La voiture électrique n’est pas la seule solution face au défi climatique
À l’heure de l’urgence climatique, le budget 2025 prévoit un demi-milliard d’euros en moins pour l’aide à l’électrification des véhicules. Pour le chercheur Aurélien Bigo, ce budget montre surtout l’inaction climatique du gouvernement en matière de transports, secteur le plus émetteur en France.
C’est un paradoxe qui résume à lui seul l’inaction politique du gouvernement en matière climatique. Le secteur des transports est le plus émetteur en France, représentant à lui seul un tiers des émissions nationales. Et notre retard en termes de politiques climatiques est tel que le Haut Conseil pour le climat estime que pour décarboner le pays, le rythme de réduction des émissions liées au transport doit tripler d’ici à 2030.
Mais après avoir fustigé « l’épée de Damoclès » de la « dette écologique » lors de son discours de politique générale début octobre, le premier ministre, Michel Barnier, a présenté un projet de loi de finances pour 2025 qui ampute d’un demi-milliard d’euros l’aide à l’électrification des véhicules.
Chercheur sur la transition énergétique des transports et associé à la chaire « Énergie et prospérité » à l’Institut Louis Bachelier, Aurélien Bigo revient pour Mediapart sur ce budget 2025 qui ne prend pas assez en considération l’urgence de se défaire de la voiture individuelle, responsable à elle seule de près d’un sixième de la contribution française au réchauffement global.
Alors que vient de se terminer le Mondial de l’auto, et que l’extrême droite a fait de la défense de la voiture thermique un marqueur politique, pour Aurélien Bigo, c’est tout un ensemble de politiques publiques de sobriété qu’il faut aussi déployer pour que le secteur automobile réalise son tournant climatique.
Mediapart : Le premier ministre Michel Barnier a parlé de « dette écologique » lors de sa déclaration de politique générale, mais dans le budget 2025, l’État veut moins aider la transition vers les voitures électriques. N’est-ce pas là une contradiction à l’heure de l’urgence climatique ?
Aurélien Bigo : L’exécutif veut réduire d’un demi-milliard d’euros l’aide à l’électrification des véhicules. C’est un rabotage d’un tiers du budget de 2024.
Certes, les ventes de véhicules électriques neufs vont globalement augmenter en 2025, notamment parce que leur prix diminue et que l’Union européenne (UE) a imposé aux constructeurs des normes d’émissions de CO2 à respecter pour les voitures neuves.
Mais c’est ici un choix gouvernemental purement budgétaire. Les aides à l’achat jouent un rôle très significatif dans la décarbonation du secteur. À titre d’illustration, l’an dernier, l’Allemagne a dû supprimer ses aides publiques à l’achat de voitures électriques et les ventes sur le marché allemand ont dégringolé. Autre exemple : le leasing social. Ce mécanisme mis en place début 2024 par le gouvernement a rencontré un vrai succès [ce programme a permis à plus de 50 000 ménages d’accéder à un véhicule électrique pour environ 100 euros par mois – ndlr]. L’apport initial était pris en charge par l’État jusqu’à 13 000 euros, ce qui est énorme.
Le gouvernement aurait pu imaginer une mesure qui oblige les entreprises à verdir leur parc automobile.
Ce que montre le leasing social, c’est que dès qu’on lève le frein du prix grâce à des aides, le succès de ces voitures est très fort. Une récente enquête d’Enedis a montré que 91 % des détenteurs de véhicule électrique étaient satisfaits, en termes de confort comme d’usage.
Le ministre des transports a assuré que, malgré le demi-milliard d’euros en moins d’aide à l’électrification (qui comprend le leasing social), l’aide va être reconduite. Mais il faudra voir de près comment cette mesure va être recalibrée pour ne pas coûter trop cher à l’État tout en facilitant l’accessibilité de ces voitures aux plus modestes.
Vous parlez des aides qui baissent, mais le budget 2025 avance aussi un malus écologique qui va se durcir d’année en année. En 2025, le projet de loi de finances prévoit un malus dès que votre voiture émet 113 grammes de CO2 au kilomètre. C’est 5 grammes en moins qu’en 2024…
Aujourd’hui, pour soutenir l’électrification du secteur automobile, on a besoin de deux sortes de mécanismes fiscaux : des aides pour les voitures électriques et des malus pour les autos les plus polluantes. Cela permet de lever des recettes pour financer la transition et de décourager l’achat de voitures polluantes avec des malus qui peuvent atteindre jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Mais nous avons aussi besoin de politiques de contraintes. On observe que l’électrification des voitures dans les flottes d’entreprise (voitures de fonction, de location, etc.) est en train de diminuer. Or, sur les près de 2 millions de véhicules neufs achetés en France, la moitié est achetée par les entreprises, ce qui a une très forte influence sur le marché du neuf, sachant que ces autos irriguent ensuite le marché de l’occasion. Le gouvernement aurait pu ainsi imaginer une mesure qui oblige les entreprises à verdir leur parc automobile.
