pourrait augmenter rapidement dans les années à venir.

Pour alimenter ces installations, de nombreuses entreprises dépendent encore de sources non renouvelables telles que charbon et le gaz naturel. Cela a un impact sur le réchauffement de la planète.

Je suppose donc aussi qu’il faut prendre en compte une grande consommation d’eau

Massivement utilisée pour refroidir les serveurs d’IA, l’eau est devenue une ressource précieuse et indispensable dans la course à l’IA. Un exemple : l’entraînement d’un modèle comme GPT-3 aurait provoqué à lui seul l’évaporation de 700 000 litres d’eau.

Ramené à une échelle plus compréhensible, cela signifie que Chat GPT-3 a besoin de boire une bouteille de 500 ml d’eau toutes les 10 à 50 réponses générées »,. La consommation d’un modèle comme GPT-4 pourrait être encore plus importante. Et on en est déjà à GPT5 !

Le secteur de l’IA pourrait nécessiter l’extraction de 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau, soit la moitié de la consommation d’un pays comme le Royaume-Uni.

Alors, ma question est la suivante : ne peut-on pas réduire l’impact écologique de l’IA ?

On ne doit pas faire oublier que la construction même des machines sur lesquelles tournent ces cerveaux numériques est très polluante aussi et que l’énergie utilisée pour les faire tourner n’est pas toujours des plus propres..

il est essentiel de repenser les matériaux utilisés dans les systèmes d’IA. Au-delà de privilégier des sources durables, il faut explorer des conceptions exigeant moins de ressources.

Ensuite, il faudrait impérativement travailler sur l’optimisation des charges de calculs.

Enfin, nous pourrions économiser énormément d’énergie grâce au partage et à la mutualisation des données.

L’urgence serait donc de freiner, tout de suite. Ne plus produire des objets « inutiles », avec des systèmes d’intelligence artificielle embarqués, utiliser moins le téléphone, l’ordinateur.

En contrepartie, l’Ia ne peut-elle pas être mise au service de l’environnement et nous aider à lutter contre les pollutions et le cas échéant, comment ?

La route vers une IA plus durable ne sera pas facile. Selon les projections, la consommation d’énergie liée à l’IA pourrait augmenter de 85 et 134 TWh à l’échelle mondiale d’ici 2027. Si ces chiffres sont atteints, l’IA aura non seulement un impact sur l’approvisionnement énergétique mondial, mais pourrait également rendre difficile la réalisation des objectifs internationaux de durabilité.

Les centres de données sont la base de l’IA. Ces espaces abritent des serveurs fonctionnant 24 heures sur 24. Il ne faut non plus oublier que l’on va devoir construire des GIGA data centers. Donc, augmentation d’utilisation d’eau, d’électricité … D’ailleurs les Émirats Arabes Unis veulent construire en France un data center géant. Par ailleurs la France a pour objectif dans les années à venir de construire 31 data centers, dont 7 dans les Hauts-de-France.

Le matériel de l’IA repose fortement sur les métaux rares et les matériaux spécialisés, difficiles à extraire de manière durable. Ces matériaux ne se limitent pas à l’IA : ils sont essentiels à de nombreux appareils du quotidien, tels que les téléphones et les ordinateurs, et exploitent presque la totalité du tableau périodique. 

Les coûts éthiques et environnementaux liés à l’extraction de ces matériaux sont significatifs. L’exploitation minière perturbe les écosystèmes et implique souvent des pratiques de travail oppressives, posant une question cruciale : comment réduire notre dépendance à ces matériaux ? Ces extractions de matériaux – notamment en Afrique pour notre confort – sont une des causes du changement climatique. Et il ne faut pas croire que, si on l’extrayait en France, ce serait plus vertueux, plus durable.

