Dans le Morbihan, la double peine des électrohypersensibles
Depuis avril, l’Anses mène une étude auprès d’électrohypersensibles volontaires dans le Morbihan. Objectif : aboutir à une définition universelle de ce syndrome mal compris. Retour sur l’errance médicale de ces patients souvent abandonnés, et pris pour des illuminés.
« Je n’avais jamais entendu parler de l’électrohypersensibilité (EHS) ». En juin 2014, la vie de François Contin et son épouse bascule brutalement. À l’époque, le couple de musiciens électro trentenaires, expatriés à Montréal, vit avec le wifi et des téléphones portables. Ce jour-là, un technicien vient leur installer un compteur électrique intelligent fonctionnant au wifi. « À la pose, j’ai failli tomber dans les pommes, raconte François Contin, désormais installé dans un hameau de Bains-sur-Oust (35). Le soir même, je ne pouvais plus dormir, j’avais des nausées, des maux de tête, des acouphènes. J’avais l’impression que toutes mes cellules me disaient « ne reste pas là » ». Pour Bernard Le Padellec, un Arradonnais de 63 ans, les souffrances datent de 1986, quand il se découvre hypersensible à l’électricité.« Je ne pouvais toucher à rien, pas un fer à repasser, pas de perceuse – ça me déclenchait des maux de tête inimaginables pendant plusieurs jours ». Sans solution, il perd son travail de mécanicien auto et sa femme, et s’enlise dans la dépression.
Errance médicale
Certains, comme Stéphanie*, de Pluneret, qui s’est découverte électrohypersensible dans les auberges qui jalonnent les chemins de Compostelle et « n’éteignaient pas le wifi la nuit », ne se tournent pas vers les médecins, persuadés qu’ils ne les aideront pas. « Je n’ai pas d’attentes vis-à-vis de mon généraliste », dit-elle. Elle mise sur un géobiologiste, une spécialité controversée qui utilise, entre autres, la radiesthésie. Bernard Le Padellec, lui aussi, fait sans prescriptions. Il débourse « au minimum 100 € par mois » dans des compléments alimentaires, porte des t-shirts blindés pour sortir mais se tient loin du corps médical, depuis qu‘il l’a envoyé en psychiatrie, en 2000. « Les médecins m’ont dit « c’est dans votre imagination, ça n’existe pas. Je suis très en colère de ça ». 18 ans plus tard, dans son rapport de mars 2018, l’Anses estime que les EHS sont « plus anxieux et déprimés. (…) Il n’est pas possible de déterminer si cette anxiété et/ou cette dépression -des réactions communes à la plupart des maladies graves ou rares- sont la cause ou la conséquence des symptômes ressentis ».
« La dépression fait partie de mes symptômes », confirme François Contin. À Montréal, il a enchaîné « les consultations à 400 €. Mon médecin traitant n’a rien dit, il était mal à l’aise ». En 2015, il trouve enfin un praticien qui l’écoute, le Pr. Belpomme, à Paris, qui a été interdit d’exercice pendant un an, début février, pour ses activités de diagnostic des électrohypersensibles, d’après l’agence de presse médicale APM News. « C’était la première fois que je voyais un médecin qui reconnaissait le truc. Ça faisait du bien ». Le protocole Belpomme à base de compléments alimentaires et vitamines le soulage un temps. Las, en 2018, de nouveaux voisins arrivent « avec leurs trucs sans fil ». « C’est là que les brûlures sont arrivées – toute l’oreille et tout l’occiput, parfois aussi tous les membres et le dos. J’évalue cette douleur à 8/10 ».
Travailleur handicapé
Le couple décide, à contrecœur, d‘abandonner Montréal et de s’installer en campagne bretonne, en zone blanche. « On a passé les premiers mois sans électricité. Je pensais que j’allais mourir, tout était insupportable, même un aspirateur ». Il se stabilise, en consacrant jusqu’à quatre heures à la méditation et au sport, puis reprend son travail de prof de musique à mi-temps. En mars 2020, le professeur Tripodi, à Nantes, lui fait passer des tests neurologiques, moteurs, des tests d’équilibre. « Ça m’a permis d’être reconnu comme travailleur handicapé, même si ça a mis plus d’un an – mon taux d’incapacité était insuffisant. Sauf que ce n’est jamais vérifié par un médecin. On a fait une réclamation et on a fini par l’avoir ». Bernard Le Padellec a mené un combat similaire, obtenant, en 2020, le complément de ressource à l’AAH grâce à « un médecin expert qui connaissait l’EHS et qui avait déjà eu d’autres cas avant moi ». Pour les deux, ces décisions viennent rectifier un long historique d’errance médicale. Même s’ils doivent constamment se justifier. « C’est compliqué de faire l’annonce -tu es bizarre, tu es à part, estime François Contin. Mais en même temps, il n’y a que comme ça que ça marche ».
Pour participer à l’étude de l’Anses : ehs.sepia@gmail.com ; tél. 07 88 49 70 73.
Journal « le télégramme » du 6 juin 2023
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*le prénom a été modifié