Les jeunes enfants, les adolescents et les écrans

Il est d’abord utile de définir précisément de quels écrans et quelles sont les utilisations de ceux-ci qui font problème.

En effet la critique du numérique et de ses conséquences sur les enfants ne peut se satisfaire de généralisations abusives et d’approximations au risque de perdre en crédibilité. Ce qui serait un comble lorsque l’on connaît la réalité des dégâts provoqués.

La diversité des écrans et leur développement dans tous les domaines de la vie, leur associations à des artefacts qui jusque-là s’en étaient passé sans dommage et leur présence aujourd’hui incontournable, sur chacun des nouveaux objets produits par la démesure capitaliste, donne une idée de l’envahissement du numérique dans notre environnement et dessine une modification de nos modes de vie et de nos sociétés à marche forcée, en dehors de toute consultation, délibération, et à fortiori de décisions citoyennes.

Nous ne sommes pas opposés au numérique par principe, certaines de ses utilisations sont et restent utiles, et sous réserve de respecter quelques règles de base, ne présentent pas de risques majeurs. Il existe, n’en doutons pas des usages positifs du numérique et des ordinateurs. Nous utilisons nous mêmes les ordinateurs, internet, pour écrire, documenter, communiquer, par exemple. En revanche les usages négatifs l’emportent massivement notamment chez les jeunes. Toutes les études montrent

que les usages récréatifs : films, dessins animés, jeux vidéos, réseau sociaux qui on le verra, ont des effets gravissimes sur l’apprentissage et le développement de la personnalité, représentent plus de 90 % du temps d’utilisation des écrans par les jeunes générations. Le rapport entre l’utilisation des écrans pour faire les devoirs d’une part et pour se distraire d’autre part est de 1 à 13.

Le smart phone, la tablette, la console de jeux, dans une moindre mesure l’ordinateur sont les vecteurs de ces usages, mais apparaissent bientôt avec la 5 et 6G, les objets connectés qui vont venir parfaire le dispositif et occuper ce qui reste de temps de cerveau disponible.

Le diagnostic qui suit est largement partagé par la communauté scientifique. Plus de 6000 études publiées (en anglais) démontrant le lien entre surexposition aux écrans et les troubles listés ci après.

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/

Voir ici résultat de la recherche

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/?term=screen+time+childreen

– Troubles de l’attention et de l’apprentissage

L’attention volontaire ou dirigée ou focalisée, supplantée par l’attention réflexe ou captée.

Les écrans stimulent l’attention réflexe au détriment de l’attention focalisée. L’attention focalisée se construit grâce à la qualité de la relation avec les parents : les interactions, le regard etc.

Si l’enfant est régulièrement devant un écran ou si les parents eux-mêmes regardent plus souvent leur téléphone portable que lui, cette attention ne se développera pas

L’attention volontaire est celle qui permet l’apprentissage et la compréhension du monde . Sans elle cela devient impossible. Le développement intellectuel et moteur en sera plus ou moins gravement affecté.

Selon Michel Desmurget dans son ouvrage« La fabrique du crétin digital », il a été démontré que nos neurones réagissent de manière importante à une information donnée directement par une personne, alors qu’à travers un écran, il y a très peu de réaction neuronale. L’exemple donné est celui d’un enfant en bas âge dans l’apprentissage des couleurs : si une personne lui montre la couleur verte, par exemple, l’enfant intègre la couleur au bout de 3 ou 4 répétitions. Si c’est par le biais d’un programme éducatif sur un écran, il faut environ 50 à 60 répétitions pour qu’il l’intègre !

Se poser la question suivante : est-ce que ce processus de numérisation de l’enseignement éduque, avec un avantage par rapport aux systèmes traditionnels (livres, enseignants) ?

– Troubles du langage. Pour acquérir correctement son vocabulaire l’enfant a besoin du regard et de l’intention d’une personne en face de lui.

– Troubles du sommeil. Au delà de 2h par jour devant un écran la durée du sommeil et sa qualité sont affectées.

– Intolérance à la frustration et à l’effort, confusion entre satisfaction du désir et du plaisir avec satisfaction des besoins. Les conséquences en sont souvent l’apparition de troubles de la personnalité

– Problèmes de surpoids. Passer du temps devant un écran = diminution ou disparition de l’activité physique

– Addiction. Toutes les observations montrent un phénomène d’addiction aux écrans, certains enfants y consacrant plusieurs heures (4 à 8 heures par jour. En moyenne 3h30 chez les plus jeunes et 6h30 chez les ados) qui entraîne une déconnexion de la vie sociale et des relations humaines. La réalité disparaissant au profit du spectacle virtuel. Développement de symptômes névrotiques comme la nomophobie (peur de perdre ou de ne pas pouvoir utiliser son mobile).