Les voitures sont responsables à elles seules de près d’un sixième de la contribution française au réchauffement global. Cet ensemble de malus et d’aides est-il suffisant pour tenir nos objectifs climat ?
Nous sommes en deçà de nos objectifs climatiques. Pour rester sur l’électrification des flottes d’entreprise, début 2024, seulement 11 % des voitures neuves achetées en entreprise étaient électriques – chez les particuliers, ce chiffre monte à 25 %. Selon les projections du secrétariat général à la planification écologique, pour être dans les clous climatiques, la part des voitures électriques achetées par les entreprises aurait due être de 21 % cette année, et est censée atteindre les 26 % en 2025.
Autre exemple de notre retard climatique : en 2030, 66 % des voitures neuves achetées en France doivent être électriques pour respecter notre trajectoire climatique. Nous sommes encore loin du compte. La France renouvelle un peu moins de 5 % de son parc automobile chaque année, et seul moins d’un cinquième de ce renouvellement annuel est électrique à ce jour. En définitive, les voitures électriques représentent moins de 3 % de l’ensemble des voitures en circulation aujourd’hui, la diffusion des véhicules dans le parc étant lente.
Ces chiffres nous montrent que l’électrification n’est pas la seule solution face au défi climatique, que nous avons aussi besoin de politiques publiques de sobriété.
Nous sommes pourtant encore très loin des politiques de sobriété. Depuis le début du Mondial de l’auto, lundi 14 octobre, on entend dans la presse un regain de lobbying de certains constructeurs sur la principale réglementation climatique européenne pour le secteur automobile…
Renault martèle depuis la rentrée dans les médias que les objectifs climat 2025 pour les voitures neuves – à savoir 15 % d’émissions de CO2 en moins en 2025 par rapport à 2020 – sont inatteignables.
Les partis de droite comme certains constructeurs infusent une idée : la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035, actée par l’UE, est impossible à tenir.
Le problème, c’est que l’échéance de 2025 est connue depuis six ans, soit plus que le temps de développement d’une voiture ! Renault a eu de très gros manquements dans le suivi de cet objectif climat et est menacé en 2025 de payer de lourdes amendes. Le pire, c’est que le patron de Renault, Lucas de Meo, est aussi à la tête de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (Acea, lobby européen des constructeurs), et qu’il entretient la confusion en donnant l’impression qu’il parle au nom de l’ensemble du secteur.
D’autres constructeurs affirment être prêts pour 2025 et ont investi en conséquence : ils disent avoir besoin de vision à long terme, de stabilité, et non d’un calendrier mouvant.
En parallèle, la droite et l’extrême droite sont vent debout contre la voiture électrique. La défense de la voiture thermique est devenue un marqueur politique : le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, a même annoncé mercredi 16 octobre, depuis le Mondial de l’auto, qu’il ne votera pas pour le budget 2025, tout en fustigeant les normes écologiques pour les constructeurs…
2025 est une année tournant pour tenir nos objectifs européens d’électrification des voitures. Il y a une grande bataille interne au Parti populaire européen (PPE, parti de droite et premier groupe politique au Parlement européen) pour savoir s’il faut ou pas revenir sur les paliers de réductions des émissions de CO2 moyennes des voitures neuves vendues (− 15 % d’émissions en 2025 donc, et − 55 % en 2030).
Il faudrait revenir sur notre hypermobilité, en redéveloppant des services de proximité.
Ces discours des partis de droite et d’extrême droite, celui de certains constructeurs et de médias qui relaient sans cesse que les délais ne sont pas tenables, que la voiture électrique serait néfaste pour l’environnement, voire que leurs batteries prennent facilement feu, infusent une idée : la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035, actée par l’UE, est impossible à tenir.
In fine, en sabotant cette fin du thermique pour 2035, c’est l’ensemble du Pacte vert européen qui peut être remis en cause.
Vous disiez que l’électrification n’est pas la solution miracle et qu’il fallait aussi de la sobriété. Quelle serait une vraie politique de planification écologique pour sortir de notre dépendance à la voiture thermique ?
