La 5G, infrastructure logique d’internet

La 5G esquisse une transformation de la majorité des infrastructures de production et de circulation

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Extraits

De nombreuses théories conspirationnistes accompagnent le déploiement actuel de la 5G. Il en est de même pour le Covid-19, et il n’a donc pas fallu attendre longtemps pour que d’aucuns tissent un lien entre la mise en route de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile et la propagation du virus couronné. Utilisons cette rumeur comme prétexte pour nous intéresser au développement de cette nouvelle technologie de communication. Et comprendre en quoi la promesse de l’Internet partout « met en jeu le monde et les manières d’y vivre ».

La 5G n’est pas contagieuse, cessons de la propager

Dans le discours de ceux qui la promeuvent, la 5G pourrait inaugurer une nouvelle révolution industrielle, comme le charbon ou l’électricité en leur temps. Son installation est d’ores et déjà en cours. En France, dans l’ordonnance sur la crise sanitaire du 25 mars 2020, l’État donne tout pouvoir aux opérateurs pour installer des antennes relais, leur déploiement restant une priorité quoiqu’il arrive. Elon Musk prétend offrir un accès internet à tout le monde. L’Union Européenne a conclu un New Deal Mobile qui vise la disparition des « zones blanches » d’ici 2022. D’ici 2025, si les solutions techniques sont peu à peu stabilisées, la 5G pourrait être littéralement partout.

Déjà, des pétitions et des appels contre ce nouveau réseau circulent, des antennes de 5G sont depuis peu volontairement incendiées, principalement en Angleterre. Difficile en effet de ne pas voir un complot dans le silence des autorités publiques qui entoure l’installation des infrastructures nécessaires à la 5G. Si rien n’est dit, ou presque, toutes les grandes entreprises du monde sont en ordre de guerre, et des conflits se préparent entre les puissances internationales pour la mainmise des marchés de 5G. Déjà, les États-Unis cherchent à imposer qu’aucun pays n’accepte de contrats auprès de l’entreprise chinoise Huawei, l’Union Européenne a investi plus de 50 millions d’euros dans l’installation de la 5G (et ce n’est rien encore) et l’envoi de 30 000 satellites dans l’atmosphère est en cours.

Gagnant en popularité depuis le début de la crise du COVID-19, une théorie inspirée de l’anthroposophe Rudolf Steiner établit une corrélation historique entre des périodes d’accroissement de l’électrification de la terre et l’apparition de pandémies : alors que les ondes radios émergent en 1916, la grippe espagnole ravage le monde entier en 1918. En 2009, l’épidémie de grippe aviaire suit quant à elle immédiatement l’installation de la 4G. Aujourd’hui, alors que la 5G est en cours d’installation, c’est le COVID-19 que le monde doit affronter. Face à ce type de raisonnement, les médias ’sérieux’ (dont le Monde) s’empressent de multiplier les articles démontrant combien l’hypothèse d’une corrélation virale est absurde et scientifiquement inepte. La dimension complotiste de cette théorie devient une opportunité pour rassurer les lecteurs à l’égard de la 5G, et prétendre que tout va bien.

Depuis déjà plusieurs années, les autorités scientifiques (« ceux qui savent » comme dirait Macron) dénie systématiquement toute preuve de la dangerosité des ondes électromagnétiques, transmises par les ondes wifi et les téléphones mobile. Les électro-sensibles sont traités comme des hurluberlus par toutes les autorités en place (on peut se souvenir du traitement médiatique réservé à l’opposition aux compteurs linky). Sans entrer ici dans ce débat, bien qu’il y ait beaucoup à dire sur la dangerosité des ondes, il faut souligner que ceux qui attaquent actuellement la 5G ont mille fois raison. Dans ses effets, dans les opérations qu’elle va produire sur le monde, l’arrivée de la 5G ne manque pas non plus de faire écho et d’autoriser les analogies avec la pandémie actuelle. De fait, le confinement généralisé accroît l’importance des réseaux numériques, dont la 5G se veut l’avenir. La 5G sera aussi mondiale que le virus. Pourquoi ?