– Troubles de la relation. Passer le quart de son temps d’éveil devant un écran ne peut se faire qu’au détriment d’autres activités non contraintes, activités physiques, relations sociales, relations parents enfants, temps de repos, jeux …

Chez les ados :

– Mal-être

– Dépression

– Tentative de suicide

– Difficultés scolaires.

Les psychiatres ont rassemblé certains de ces symptômes sous un vocable commun, le syndrome EPÉE (Exposition Précoce et Excessive aux Écrans), trouble de la communication et de la relation qui peut être confondu avec l’autisme.

Là encore, mise face à une réalité extrêmement préoccupante, la montagne accouche d’une souris et on refile le bébé aux médecins aux pédopsychiatres, comme si la médecine pouvait traiter les problèmes sociétaux. Ceci fait immanquablement penser à la psychiatrisation des opposants par les régimes autoritaires.

La résolution 1815 Conseil de l’Europe 2011

Cette résolution traite essentiellement des problèmes de santé. Elle relève déjà en 2011 l’essentiel de la problématique relative à ce champ et émet 22 recommandations. La mise en œuvre de quelques-unes d’entre-elles aurait suffit à modifier profondément le paysage en matière de pollution électromagnétique.

Je ne citerai que celles qui me semble les plus emblématiques

8.1. de manière générale

– 8.1.2. De revoir les fondements scientifiques des normes actuelles d’exposition aux champs électromagnétiques fixées par la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (International Commission on Non-Ionising Radiation Protection), qui présentent de graves faiblesses, et d’appliquer le principe «ALARA»,(Aussi bas que raisonnablement possible) à la fois pour ce qui est des effets thermiques et des effets athermiques ou biologiques des émissions ou rayonnements électromagnétiques ;

– 8.1.3. De mettre en place des campagnes d’information et de sensibilisation aux risques d’effets biologiques potentiellement nocifs à long terme pour l’environnement et la santé humaine, en particulier à destination des enfants, des adolescents et des jeunes en âge de procréer ;

– 8.1.4. De porter une attention particulière aux personnes «électrosensibles» atteintes du syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques et de prendre des mesures spéciales pour les protéger, en créant par exemple des «zones blanches» non couvertes par les réseaux sans fil.

8.2. S’agissant de l’utilisation individuelle du téléphone portable, du téléphone sans fil DECT, du Wi-Fi, du WLAN et du WIMAX pour les ordinateurs et autres applications sans fil, par exemple les interphones pour la surveillance des bébés :

– 8.2.1. De fixer un seuil de prévention pour les niveaux d’exposition à long terme aux micro-ondes en intérieur, conformément au principe de précaution, ne dépassant par 0,6 Volt par mètre, et de le ramener à moyen terme à 0,2 Volt par mètre.

8.3. S’agissant de la protection des enfants

– 8.3.1. De concevoir, avec différents ministères (Éducation, Environnement et Santé) des campagnes d’information ciblées destinées aux enseignants, aux parents et aux enfants, pour les mettre en garde contre les risques spécifiques d’une utilisation précoce, inconsidérée et prolongée des téléphones portables et autres appareils émettant des micro-ondes

– 8.3.2. De privilégier pour les enfants en général, et plus particulièrement dans les écoles et salles de classe, des systèmes d’accès à l’internet par connexion filaire et de réglementer de façon stricte l’utilisation du portable par les élèves dans l’enceinte de l’école;

8.4. S’agissant de la planification des lignes électriques et des stations de base des antennes-relais

– 8.4.3. D’abaisser les seuils admissibles pour les antennes-relais, conformément au principe ALARA, (Aussi bas que raisonnablement possible) et d’installer des systèmes de surveillance globale et continue de toutes les antennes;

Il va sans dire qu’aucune de ces recommandations n’a été sérieusement mise en œuvre.

La captation des données personnelles

Espionnage de l’activité des enfants par les Gouvernements (voir étude de HRW : Children’s Rights Violations by Governments. That Endorsed Online Learning During the Covid-19 Pandemic. Violations des droits de l’enfant par les gouvernements, qui ont approuvé l’apprentissage en ligne pendant la pandémie de Covid-19)

Ce que montre ce rapport est très inquiétant.