Et puis, ne peut-on pas l’utiliser pour la gestion des ressources et la protection de la biodiversité ?

l’IA aide effectivement à :

  • Cartographier les écosystèmes
  • Améliorer la précision de la surveillance des océans.
  • Détecter les espèces menacées
  • Surveiller les forêts tropicales
  • Analyse des données de drones ou de satellites

L’IA peut également servir dans différents domaines que l’on pourrait qualifier de paisibles mais fondamentaux quant à l’utilisation pour l’humain, notamment en médecine, en recherche … mais à condition de ne pas laisser tomber la réflexion de l’Homme.

La contrepartie se situe dans l’exploitation des ressources pour l’IA. On le voit avec ce massacre actuel au Congo : la RDC « possède entre 60 et 80 % des réserves mondiales » de coltan. Mais le premier exportateur de coltan est le pays voisin, le Rwanda, qui soutient le M23 afin d’« accaparer les richesses du sol congolais, quitte à massacrer les habitants ». Les rebelles contrôlent désormais « une mine d’où est extrait 15 % du coltan mondial », signale David Maenda Kithoko, militant congolais. Pour lui, il ne s’agit là que d’une « perpétuation du système colonial », entièrement dédié à « l’extractivisme » des ressources des pays colonisés.

Pouvons-nous avoir l’espoir qu’il y aura un jour, une intelligence artificielle plus durable ?

Se concentrer uniquement sur d’éventuels futurs risques existentiels à venir de l’IA est un leurre : ces technologies ont déjà des effets très concrets pour les populations les plus vulnérables et les plus discriminées et portent largement atteinte aux droits humains. En s’appuyant sur des bases de données biaisées et en intégrant les préjugés de ses concepteurs, l’IA perpétue les stéréotypes, renforce les inégalités sociales et limite l’accès aux ressources et opportunités. A cela s’ajoute le fait que le déploiement de ces systèmes d’IA s’inscrit dans le contexte des structures discriminatoires et inégalitaires qui existent dans les sociétés du monde entier. Le recours à ces technologies, souvent sur fond de politiques d’austérité, amplifie les discriminations dans l’accès à la santé, à l’emploi, aux services publics ou aux prestations sociales. En témoignent les scandales ayant éclaté ces dernières années : biais sexistes et racistes des algorithmes de santé, algorithme des services de l’emploi autrichien qui refuse d’orienter les femmes vers le secteur informatique, profilage et discrimination des usagers de la Caisse nationale des allocations familiales en France, au Danemark ou aux Pays-Bas.

Pour résumer
On est toujours dans l’optique de ce fameux progrès ; on n’a jamais été autant technophile, voire technolâtre, et cette mentalité transparaît dans tous les milieux, y compris et peut-être surtout dans le monde politique.

Du côté des avantages attendus par les optimistes, on peut lister :

– L’élimination des taches fastidieuses, la réduction du temps de travail nécessaire pour vivre, et à terme abolir le travail « obligé» (ce qui irait de pair avec la mise ne place d’un revenu d’existence universel).

– Ceci permettrait de développer la créativité, la liberté, donner du temps pour la vie sociale, l’art, la découverte.

– L’utilisation de l’IA « pour le bien », par exemple pour suivre et prédire les phénomènes météorologiques de grande ampleur, pour restaurer des livres anciens.

– Certains pensent que l’IA serait beaucoup plus efficace que les gouvernements humains, si on lui confiait le pouvoir politique, pour sauver la planète et limiter l’impact de nos activités sur la biosphère.

Du côté des risques, on peut lister :

– Perte d’autonomie, dépendance

– Croissance des inégalités et du chômage

– Désinformation

– Menace sur les droits fondamentaux, en particulier celui à la non-discrimination

– Terrorisme

– Usages militaires de l’IA (Robots tueurs affranchis de tout contrôle humain)

– Surveillance généralisée/ contrôle social

– Fin de la démocratie ; Dictature d’une techno-oligarchie. Il suffit de constater que, comme pour les centrales nucléaires, comme pour l’informatique à l’école, nous n’avons pas été consulté sur la mise en place de l’IA.

