Elles échappent à la contestation écolo
Elles sont pourtant voraces en eau et en électricité
Les usines de production de batteries du Dunkerquois pourraient consommer autant d’électricité qu’une ville de plus de 500 000 habitants et risquent de manquer d’eau à terme.
Mais curieusement, elles n’ont pas suscité jusqu’ici de véritables mouvements de protestation comme ça a pu être le cas en Allemagne ou pour d’autres grandes infrastructures en France.
L’usine d’ACC, la joint-venture de Stellantis, Total et Mercedes Benz à Billy-Berclau/Douvrin pourrait consommer autant d’électricité qu’une ville de 485 000 habitants, selon Thomas Jodarewski, animateur de l’Association pour la suppression des pollutions industrielles.
En Allemagne, la population locale a manifesté contre le projet d’agrandissement de l’usine Tesla.
Malheureusement, ici, les préoccupations environnementales sont sacrifiées au nom du retour à l’emploi. » Ce constat désabusé est celui de Thomas Jodarewski, animateur de l’Association pour la suppression des pollutions industrielles (ASPI). Il s’exprimait à l’occasion d’une soirée organisée,
fin mars, dans un café lillois sur le thème de la « relance nucléaire et électromobile » dans la région Hauts‐de‐France.
Au centre des discussions, « le soutien politique à cette relance » mais aussi… « l’indifférence militante ». Une indifférence quelque peu étonnante dans un pays qui a connu les mobilisations que l’on sait contre l’aéroport Notre‐Dame‐des‐Landes et qui en connaît encore de fameuses contre l’A 69 ou les méga bassines. Thomas Jodarewski met pour sa part en cause « le greenwashing orchestré avec la complicité des médias ». La bataille pour l’emploi prime par ailleurs souvent sur toute autre considération. Les quelque 20 000 créations d’emplois promises d’ici 2030 grâce aux gigafactories ont de quoi faire réfléchir, jusque dans les rangs des élus écologistes, comme nous le verrons plus loin.
Quoi qu’il en soit, le combat contre ces usines géantes de batteries électriques ne semble pas faire recette. Ce soir-là, dans le café lillois, à peine une douzaine de personnes s’étaient déplacées. Et ce malgré la présence de l’avocate Muriel Ruef, célèbre défenseuse locale des causes environnementales.
Des consommations électriques « monstrueuses »
Pour Thomas Jodarewski, il y a pourtant matière à s’inquiéter. « Les consommations électriques annoncées sont monstrueuses, dénonce‐t‐il. Rien que pour le site de la société chinoise Envision, près de Douai, on est à une consommation équivalente à une ville de 860 000 habitants, soit Marseille. Quant à l’usine d’ACC, la joint-venture de Stellantis, Total et Mercedes Benz à Douvrin, elle va consommer autant qu’une ville de 485 000 habitants. » Sans compter, ajoute‐t‐il, « toutes ces anciennes usines, qui, sous couvert de décarbonation, passent à l’électrique. »
Avec ses 60 000 m² d’atelier, la gigafactory ACC de Billy‐Berclau‐Douvrin est la première à avoir été inaugurée en mai 2023.
Le Dunkerquois, avec deux gigafactories et des industriels « électro‐intensifs » comme ArcelorMittal ou Aluminium Dunkerque, illustre parfaitement les problèmes posés par cette explosion de la consommation. « La demande va être multipliée par trois, confirme Cyril Wagner, directeur adjoint du centre de développement‐ingénierie de Lille chez RTE Hauts‐de‐France, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité dans la région. En 2040, les prévisions annoncent 4500 mégawatts supplémentaires. C’est comme si 4,5 millions de personnes en plus de la population actuelle s’installaient sur le Dunkerquois. »
De quoi faire s’interroger jusqu’à Frédéric Motte, président de la mission Rev3, chargée de favoriser l’avènement d’une troisième révolution industrielle dans les Hauts‐de‐France. « Aura‐t‐on suffisamment d’électricité pour toute cette électrification ? La prudence est effectivement de mise », concède‐t‐il. Mais il se montre rassuré par le fait que « RTE n’est pas inquiet outre mesure ».