« Sur les 164 produits de EdTech examinés, 146 (89 %) étaient impliqués dans des pratiques relatives aux données qui mettent en danger les droits des enfants, contribuant à les affaiblir ou violant activement ces droits, constate le rapport. Ces produits surveillaient les enfants, secrètement et sans le consentement de leurs parents, collectant des données sur qui ils sont, où ils sont, ce qu’ils font en classe, qui sont leurs familles et leurs amis et quel type d’appareil leur famille pouvait se permettre de leur offrir. »(Jérôme Hourdeaux)

La période du Covid fut extrêmement profitable pour imposer des programmes éducatifs et des plates formes d’enseignement dont la plupart (89%) pratiquèrent le vol de données. Cette période pendant laquelle les enfants et leurs parents, à quelques exceptions près, furent captifs du numérique et des écrans pour continuer à « bénéficier » d’un enseignement contribua fortement à aggraver l’addiction aux écrans jusqu’à les rendre incontournables dans tous les domaines de la vie, d’abord pour les plus jeunes puis pour les générations précédentes soumise massivement au travail à domicile.

Les enfants sont une proie pour les GAFAM et les entreprises du Big Data.

Le Smart phone acquis, l’enfant se retrouve seul, sur un territoire inconnu, potentiellement dangereux alors qu’il ne dispose pas encore des capacités cognitives pour prendre suffisamment de recul face à ce qu’il y trouve. A quelle meilleure cible pourraient rêver les publicitaires, les marchands et influenceurs de tout acabit. Une pâte molle scannée 24h sur 24 dans ses moindres recoins qui ne dispose d’aucune formation critique, et qui sera gavée comme une oie de produits inutiles. Il sera lui même un ardent défenseur de l’objet de son aliénation. Il ne connaît rien d’autre,

celui-ci prend toute la place, tout le temps et tout le cerveau. Pour un nombre toujours croissant d’enfants, il ne sera bientôt plus d’autre réalité que celle des écrans !

Ce constat effrayant ne semble pas faire l’objet d’une prise de conscience à la hauteur de l’enjeu et par voie de conséquences de réactions adaptées. Doit-on formuler des propositions d’adaptation au numérique en mettant l’accent sur les risques encourus par les enfants lorsqu’ils visionnent des films à caractère violents ou pornographiques ? Ces créneaux sont largement investis par des groupes qui vendent de la sécurité numérique, et repris par quelques associations, en occultant ou minimisant volontairement les problématiques santé, troubles du développement cognitif, captation des données privées…

L’étude Kaspersky illustre cette posture :

https://www.kaspersky.fr/about/press-releases/20

L’accent est mis sur les dangers d’internet. Images violentes, pornographie, cyber-harcèlement Certains des constats de cette étude sont toutefois intéressants à noter : Près d’un parent sur deux (47%) affirme également que leur enfant est beaucoup moins sociable depuis qu’il a un smartphone, et 55% qu’il maîtrise mieux cet outil qu’eux.

Ce qui est également remarquable dans cette « étude » c’est la naïveté feinte ou non avec laquelle sont décris les risques dont peuvent être victime les enfants. « Avec la démultiplication des usages numériques, les enfants sont surexposés aux cyber-menaces : harcèlement, chantage, pornographie, ultra violence, escroqueries, défis sordides, désinformation, embrigadement… Cette triste réalité peut avoir des conséquences importantes et parfois même traumatisantes sur cette population

fragile. Les issues à cette situation ne peuvent pas être seulement répressives. Que ce soit pour les enfants dès le plus jeune âge, mais également pour leurs parents qui sont parfois désarmés, la sensibilisation aux risques de la sphère numérique et l’éducation au discernement et aux bonnes pratiques à adopter pour y faire face est de la responsabilité de chacun pour préserver nos jeunes et bâtir ensemble un monde numérique cyber-responsable.» commente Amandine Del Amo, chargée de mission partenariats au GIP ACYMA, Cybermalveillance.gouv.fr.

La question de la perte d’attention consécutive à l’utilisation des écrans par les enfant n’est pas le moins du monde évoquée. Nous sommes dans une logique de réparation des excès par des solutions technologiques, commercialisées par Kaspersky et ses concurrents, et quelquefois par la formulation de vœux pieux tels que « la responsabilité de chacun ».

Les droits élémentaires des enfants sont bafoués

L’observation de la colonisation de la vie par le numérique doit nous amener à distinguer quatre grands domaines au moins, de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et mentale de l’enfant, mais également de l’être humain

1/ La santé

2/ Les contenus problématiques

3/ L’obstruction au développement cognitif de l’enfant. La colonisation de l‘espace mental

4/ La production de l’homme machine déconnecté de la réalité contemplant à l’infini la

marchandise et la valeur d’échange.

Les questions de santé peuvent en partie, au moins en ce qui ne concerne pas les smart phone, trouver des solutions technologiques pour mettre à l’écart les enfants de l’exposition électromagnétique à l’école. (Voir campagne espagnole « École en bonne santé, Internet uniquement par câble »).

Si l’on considère que les enfants, même s’ils passent la plus grande partie de leur temps d’éveil en classe, fréquentent également l’ensemble de l’espace public, les mesures d’interdiction du wifi, wimax, notamment, pourraient être étendues dans les médiathèques, piscines, lieux culturels, café etc. Mesures qui bénéficieraient à l’ensemble de la population.