La Stratégie nationale bas-carbone, qui est la feuille de route de la France pour lutter contre les dérèglements climatiques, a identifié cinq leviers qu’il faut déployer en même temps.
Il y a notamment l’électrification, mais si elle est indispensable, elle n’est pas suffisante. Elle doit être accompagnée d’une politique qui modère la demande en transport. Il faudrait revenir sur notre hypermobilité, en redéveloppant des services de proximité, en relocalisant des pans de notre économie, mais aussi en revoyant l’aménagement du territoire. Cela veut dire l’arrêt de projets d’infrastructures qui alimentent cette hypermobilité comme les projets d’autoroutes ou de centres commerciaux périphériques.
Il y a aussi le report modal, afin de se passer de la voiture. En 2024, à peine 4 % de nos trajets en France se réalisaient à vélo, alors que pour respecter nos engagements climatiques, on devrait être déjà à 9 %. Cela demande aussi des investissements dans le ferroviaire, notamment pour les trains de nuit ou les TER.
Un autre levier est l’amélioration du taux de remplissage des voitures. Si le covoiturage s’est popularisé pour les longs trajets, il n’est pas encore massifié pour les trajets du quotidien. Enfin, il faut diminuer la consommation énergétique de nos transports : cela passe par l’abaissement de la vitesse autorisée sur autoroute à 110 km/h au lieu de 130, comme par le développement des véhicules intermédiaires tels que les mini-voitures, les triporteurs, etc.
L’association Résistance à l’agression publicitaire a publié le 15 octobre un rapport sur les conséquences néfastes de la publicité automobile, qui perpétue le mythe de la voiture synonyme de liberté, d’innovation ou de grandeur industrielle, à contre-courant de la crise climatique…
La Convention citoyenne pour le climat avait proposé en 2020 l’interdiction de la publicité des voitures les plus polluantes, avant que ce ne soit retoqué par Emmanuel Macron. Et cet imaginaire puissant autour de la voiture continue d’être valorisé quand le président a affirmé en 2023 qu’il « adorait la bagnole ».
Mettre en avant perpétuellement les solutions d’électrification et les projets industriels associés à la voiture invisibilise tous les problèmes sociaux liés à l’automobile comme l’inégal accès à la mobilité selon les territoires ou les revenus, ainsi que tous les impacts en termes de pollution de l’air, de pollution sonore, de manque d’activité physique pour les personnes, de consommation des ressources naturelles.
Quand un Français achète une voiture neuve, il paye en moyenne 1 000 à 1 500 euros de publicité automobile. Les coûts des dépenses de communication du secteur automobile sont énormes.
Cela nous démontre que les engagements volontaires des constructeurs sur la question écologique ne fonctionnent pas. Il nous faut un ensemble de politiques publiques, de normes, de contraintes pour que le secteur automobile réalise urgemment son tournant climatique et intègre la sobriété.
autre article à lire :
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/230
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Cet article part du principe que la voiture électrique est écologique !
Cela va à l’encontre d’une série d’articles paru sur reporterre en 2021
https://reporterre.net/Non-la-voiture-electrique-n-est-pas-ecologique
Par ailleurs, laisser croire que tout le parc automobile doit être électrique est une erreur, bien développée notamment par Célia Izoard dans ses livres. C’est impossible à réaliser, notamment à cause du fait qu’il faudra utiliser – uniquement pour la France – toute la production mondiale de certains métaux rares.
Une autre série de solutions n’a pas été abordée si l’on veut vraiment s’occuper de ce moyen de locomotion : construire des voitures moins lourdes (ce qui n’est pas le cas des voitures électriques, ni, évidemment, des SUV …) ; faire que la consommation en pétrole soit inférieure à 1 litre aux 100 km ; fabriquer des voitures nettement moins rapides. C’est largement faisable, mais ce n’intéresse pas du tout les constructeurs (que ce soit de voitures électriques ou de voitures à combustion).
Il n’est pas suffisamment fait mention sur le déplacement par le train, le vélo ou à pied ; cela devrait permettre aux personnes de s’impliquer dans ce domaine … à condition que les pouvoirs publics et les entreprises s’impliquent véritablement … c’est à dire pas en paroles : en acte !
Il est important de mettre en avant la responsabilité dramatique des pouvoirs publics et des promoteurs. C’est le vrai problème … avant d’aborder le comportement des personnes, qui n’est que la conséquence de la force de persuasion des institutions publiques et privées.