Pour retrouver l’emplacement des antennes radioélectriques, consulter les mesures d’exposition aux ondes sur tout le territoire français, enregistrer les propres cartes … :

https://www.cartoradio.fr/index.html

Pendant le confinement, les smartphones et les ordinateurs sont des fenêtres vers l’extérieur. Ils sont les médiations qui mettent en rapport avec le monde. À l’échelle globale, la vente en ligne, les livraisons des plateformes, tout ce qui semblait un temps secondaire devient l’infrastructure de base de nombreux pays⁠. Les géants du web sont les premiers à s’enrichir du confinement. Comme le souligne Benjamin Bratton :

D’abord en Chine et maintenant dans chaque ville dans la mesure où elle peut le supporter, les plateformes numériques et leurs capacités de livraisons maintiennent intact le tissu social sous-pression. En réponse au virus, les magasins sont fermés, les rues sont vides, et pourtant la vie continue. Des centaines de millions d’individus enfermés dans leur maison continuent à s’encapsuler dans leur vie privée, à faire leurs courses sur leur téléphone et à manger ce que la personne + l’usine alimentaire à la fin de l’application apporte à leur porte. Avec les relais de commande automatisés, des vagues d’administrateurs systèmes et de coursiers font bouger le monde quand le gouvernement ne peut pas le faire. Ce faisant, les chaînes d’automatisation sont devenues une sphère publique d’urgence. Parfois, l’automatisation n’est pas la fragile couche virtuelle au-dessus de la ville solide, mais plutôt l’inverse⁠.

Cette centralité stratégique et l’omniprésence invisible d’internet donne une bonne idée du projet qui accompagne l’arrivée de la 5G⁠. À un certain moment, une infrastructure ne dépend plus de rien sinon de celles qui l’ont précédé. Elle les intègre, les avale et les déplie à une nouvelle échelle. La 5G existe sur le fond d’internet et des réseaux précédents. Elle ne crée pas internet, mais compte en réaliser le plein potentiel.

Sans détailler ici tous les aspects techniques⁠5 de la 5G (d’autres articles suivront), nous voulons ici introduire son rôle d’infrastructure générale du capitalisme que veulent lui donner ses concepteurs. La 5G a été conçue pour permettre l’internet des objets, pour être une médiation omniprésente par le nuage internet, et pour constituer une nouvelle infrastructure de production et de circulation à l’échelle mondiale.

Un réseau d’objets et d’humains, l’internet des objets

S’il est possible dès maintenant de construire des objets connectés, dits ’smart’, il est encore impossible de les connecter massivement. C’est le but principal du réseau 5G : permettre des connexions de machines à machines. La 5G promet un réseau capable de connecter des milliards d’humains en même temps que des voitures, des frigos, des serrures, des montres, des conteneurs, des colis et des aspirateurs robotisés. Comme le réseau actuel est presque surchargé, la 5G va démultiplier sa capacité et le nombre d’entités qui peuvent s’y connecter. Par rapport aux précédents, les réseaux 5G fonctionneraient en « multicouches », capables d’émettre et recevoir à chaque fois plusieurs signaux et messages de différents types (sur des fréquences et entre des entités différentes).

D’ici 2025, c’est la connexion d’un peu plus de 50 milliards d’objets qui est anticipée, que les réseaux mobiles actuels ne peuvent absolument pas connecter. La 5G n’est pas qu’une augmentation du débit, un simple passage à plus grand, plus vite. Le réseau est transformé de fond en comble et obéit à de nouveaux protocoles informatiques et se fonde sur d’autres moyens. Il ne peut pas reposer sur la base des installations existantes et exige de nouveaux types d’antennes.