Les contenus problématiques quant à eux sont le plus souvent mis en avant et présentés comme étant ceux contre lesquels sont mobilisés les moyens de l’État, occultant totalement ou en partie les autres questions. Ils n’en restent pas pour autant très préoccupants dans la mesure ou ils contribuent à façonner chez les jeunes générations une vision du monde dans laquelle la violence est banalisée et la femme est un objet. Faut-il au nom de la « liberté du commerce », de la « libre concurrence »

et autres billevesées, s’en tenir à des incantations comme l’éducation des jeunes et des parents aux « bonnes pratiques » et bons usages d’internet ?

L’obstruction au développement cognitif de l’enfant. La colonisation de l‘espace mental et de l’espace temps par les usages récréatifs délétères des écrans ne connaît plus de limites. Mais qu’en est-il des programmes et des jeux éducatifs ? La numérisation de l’enseignement porté par les gouvernements qui se sont succédé depuis 30 ans et qui connaît aujourd’hui une accélération alarmante ne répond en réalité à aucune stratégie pédagogique. Au contraire elle va à l’encontre de tous les retours d’expériences, de tous les résultats d’études portant sur l’utilisation des écrans dans l’enseignement primaire et secondaire qui concluent à l’inefficacité de ces méthodes. Ce qui n’empêche pas les Présidents de Conseil Départemental ou Régional de faire pleuvoir, avec la bénédiction de l’Éducation Nationale, tablettes et ordinateurs sur les élèves et collégiens, tout cela au nom du progrès !

Est-il nécessaire de rappeler que les enfants des patrons des GAFAM sont interdits d’écrans par leurs parents jusqu’à l’adolescence !

La production de l’homme machine déconnecté de la réalité contemplant à l’infini la marchandise et la valeur d’échange.

Le statut du numérique, peut-être devrions nous dire la statue du numérique, occupe aujourd’hui la place centrale et ne cesse de s’étendre et de se reproduire là ou existe une possibilité de croissance et de profit. La vie toute entière est colonisée puis soumise à la loi du QR-code. Ceci s’accompagne d’une disparition progressive des liens sociaux, des valeurs qui font société. Le consommateur déjà dépossédé de conscience est désormais privé de vie, il est une marchandise.

Conclusion provisoire et pistes de réflexion

Si l’on constate un relatif consensus sur les diagnostics, en revanche la plupart des acteurs qui interviennent dans ce champ privilégient la question des contenus problématiques, et tentent d’apporter des solutions techniques et tarifées à leurs résolutions. La mise en évidence de cette question ayant également pour effet de minimiser les 3 autres domaines.

Si les conséquences sur la santé fait l’objet de très nombreuses études et d’une mobilisation toujours plus grande d’une partie de la communauté scientifique, des EHS et de leurs amis, il reste encore aujourd’hui dominé par le lobby des opérateurs qui continuent à fixer les règles. On l’a vu, l’application par les États des recommandations de la résolution 1815 du Conseil de l’Europe modifierait substantiellement la situation et apporterait un début de réponse aux préoccupations sanitaires.

Les questions relatives au développement cognitif font l’objet quant à elles, d’une captation par la médecine et les disciplines dont le nom se termine en « ogue » qui prétendent régler une question d’ordre politique par une prise en charge individuelle également tarifée.

Enfin le dernier point qui tente d’appréhender une vision globale de cette problématique n’est à ce jour partagé que par une infime minorité d’esprits que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de « dérangés ».

De manière générale, les analyses évacuent systématiquement la possibilité d’une critique globale et se concentrent sur les pansements et les moyens de limiter les dégâts qui relèvent le plus souvent du vœux pieux. Nous restons dans le consumérisme et les « conseils pratiques, les solutions adaptées et les bonnes pratiques. » Le dépliant de « l’ARCOM » illustre cette religion du vœux pieux et du lieux commun réunis. On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait que rien ne change.

Sans pour autant considérer ces propositions comme nulles et non avenues, il faut considérer qu’elles ne s’adressent en réalité qu’à une très petite partie de la population des parents d’élèves, membres des classes moyennes et moyennes supérieures d’un haut niveau culturel et ayant conservé de surcroît un minimum d’autorité parentale.

Que faut-il penser d’un monde dans lequel seule une petite fraction des individus qui le compose saura et pourra se protéger des effets destructeurs d’une technologie qui va contribuer à soumettre tous les autres, et dont la cible principale, parce que la plus malléable et la plus vulnérable est la jeunesse ?

Quelles voies et moyens adopter qui puissent faire changer cela ?

Dominique Humbert