Importations obligatoires
Interrogé, Cyril Wagner écarte en effet tout « risque de blackout ». « Le mix énergétique et le maillage européen du réseau permettent de répondre à la fois aux besoins des industriels et des citoyens, affirme‐t‐il. La situation conjoncturelle n’est plus celle de 2022 où la guerre en Ukraine pouvait entraîner des coupures de courant. » Un optimisme partagé par le producteur et distributeur d’électricité historique. « Il n’y a pas d’inquiétudes particulières sur les besoins énergétiques à venir dans la région », abonde ainsi Mathias Pvose, directeur d’EDF dans les Hauts‐de‐France.
Certes. Mais un document de RTE, présenté en décembre dernier devant le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), apporte un certain bémol à cette vision. « Au global, d’ici 2030, la production pilotable (nucléaire et gaz) va au mieux stagner, est‐il écrit. Seules les énergies renouvelables et les importations des autres régions et pays permettront de répondre aux besoins croissants d’électricité. »
Extrait d’un document RTE sur la parc de production électrique des Hauts‐de‐France présenté au CESER des Hauts‐de‐France
En effet, à court et moyen terme, la hausse de la consommation électrique ne pourra être absorbée par un surcroît de production nucléaire. Les travaux préparatoires aux deux EPR de Gravelines ne vont débuter qu’en 2026 et leur entrée en service n’est pas prévue avant 2040. Il faudra donc s’en remettre dans un premier temps aux énergies renouvelables.
Frédéric Motte y voit pour sa part un atout. « La région est la première en méthanisation et en éolien, se félicite‐t‐il. D’autres sources comme le gaz de mine ou le solaire semblent très prometteuses. Sans oublier les projets autour de l’hydrogène. » Problème, la production d’hydrogène est-elle même très consommatrice d’électricité. Cet élu au conseil régional ne peut par ailleurs ignorer que son président, Xavier Bertrand, freine tous les projets de développement de l’éolien terrestre.
Il y a donc de fortes chances pour que les gigafactories fonctionnent pendant longtemps avec de l’électricité produite en dehors de la région, voire en dehors de France. Ce que confirme indirectement Cyril Wagner quand il met en avant le « maillage européen du réseau » pour écarter le risque de pénurie.
Thomas Jodarewski, pour sa part, ne l’écarte pas. L’équation entre production et consommation est loin d’être équilibrée selon lui. « Toutes les prévisions électriques tiennent compte de la production de voitures électriques et de l’électrification du parc industriel existant, affirme‐t‐il. Mais elles ne prévoient pas les consommations futures pour recharger ces batteries. C’est de la folie. »
« La question de l’eau se pose d’ores et déjà »
Sa colère est d’autant plus forte que l’électricité n’est pas la seule ressource qui l’inquiète. La consommation en eau l’alarme encore plus. « Chaque été, depuis plusieurs années, le préfet signe des arrêtés concernant la sécheresse. Comment cette question est‐elle abordée dans ces usines qui vont en consommer et qui vont tourner en continu ? », s’interroge-t-il.
Pour le coup, cette préoccupation est partagée par les pouvoirs publics. « La question des besoins en eau se pose d’ores et déjà avec le cas de Prologium (gigafactory dans le Dunkerquois, ndlr), qui évalue ses besoins à 2,3 millions de mètres cubes », écrivait ainsi en septembre dernier l’ancien préfet de région Georges‐François Leclerc, dans un courrier confidentiel à la Première ministre, Elisabeth Borne. Or, quand l’ensemble des projets industriels prévus dans le Dunkerquois tourneront à plein régime, « il n’y aura à ce moment pas d’eau disponible pour l’entreprise », souligne‐t‐il. En attendant, « la Dreal a prescrit aux plus gros consommateurs d’eau industrielle une réduction de 10 % de leur consommation d’ici 2025. »
Les projets de gigafactories semblent donc avoir été lancés avant que des solutions au problème de l’eau n’aient été trouvée. Dans un rapport publié en 2022, le Ceser indiquait déjà que suite à des périodes de sécheresse de plus en plus récurrentes, « les Hauts‐de‐France ne sont pas à l’abri de situations tendues en termes d’approvisionnement en eau dans certains territoires. »
Il recommandait à l’époque de « conditionner toutes implantations de nouvelles entreprises fortement consommatrices d’eau à la présence d’une ressource d’eau suffisante à proximité ou par interconnexion déjà existante ; à l’engagement d’une démarche concertée territoriale d’économie d’eau d’un volume équivalent et à des garanties apportées sur l’absence d’impact sur les écosystèmes aquatiques et les zones humides concernées. » Ces précautions ont‐elles vraiment été prises ? On peut a minima constater que le problème de l’eau reste entier. Cela n’empêche pas Frédéric Motte de faire le pari de l’innovation pour le résoudre. « Aucun acteur industriel n’a intérêt à venir assécher le territoire, avance‐t‐il. On trouvera des systèmes d’amélioration grâce aux évolutions technologiques. »
Dans sa lettre, le préfet propose pour sa part un « comité de l’eau » dont le rôle serait d’accompagner les industriels dans l’optimisation de leurs consommations. S’il écarte la possibilité de produire de l’eau douce à partir de l’eau de mer, non viable économiquement, il estime que « l’opportunité d’un nouvel investissement, comme celui d’une autoroute de l’eau, demeure à étudier ».
