pas de téléphone avant 11 ans…
Des propositions choc pour limiter l’usage chez les enfants
La Voix du Nord a consulté en exclusivité le rapport d’experts commandé par le président de la République qui lui sera remis ce mardi. Intitulé « À la recherche du temps perdu », ce document dresse un constat alarmant et formule des propositions qui incluent des restrictions. Reste à savoir comment le gouvernement s’en saisira.
« On a laissé beaucoup de familles sans mode d’emploi (…). Il faut qu’on ait un consensus scientifique, que les scientifiques commencent à nous donner un plan et qu’on éclaire le débat public qui viendra ensuite », énonçait Emmanuel Macron, entre autres sujets, lors de sa conférence de presse donnée à la mi-janvier.
Dans la foulée, une commission de dix experts a été installée, coprésidée par Servane Mouton, neurologue et Amine Benyamina, psychiatre addictologue. Celle-ci remettra son rapport de 125 pages ce mardi. La Voix du Nord a pu le consulter en exclusivité.
En préambule, les experts soulignent que l’outil numérique permet un accès plus aisé et plus égalitaire à la connaissance. Mais « après trois mois de travaux (1), la commission a acquis la conviction qu’elle devait assumer un discours de vérité pour décrire la réalité de l’hyper connexion subie des enfants et des conséquences pour leur santé, leur développement, leur avenir, pour notre avenir aussi… Celui de notre société, celui de notre civilisation, et peut-être même celui de notre humanité. » Le discours est grave. « La commission a été bousculée » devant « les stratégies de captation de l’attention des enfants » et « alarmée par certaines représentations, de la femme par exemple ».
Les conséquences des écrans sur la santé des enfants restent sujettes à débat. Mais « il se dégage un consensus très net sur les effets négatifs, directs et indirects, des écrans sur (…) le sommeil, la sédentarité » qui favorise le surpoids et l’obésité, et « la myopie ». « Concernant le développement des enfants et de leur cerveau, il convient prioritairement d’être vigilants sur les effets des écrans sur les enfants les plus jeunes », écrivent les experts. « En matière de santé mentale, notamment de dépression et d’anxiété, l’utilisation des réseaux sociaux semble être un facteur de risque lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante ». Enfin « les écrans ne sont pas à l’origine de troubles du neurodéveloppement, dont les troubles de l’attention ou de troubles du spectre de l’autisme, mais une vigilance est requise par rapport à leur usage excessif pour éviter l’amplification de symptômes ».
En revanche, « le niveau d’exposition des enfants et des adolescents à des contenus inappropriés (pornographiques et violents) apparaît alarmant. » Sans compter les mises en danger directes (cyberharcèlement, pédopornographie). Mais, aussi, ce dont on parle moins, la construction d’une société sans imaginaire commun et le risque d’un moindre accès au pluralisme de l’information en raison des algorithmes enfermants.
« Face à la marchandisation de nos enfants, la commission propose de reprendre le contrôle de nos écrans. » Voici ses propositions.
Un âge, un usage
Préconisation des experts : pas d’écran avant trois ans et un accès « fortement limité », « occasionnel », « avec des contenus de qualité éducative et accompagné par un adulte », avant six ans. « Limiter autant que possible l’usage des téléphones portables dans les maternités » et avoir « un usage aussi modéré que possible des télés dans les chambres ». La commission propose d’interdire les jouets connectés destinés aux moins de 6 ans à l’exclusion des boîtes à histoires connectés. Pas d’écran dans les crèches, pas d’ordinateur ni de télévisions dans les classes maternelles. Et la commission suggère des « actions renforcées » auprès des assistantes maternelles pour qu’il n’y ait pas d’écran en la présence des jeunes enfants, même « en fond ».
Pour les plus grands, pas de téléphone avant 11 ans. Entre 11 et 13 ans, la commission recommande d’équiper le jeune d’un téléphone sans internet. À 13 ans, d’un premier smartphone mais sans accès aux réseaux sociaux. Les experts recommandent que la mention « Ne convient pas aux moins de 13 ans » fasse son apparition sur les smartphones et que la déclaration de la date de naissance de l’utilisateur soit prévue lors de l’achat d’un smartphone et de la souscription à un forfait. La commission préconise enfin un soutien politique fort pour accompagner les acteurs à investir sur ce marché en développant des téléphones et des forfaits adaptés aux jeunes en fonction des recommandations par âge.
À partir de 15 ans, pourquoi pas un accès aux réseaux sociaux, mais éthiques, précise la commission. C’est-à-dire des réseaux type Mastodon ou Bluesky, aujourd’hui très peu utilisés.
Lutter contre les « services prédateurs »
Le groupe d’experts appelle à être plus offensif contre les « services prédateurs » des acteurs économiques. Il s’agirait ainsi, à l’instar des médicaments, d’exiger qu’ils démontrent, avant la mise sur le marché, « l’absence d’effet nocif et une balance bénéfice-risque favorable » de leurs algorithmes. D’ores et déjà, insiste le comité, il faut « mettre un terme aux éléments de conception les plus délétères », tels que les mécanismes de « fil de déroulement infini », de « lancement automatique et sans fin » des vidéos ou d’hypernotifications.