– Risques existentiels/ systémiques d’asservissement d’homo sapiens, voire de disparition

Il y a consensus sur les risques en entraînant la fin des démocraties. Bien que cela ne soit pas toujours explicite, il y a aussi une inquiétude avec le pouvoir croissant d’une poignée de milliardaires de la tech alliés aux capitalismes financiers transnationaux et aux appareils militaro-sécuritaires, et le risque qu’ils ne prennent le pouvoir sous forme d’une dictature techno-oligarchique.

Il y a également une préoccupation, bien qu’elle soit moins citée alors qu’elle est très présente, avec l’utilisation croissante de l’IA par les militaires, avec l’avènement de robots tueurs dont on est très proche. La ligne rouge a déjà été franchie depuis juin 2022 en Ukraine et à Gaza, devenus des laboratoires de la guerre du futur pour le plus grand bonheur des GAFAM. Il ne faut pas oublier que l’IA sert beaucoup et principalement aux militaires … donc pour faire la guerre.

Le risque de perte d’autonomie des humains est mis en avance par les humanistes et par tous ceux qui s’inquiètent des ravages des écrans et du monde virtuel sur les individus et sur la société. Il est beaucoup moins cité par les entreprises de la tech et par les gouvernements. Les citoyens sont préoccupés par le risque de croissance des inégalités et du chômage, mais il est totalement nié par les tenants de l’establishment et de l’industrie de la tech, qui nous promettent des lendemains qui chantent.

Une initiative vient d’être lancée : La coalition HIATUS, pour résister à l’IA et à son monde !

Le texte fondateur de cette coalition vise à dénoncer l’inféodation des politiques publiques aux intérêts de la tech, ainsi que les coûts humains et environnementaux de l’IA.

Le texte est notamment signé par les associations suivantes : La Quadrature du Net, la LDH, Union syndicale Solidaires, Scientifiques en rébellion, L’Atelier Paysan, Féministes contre le cyberharcèlement, SNES-FSU, Agir pour l’environnement, ATTAC France, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France, Halte au contrôle numérique, Lève les yeux.

L’Association Française Contre l’IA

https://afcia-association.fr/

intitule son article : « pourquoi nous ne croyons pas à la régulation de l’IA »

Il se termine ainsi :

Le risque pour l’humanité était donc très concret et visible. Malheureusement, dans le cas de l’IA, si des risques majeurs se concrétisent un jour, entraînant un sursaut des superpuissances, il sera sans doute trop tard pour réguler. »

Terminons provisoirement par ce qu’a développé Cédric VILLANI dans le numéro de l’hebdo le 1 consacré à l’IA

« Les quatre éléments remarquables de l’IA sont les suivants : d’abord la rapidité, ensuite, la concentration financière inhumaine intriquée à la culture d’innovation et de bluff ; puis l’omniprésence de la désinformation, de la mystification, de la comédie ; enfin l’omnicompétence.

La première menace est que l’IA se mette au service de ceux qui vous contrôlent. La deuxième, et la plus insidieuse est la servitude volontaire, l’allégeance à la technique qui formate vos gestes, fatigue vos yeux et normalise vos pensées. La troisième est de transformer les jeunes et moins jeunes en zombies du smartphones ou smonbies. La quatrième est que l’IA aspire nos savoir-faire et le sel de notre vie humaine … ce qui fait que l’on oublierait l’art de se repérer, l’art de mémoriser, de discuter, d’écrire à la main, de faire cours ou de s’aimer biologiquement. »

En tous cas, ce sommet qui a lieu actuellement à Paris, rassemble surtout les acteurs économiques …. Ce qui me laisse assez perplexe quant à sa considération pour son impact sur l’environnement …

Évidemment, cette IA est un sujet très complexe dont on ne peut faire le tour en 10 minutes … On a survolé, aujourd’hui, le fait qu’elle menace notre planète … mais elle menace aussi beaucoup d’autres choses …. Et représente dans certains domaines, un véritable danger … Que nous pourrions examiner ensemble ….