Transports en Occitanie

Une appli suit les usagers à la trace

Pour bénéficier de tarifs préférentiels dans ses transports publics, la région Occitanie incite à utiliser une application créée par une start-up suisse qui repose sur la géolocalisation de ses utilisateurs.

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À voir les bouchons sur le périphérique toulousain un lundi matin, on ne dirait pas. Pourtant, l’Occitanie est, à sa manière, à la pointe en matière de transports publics. C’est la première région de France à avoir adopté Fairtiq, une application pour smartphone créée par une start-up suisse. Le principe est simple : plus besoin de prendre un billet, vous êtes géolocalisé pendant tout votre trajet. L’appli sait dans quel train ou car vous êtes monté et achète automatiquement un titre de transport, sous la forme d’un QR code que vous présentez au contrôleur. Testée depuis 2021 et généralisée sans réelle concertation en 2023, cette application comptait alors 57 000 utilisateurs.

La Région incite à utiliser cette option qui a remplacé les cartes de fidélité en promettant des prix cassés à ses utilisateurs. Par exemple, les jeunes de 12 à 26 ans géolocalisés par Fairtiq ont droit à des trajets à moitié prix, qui deviennent gratuits à partir du dixième trajet dans le mois. Les personnes n’utilisant pas l’application, elles, peuvent acheter des billets comme elles le faisaient avant, mais ils ne sont ni échangeables, ni remboursables en cas de suppression ou de retard de train.

Le collectif Écran total, qui dénonce les impacts du numérique sur la qualité des services publics et le travail, exige la suppression de cette politique tarifaire « discriminatoire ». « Les personnes qui refusent d’avoir une laisse numérique sont discriminées », dénonce le collectif.

« Rupture d’égalité face aux services publics »

« Pourquoi ceux qui n’ont pas de smartphone doivent-ils payer plus cher pour se déplacer ? » s’interroge Hélène, maraîchère, alors que 13 % des Français ne possèdent pas d’appareil de ce type. Lundi 12 mai, à l’appel d’Écran total Occitanie, elle a rejoint une vingtaine de personnes, rassemblées dans les locaux de la Maison de la Région, à Montauban (Tarn-et-Garonne). Des délégations de l’association avaient auparavant été reçues deux fois par la Région à la suite d’occupations de locaux.

La plupart des personnes présentes étaient des parents, qui voudraient que leurs enfants passent le plus d’années possible sans smartphone. « La santé mentale des ados s’est effondrée depuis les années 2010, avec l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux », rappelle Blaise, électricien venu du Lot.

« Technologie orwellienne »

Dans le hall, des personnels d’accueil plutôt bienveillants écoutent sans répondre sur le fond, « devoir de réserve » oblige. Au-dessus de leurs têtes, un écran diffuse en boucle des clips réalisés par la région Occitanie. Alternent des invitations à flasher des QR codes et… des films de prévention contre l’addiction au smartphone, dans lesquels des ados scotchés à leur écran meurent faute d’avoir regardé où ils marchaient. Dans les transports, justement. Dans le premier clip, une jeune fille passe sous un bus, dans le second un garçon est écrasé par un train.

« C’est fou ce double discours ! » sourit Arnaud, qui coordonne un tiers-lieu dans un village. Pour lui, « Fairtiq introduit une rupture d’égalité face aux services publics. Tout le monde devrait être logé à la même enseigne ». Matthieu, éditeur dans le Tarn, interpelle les employés de la Région sur cette « technologie orwellienne » : « Quand l’Union soviétique surveillait tous les déplacements, on appelait ça du totalitarisme, mais quand c’est Carole Delga, tout le monde sourit ? »

En 2018, aux premières heures de la « start-up Nation », dans son rapport sur l’intelligence artificielle, le député Cédric Villani écrivait que le rôle de la puissance publique était de « mettre en place de nouveaux moyens de collecte de données » pour favoriser l’émergence de « licornes » européennes. De fait, en conditionnant les bas tarifs à l’usage d’une appli de géolocalisation, la région Occitanie a ouvert un gigantesque marché de données de mobilité à cette start-up suisse.

Une offre TER « insuffisante »

Une plainte a été déposée contre la Région en 2024 par un particulier auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, contestant la « violation de la protection des données personnelles » induite par Fairtiq, rapporte Médiacités. La start-up affiche une gestion éthique des données, mais les exploite à des fins de marketing et pour aider ses clients à « augmenter leurs revenus ».

« Il y a des applis, mais où sont les dessertes en zone rurale ? »

Jean-Luc Gibelin, conseiller régional (Parti communiste) chargé des mobilités, assure que l’objectif de Fairtiq est de rendre les transports publics « plus attractifs ». « Fairtiq est une incitation aux transports en commun, pas au smartphone », fait valoir auprès de Reporterre le service communication de la Région.

« La Région investit dans le numérique plus que dans les transports en commun, commente une conseillère municipale des environs, présente au rassemblement d’Écran total. Il y a des applis, mais où sont les dessertes en zone rurale ? » Rapportée à ses taux de fréquentation, l’offre ferroviaire en Occitanie serait l’une des plus insuffisantes de France, rapporte Le Monde.

reporterre.net