Pourquoi, malgré l’ouverture à la concurrence ?
La version du journal « les échos »
Les prix de l’électricité ont, pour les clients d’EDF et d’autres fournisseurs, de nouveau augmenté cet hiver. Cette hausse paraît a priori contraire aux promesses de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie. Qu’est-ce qui a causé cette augmentation ?.
La promesse principale de l’ouverture à la concurrence, qui a démarré en France au début des années 2000, était de faire baisser les prix de l’énergie.
Les tarifs réglementés de l’électricité ont une nouvelle fois augmenté le 1er février, de 1,6 % en moyenne. La facture des consommateurs devrait grimper de 15 euros par an, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ce n’est pas la première fois que ces prix augmentent : le 1er juin 2019, une hausse massive de près de 6 % avait fait scandale, quelques mois après la crise des gilets jaunes. L’an dernier, les tarifs avaient de nouveau augmenté, une première fois en janvier et de nouveau en juillet .
Comme dans les télécoms, certains attendaient de l’ouverture à la concurrence dans l’électricité une certaine baisse des prix pour les consommateurs. Pourtant, depuis le début des années 2000, les prix de l’électricité ont largement augmenté, progressant de 50 % environ entre 2007 et 2020, selon l’Insee. Nos explications dans CQFD.
- De quoi parle-t-on quand on dit que les prix augmentent ?
« Quand on parle des prix de l’électricité, on parle en réalité surtout du tarif bleu d’EDF », explique Julien Teddé, qui dirige le courtier Opéra Energie. Ce tarif bleu concerne encore 70 % des Français. Reliquat du temps où EDF était le seul fournisseur d’électricité en France, il reste apprécié des consommateurs, même s’ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les fournisseurs alternatifs. Les prix des fournisseurs alternatifs sont généralement indexés à ce tarif bleu qui tient en quelque sorte le rôle de taux directeur.
Ce tarif bleu est calculé à partir des coûts des fournisseurs alternatifs d’électricité et fixé par le gouvernement. Pour calculer ce tarif réglementé de l’électricité plusieurs éléments sont pris en compte : le prix de gros de l’électricité, déterminé par les marchés européens, mais aussi les taxes et le coût du transport de l’électricité jusqu’aux clients particuliers. « Les coûts des fournisseurs alternatifs sont composés approximativement d’un tiers de taxes, d’un tiers de production et de commercialisation et d’un tiers de transport et de distribution », résume Julien Teddé.
Electricité : le régulateur recommande une hausse des prix de 1,6 %
- Quelles sont les causes de cette augmentation ?
Le poids de la fiscalité est l’une des raisons qui explique la hausse des prix. « Une énorme partie de l’augmentation du budget consacré à l’électricité avant 2016 s’explique par la hausse d’une taxe, la CSPE », créée à l’origine pour soutenir le développement des énergies renouvelables, note l’expert. Mais cette taxe est restée stable depuis quelques années. Elle n’explique donc pas les hausses les plus récentes.
Cet hiver, la hausse des prix est principalement due à la crise sanitaire. Le confinement au printemps a en effet entraîné un décalage du programme de maintenance des centrales nucléaires françaises et réduit largement leur disponibilité pour produire au moment où la consommation est la plus forte, c’est-à-dire en hiver.
C’est par le biais du marché de capacité que ces difficultés se répercutent sur le prix payé par le consommateur. Créé en 2017, ce marché est « une assurance anti-blackout », explique Julien Teddé. « On ne veut pas que les centrales ferment, même les centrales au gaz ou au charbon [dont les coûts opérationnels sont plus élevés], donc on va leur donner un revenu en plus, un loyer pour maintenir leur centrale en fonctionnement. »
Ce sont les fournisseurs qui paient cette somme aux producteurs d’électricité, selon des modalités définies par l’Etat. Ils la répercutent ensuite sur les factures des consommateurs. Le prix sur ce marché de capacité a « complètement explosé depuis 2017 », puisqu’il a presque été multiplié par quatre en quatre ans, ajoute Julien Teddé. C’est notamment le cas cette année en raison de la faible disponibilité des centrales nucléaires.
Un autre mécanisme mis en place par l’Etat explique en partie la hausse des coûts : les contrats d’économie d’énergie (CEE). Selon Julien Teddé, leur principe est simple. « L’Etat veut pousser le dealer (l’énergéticien) à faire baisser la consommation de drogue (l’énergie). » Les fournisseurs d’électricité sont obligés de financer des travaux de rénovation énergétique. S’ils ne parviennent pas à atteindre leur cible, ils peuvent acheter des certificats d’économies d’énergie à des acteurs spécialisés. En limitant le nombre de certificats créés, l’Etat a fait grimper le prix de ces derniers.
Les consommateurs français doivent aussi payer le coût du transport de l’électricité entre les lieux où elle est produite et leur domicile. Les énergies renouvelables sont plus éparpillées sur le territoire français que les centrales nucléaires. Leur raccordement au réseau d’électricité ainsi que la multiplication des bornes de recharge pour véhicules électriques expliquent en grande partie l’augmentation des coûts de transport. Cette part du tarif va augmenter en moyenne de 1,39 % par an d’ici à 2024.
- Quel rôle joue la concurrence dans tout ça ?
La concurrence entre les fournisseurs d’électricité ne joue donc à proprement parler que sur un tiers de la facture, celle qui rémunère l’achat d’électrons, mais elle fait aussi paradoxalement augmenter les prix. Le fameux tarif bleu d’EDF est en effet basé sur une estimation des coûts de ses concurrents, les fournisseurs alternatifs.
Ces derniers peuvent au choix acheter de l’électricité sur les marchés de gros européens, où les prix sont soumis aux variations du coût du CO2 et des prix des matières premières comme le gaz ou dans une moindre mesure le pétrole. Ou acheter de l’électricité nucléaire à EDF qui, via un mécanisme de quotas (Arenh – Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), met à disposition de la concurrence un tiers de sa production au prix de 42 euros du mégawattheure.
Dans la configuration de prix actuelle, cette dernière option est de loin la plus attractive. Mais plus la concurrence est forte, plus les quotas de nucléaire mis sur le marché par EDF sont saturés. En conséquence, les fournisseurs doivent aussi acheter de l’électricité sur les marchés européens, où les prix sont tirés à la hausse par la progression des prix du CO2. Un mécanisme qui a joué à plein en 2019, entraînant une hausse des prix de près de 6 %.
- Quelle est la situation ailleurs en Europe ?
La situation française est très particulière à cause du poids d’EDF, le premier producteur européen d’électricité, et de la prédominance du nucléaire. Dans d’autres pays d’Europe, la production est beaucoup moins concentrée entre les mains d’un seul acteur. La concurrence entre fournisseurs y est souvent plus avancée. Pour autant, on n’observe pas de chute des prix liée à la concurrence. Selon Eurostat, les prix hors taxes, payés par les particuliers, sont restés à peu près stables depuis 2008 , autour de 0,12 euro le kilowattheure. La fiscalité explique, en grande partie, les différences de prix entre les pays d’Europe.
lesechos.fr