L’électrohypersensibilité

Comment en faire le diagnostic, la traiter et la prévenir

Dominique Belpomme et Philippe Irigaray

Avant d’évoquer le document de 29 pages, une vidéo sur l’EHS et MCS (Multi Chimico-Sensible) :

https://www.youtube.com/watch?v=aqbvBpK7h

Près de 8 minutes

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Résumé

Depuis 2009, notre groupe de recherche a constitué une base de données qui comprend actuellement plus de 2000 cas d’électrohypersensibilité (EHS) et/ou de sensibilité chimique multiple (MCS).{Cette base de données et unique au monde]

En interrogeant de façon rétrospective cette base de données, nous avons montré que l’EHS et la MCS sont associées l’une à l’autre chez les malades dans 30 % des cas et que lorsqu’elles sont associées, la MCS précède la survenue de l’EHS dans 37% des cas. Cliniquement l’EHS et la MCS sont caractérisées par une symptomatologie similaire et biologiquement par une inflammation de bas grade ainsi que dans 20% des cas par une réponse auto-immune impliquant la présence d’auto-anticorps anti-O-myéline. En outre, 80% des malades atteints d’EHS présentent un stress oxydant et/ou nitrosé, mis en évidence par la détection d’un, deux ou trois biomarqueurs dans le sang périphérique, ce qui signifie que ces patients présentent objectivement une véritable pathologie somatique et non comme l’affirment certains, une pathologie d’origine purement psychologique. De plus, grâce à la tomosphygmographie cérébrale ultrasonore (TSCU) [encore appelée «encéphaloscan »] et à l’échodoppler transcrânien (TDU), nous avons montré que ces malades présentent des anomalies pulsatiles de l’artère cérébrale moyenne (TDU) et un déficit des pulsations cérébrales des tissus neurovasculaires situées dans la région capsulothalamique des lobes temporaux (TSCU), ce qui suggère l’implication du cerveau et plus particulièrement du système limbique et du thalamus dans la genèse de l’une et l’autre de ces deux affections.

Au total ces données suggèrent fortement que l’EHS, comme la MCS, sont des affections neurologiques, qui peuvent être diagnostiquées, traitées et prévenues. Parce qu’en raison de sa prévalence croissante, l’EHS est aujourd’hui devenue un nouveau fléau sanitaire mondial, frappant des millions de personnes, nous demandons instamment à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d’inclure l’EHS dans la classification internationale des maladies (CIM).

  1. Introduction

Le terme d’hypersensibilité électromagnétique ou «électrosensibilité»(EHS) a été créé en 1991 par William Rea, afin d’identifier l’état clinique des patients signalant l’existence d’effets sur la santé des champs électromagnétiques(CEM). Par la suite, ce terme aété repris en 1997 dans un rapport présenté par un groupe européen d’experts mandaté par la Commission européenne pour décrire cliniquement cette pathologie inhabituelle, relevant d’une exposition possible aux champs électromagnétiques.

En France en 2002, Santini et al. rapportent des symptômes similaires d’intolérance chez les utilisateurs de téléphones portables ainsi que chez les personnes vivant à proximité des stations de base de communication sans fil.

En 2004, en raison de l’augmentation de prévalence mondiale des cas d’EHS, un colloque international est organisé par l’OMS à Prague, afin de définir et de caractériser l’EHS. Sans pour autant reconnaître que l’EHS puisse être causée par l’exposition à des CEM, le groupe de travail de Prague a défini clairement l’EHS comme « un phénomène par lequel les individus éprouvent des effets néfastes sur leur santé lors de l’utilisation ou de la proximité des dispositifs émettant des champs électriques, magnétiques ou électromagnétiques ». L’OMS a alors reconnu l’EHS comme un état pathologique.

Cependant, en faisant état lors d’un précédent Programme international de conférence sur la sécurité chimique (PISC) impliquant la sensibilité multiple aux produits chimiques (MCS) ayant eu lieu à Berlin en 1996, plutôt que de parler d‘électrohypersensibilité, il fut recommandé de nommer cette nouvelle affection pathologique d’« intolérance environnementale idiopathique (IEI) ». C’est ainsi que, faisant suite au groupe de travail de Prague, en se référant à l’absence de lien de causalité prouvé entre EHS et exposition aux champs électromagnétiques et à l’absence de mécanisme physiopathologique démontré liant l’exposition aux CEM aux symptômes cliniques observés, il fut alors proposé d’utiliser le terme d’« intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques (IEI-CEM)» plutôt que celui d’«EHS» pour nommer cette affection pathologique particulière.