Face au manque d’eau, des solutions qui restent à trouver
Les problèmes sont donc identifiés, des points de vigilance sont précisés mais les solutions, elles, n’existent pas encore. Deux visions s’opposent ainsi. L’une, pessimiste et alarmiste, portée par des associatifs et des militants comme Thomas Jodarewski. « On peut se répéter autant de fois que tout ira bien comme un mantra et ce, même si on va droit dans le mur », résumait ainsi une personne présente à la petite soirée de mobilisation lilloise. Et celle, volontariste, de responsables politiques et industriels.
« Il faut aller jusqu’au bout, martèle par exemple Frédéric Motte. Il ne faut pas tomber dans le débat extrémiste où tout serait blanc ou noir. Par le passé, nous avons négligé cette question de l’eau dans les projets d’installation industrielle. Aujourd’hui, elle est intégrée très en amont. Nous pouvons au moins tous être d’accord sur le fait que la voiture électrique rejette moins de CO2 que la thermique. »
« Quand on voit les usines Stellantis qui ferment, s’il faut ouvrir une gigafactory, autant que ce soit dans la région pour permettre aux travailleurs de retrouver un emploi » ; Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes
« Oui, la voiture électrique est mieux que la thermique, convient Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes et conseillère régionale. Mais elle est présentée comme une solution magique qui va résoudre tous les problèmes. Or c’est un mirage. Les gigafactories se construisent sur des terres agricoles et leurs process nécessitent des matériaux rares prélevés dans des conditions compliquées et pas en France. »
Ce constat, aussi sévère soit‐il, ne leur vaut pourtant pas une condamnation absolue. « Quand on voit les usines comme Stellantis qui ferment, s’il faut ouvrir une gigafactory, autant que ce soit dans la région pour permettre aux travailleurs licenciés de retrouver un emploi », concède‐t‐elle.
Jusqu’où ira ce réalisme ? Xavier Bertrand, pour sa part, n’a aucun complexe à pousser sa priorité de la réindustrialisation. Le président du Conseil régional souhaite doubler le nombre de gigafactories pour les porter à huit dans les années à venir. Reste à savoir si cela se pourra toujours se faire avec aussi peu de contestation.
MediaCité
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Commentaire
On en est là : Marine Tondelier, que tout le monde connait dans la région, devient productiviste. Que Xavier Bertrand le soit n’a rien d’un scoop !
Toujours est-il qu’il y a un autre constat déjà fait et qui doit être redit : La région ne sait plus se battre à l’heure actuelle. Il a eu un passé combattant du temps de la période industrielle. Elle ne l’a plus car les temps ont changé et notre région ne s’est pas encore réveillé, car elle est assommée, anesthésiée. Donc, on accepte Amazon, donc on accepte avec joie les batteries car cela créera des emplois. C’est totalement inexact : Amazon crée des emplois mais en a fait supprimer plus. Les gigafactory ont mis au chômage des travailleurs sur Cuincy, sur Douvrin : le solde de création d’emplois est négatif.
Mais les médias ne parlent que de ces créations ! Ils ne parlent que des futures constructions à Dunkerque … dans des conditions dont on ne parle pas !
Tout cela se fera au nom de ce satané progrès ! Les technophiles sont partout.