En plus d’encourager l’émergence de modèles plus éthiques, le groupe veut imposer aux opérateurs d’offrir la possibilité aux usagers de prendre la main plus facilement sur le paramétrage des fonctionnalités des applications. Les paramétrages par défaut visant à protéger la vie privée, la santé et la sécurité des enfants seraient, eux, renforcés.
Concernant les jeux vidéo, le comité plaide pour une interdiction stricte de la vente en fonction des catégories d’âge, sur le modèle du Royaume-Uni.
Mieux protéger
Le contrôle parental ? Un échec pour les experts, qui relèvent que les acteurs économiques s’en servent cyniquement pour rassurer les parents, sans apprécier l’efficacité réelle. « L’idée serait qu’une seule interface (non liée à une seule plateforme ou un seul opérateur de services) permette de piloter l’ensemble des protections disponibles pour accompagner et protéger son enfant », plaide le rapport. L’ambition, poursuit le rapport, est de soutenir l’émergence d’un modèle économique viable, et garantissant l’accès aux familles de solutions de protection sans charge ni complexité.
Concernant les contenus pornographiques, les experts placent leurs espoirs dans « le déploiement ferme du DSA », le digital service act européen, qui doit permettre de sécuriser l’accès aux sites internet. Mais, insistent-ils, il faut « investir dans le même temps dans la production de ressources adaptées aux questions légitimes des enfants sur leur vie affective et sexuelle » : « repeupler les bibliothèques de romans, de livres pédagogiques ; mettre des ressources à disposition des jeunes en ligne, à la télévision, dans les séries, sur des podcasts »… pour ne pas laisser le terrain libre aux contenus pornographiques.
Former, accompagner, déconnecter
Le groupe d’experts propose de renforcer dès l’école élémentaire l’éducation au numérique et à ses dangers. Mais, au-delà, il juge nécessaire de proposer aux jeunes des mesures pour compenser au maximum certains des effets néfastes des écrans pour la santé.
Sur le sommeil, le rapport invite à des actions fortes de sensibilisation, voire à changer les rythmes scolaires « en repoussant par exemple à 10 heures l’horaire de début des cours au collège et au lycée » pour s’adapter aux besoins physiologiques des jeunes.
Sur le sport, les membres du groupe préconisent d’aller au-delà de l’objectif de 30 minutes par jour pour les moins de 10 ans. Pour lutter contre la myopie, il serait nécessaire, ajoutent-ils, d’accroître les temps en extérieur (au minimum 2 heures par jour).
Plus globalement, le comité milite pour « investir massivement dans le développement de véritables “alternatives” aux écrans », trop souvent considérés comme une « valeur refuge ». Pour ce faire, il s’agirait d’aménager des aires de jeux (sans écran) et de lecture dans tous les lieux d’attente, ainsi que de s’appuyer sur les seniors retraités et bénévoles pour proposer des activités.
Pour les parents, le rapport prône une information plus complète dès la période de grossesse et un temps d’échange « état d’exposition de l’enfant aux écrans » à certaines des étapes clés du parcours de santé.
Enfin, les experts plaident pour un droit à la déconnexion. Cela passerait par la création dans l’espace public, dans les entreprises et dans les bars-restaurants de lieux « zéro connexion ». Et pourquoi pas, questionnent-ils, des rituels de déconnexion à certaines dates ou heures de la journée ?
Et maintenant ?
Les experts du comité doivent être reçus ce mardi à 16 h à l’Élysée par le président de la République. Emmanuel Macron va « s’imprégner des mesures », consent-on à expliquer au Château, sans présumer des suites qui seront données. « Il y aura peut-être des interdictions, des restrictions », y compris sur les contenus, avait cependant averti le président, le 16 janvier.
Plusieurs fois soulevé, le sujet tient à cœur du chef de l’État. Certains ministères pourraient donc être chargés d’étudier les moyens de concrétiser les pistes ouvertes par le rapport, soit sous forme réglementaire soit au travers d’un projet de loi. Les parlementaires, qui pourront auditionner les membres de la commission, auront aussi la possibilité de s’en saisir en vue de propositions de loi.
Sans attendre, certains députés ont commencé. Début avril, les Républicains Annie Genevard et Antoine Vermorel-Marques ont déposé une proposition de loi interdisant toute exposition aux écrans pour les enfants de moins de 3 ans gardés par une assistante maternelle ou en crèche.
(1). La compilation de toute la littérature scientifique et l’audition de 150 jeunes et d’une centaine d’experts
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Commentaire
Un avis sur ce rapport d’experts : il y a dû y avoir beaucoup de compromissions pour arriver aux propositions timorées.
Comme dirait l’article : et maintenant ?
J’aime bien le terme « au château » indiqué dans l’article. On est effectivement dans une royauté.
On attend donc la réponse du château qui risque de faire un peu ou beaucoup comme pour la convention citoyenne pour le climat.
Mais « Plusieurs fois soulevé, le sujet tient à cœur du chef de l’État. » Donc, comme G. Attal l’a suggéré à un moment où il était ministre de l’éducation, on va sûrement limiter l’utilisation du téléphone à l’école, mais pas les écrans ! Surtout pas pronote ! On va résoudre les problèmes grâce à l’IA !!
A noter cette triste nouvelle – mais peu étonnante pour certains : nous (les HdF) sommes les champions du temps d’écran toutes catégories !
On bat largement les bretons et les Nantais ; un peu moins largement les Normands.
BRAVO : cela devrait s’arroser !!!!