C’est d’ailleurs ce qu’a officiellement déclaré l’OMS dans sa fiche 2005 n°296 [6], indiquant que « l’EHS ressemble à la MCS, une autre affection associée à une exposition à de faibles concentrations de produits chimiques … » puisqu’ en raison des «symptômes non spécifiques» et « de l’absence de critères diagnostiques clairs », cette nouvelle « condition invalidante » ne pouvait pas être diagnostiquée médicalement.

En fait, en 2002 puis en 2013, l’OMS a respectivement classé les extrêmement basses fréquences (ELF) et les radiofréquences (RF) comme cancérogènes possibles(groupe IIB), ce qui signifie que les champs électromagnétiques peuvent être à l’origine de cancers. L’histoire de cette évolution scientifique est résumée dans le tableau 1.

Tableau 1. Réunions et déclarations sur l’électrosensibilité (EHS), lasensibilité chimique multiple (MCS) et le cancer, effectuées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou pour le compte de l’OMS

1996 Berlin: atelier-parrainé par l’OMS; MCS classée comme intolérance environnementale idiopathique (IEI)
1997 Stockholm: rapport préparé par un groupe européen d’experts de la Commission européenne: possibles conséquences pour la santé de l’exposition au champ électromagnétique;
1998 Autriche: atelier international centré sur l’EHS, COST 244 bis
1998 Atlanta (États-Unis): réunion de consensus sur la MCS 1999
2002 CIRC: Fréquences extrêmement basses (ELF) classées comme cancérogènes possibles (Groupe IIB)
2004 Prague: atelier de l’OMS; identification de l’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques
2005 OMS: Fiche d’information n ° 292 visant à définir EHS
2013 CIRC: Radiofréquences(RF) classées comme cancérogènes possibles (Groupe IIB)
2015 Bruxelles: Quatrième colloque de l’appel de Paris concernant les effets sanitaires induits par les champs électromagnétiques et les produits chimiques (EHS et MCS)

COST : action pour la coopération dans le domaine de la science et de la recherche technologique sur les effets biologiques des champs électromagnétiques; EMF: champ électromagnétique ; CIRC : centre international pour la recherche sur le cancer(OMS).

Cependant, depuis la déclaration de 2005 de l’OMS, sur l’EHS et son rapport de 2014 sur les risques du téléphone mobile en matière de santé publique, de nombreux progrès ont été accomplis dans l’identification et la caractérisation clinique et biologique de l’EHS. Ceux-ci ont fait l’objet d’une précédente réunion de consensus scientifique international sur l’EHS et la MCS s’étant tenu en mai 2015 à l’Académie royale de médecine de Belgique à Bruxelles.

En constatant que la prévalence de l’EHS augmentait dans le monde, nous avons donc constitué et entretenu, depuis 2009,une base de données internationale qui a été enregistrée par le Comité français pour la protection des personnes (RPC), sous le numéro d’enregistrement 2017-A02706-47, et par «la base de données européennes d’essais cliniques»(«EudraCT»), sous le numéro d’enregistrement 2018-001056-36. Cette base de données [qui a en outre bénéficié de l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)] comprend actuellement plus de 2000 cas d’EHS et / ou de MCS. Tous les patients inclus dans cette base ont donné leur consentement éclairé pour les enquêtes de recherche clinique et biologique. En outre, tous ces patients ont été enregistrés dans la base de données de façon anonyme.

En interrogeant cette base de données, nous avons montré pour la première fois que l’EHS est fréquemment associée à la MCS, et qu’EHS et MCS se caractérisent par un tableau clinique similaire, et qui peut être identifié objectivement par la détection des mêmes biomarqueurs dans le sang périphérique et l’urine, ainsi que par la présence d’anomalies pulsométriques dans le cerveau notamment au niveau de la région capsulothalamique des lobes temporaux. Il apparaît ainsi qu’EHS et MCS pourraient s’avérer être en fait, deux aspects étiopathogéniques d’un même syndrome pathologique d’intolérance environnemental. Nous voudrions ici passer en revue nos différentes découvertes et discuter le fait que l’EHS relève en vérité d’une véritable pathologie neurologique, elle-même relevant d’un mécanisme physiopathologique commun avec la MCS.

On notera par ailleurs que l’EHS –quelle qu’en soit l’origine causale– est devenue un fléau mondial. Comme nous l’avons montré, cette affection peut être diagnostiquée, médicalement traitée, et éventuellement prévenue. Ce qui par conséquent conduit à demander à l’OMS d’inclure l’EHS dans la classification internationale des maladies (CIM).

Pour en savoir beaucoup plus :

EHS belpomme