La 5G compte utiliser les ondes millimétriques pour relier des utilisateurs mobiles à la station du réseau la plus proche. Tandis que les téléphones mobiles actuels utilisent des bandes inférieures à 6 gigahertz (GHz), les ondes millimétriques sont diffusées à des fréquences comprises entre 30 et 300 GHz. Certains opérateurs de téléphonie mobile les utilisent déjà pour envoyer des données entre des points fixes. De telles liaisons ont également été mises en place par le trading à Haute-Fréquence⁠.

Les ondes millimétriques sont puissantes et efficaces mais elles sont excessivement fragiles et incertaines : un mur suffit à les arrêter. Il faut donc des antennes tous les 1500 mètres environ pour qu’elles puissent transmettre des messages. En plus des 20 à 30 000 satellites qui doivent être lancés dans le ciel, les opérateurs (Orange, SFR, Nokia, etc.) prévoient donc d’installer de nouvelles antennes au cœur de chaque ville. En tant que mini-cellules, elles serviront de relais au réseau. Pour chacune de ces stations de base, la capacité des antennes sera décuplée. Via la dizaine d’antennes accueillies sur chaque station, elles pourront émettre et recevoir plusieurs messages à la fois sur des canaux différents, particulièrement de machines à machines. Ces stations seront installées sur les poteaux d’éclairage, au sommet des bâtiments, partout. Des milliers de ces stations permettront d’assurer un relais permanent, évitant que le signal tombe, recevant les signaux des autres stations de base et envoyant des données aux utilisateurs en tout lieu. Comme pour les réseaux existants, l’ensemble des fonctions de traitement des signaux reçus par les antennes loge souvent dans un autre équipement que la partie visible. À côté des antennes, des boitiers s’occuperont entre autres du relais par fibre optique ainsi que de la transmission vers le réseau internet.

Les experts ont raison sur une chose, la 5G naît des contraintes actuelles. Un opérateur peut bien faire la publicité d’un service internet disponible en permanence et en tout lieu, un tel service est quasi-irréalisable pratiquement. Il n’est par exemple pas forcément possible de fournir à un grand nombre d’utilisateurs connectés dans un même lieu au même moment une grande capacité de streaming et la possibilité de jouer en ligne. En effet, alors qu’une plateforme comme Netflix demande une capacité de transfert large et stable, les jeux en ligne exigent un débit bien plus rapide avec un temps de latence (de réaction au clic) beaucoup plus réduit.

L’enjeu de la 5G, appuyé sur les smarts grids est de parvenir à un réseau d’une plus grande capacité mais qui soit aussi assez « intelligent » et « dynamique » pour allouer les ressources à tel ou tel endroit, tout en gérant les variations de connexion. Les profils d’utilisations s’avéreront à cet égard décisif pour anticiper les besoins et les capacités du réseau. Les satellites, qui serviront à connecter des lieux sans stations de base, seront principalement destinés à fournir de la bande passante en cas de surcharge locale du réseau. Quand, en ville ou ailleurs, le réseau terrestre ne sera plus suffisant, la circulation des données basculera sur les satellites. Ils seront des relais du réseau terrestre.

De plus, les antennes utiliseront la technique massive MIMO (Multiple Input Multiple Output) permettant d’envoyer et de recevoir des signaux de beaucoup plus d’utilisateurs à la fois, augmentant la capacité des réseaux mobiles d’un facteur de 22 ou plus. Cette technique est décisive pour que des échanges de machines à machines aient lieu en même temps que des connexions d’usagers humains du réseau.

Refuser la 5G

Dans un article, les journalistes du Monde évaluent les critiques émanant d’une pétition contre la 5G. Nous ne pouvons oublier que ceux qui atténuent les effets des réseaux mobiles sur la santé sont parfois les mêmes qui affirment que le nucléaire est sûr ou que le stress et l’angoisse sont plus dangereux que les radiations nucléaires elles-mêmes. Le cancer de la tyroïde est le seul cancer dont le lien de cause à effet avec les radiations nucléaires est mondialement reconnu. Sur tous les autres aspects, tant qu’une causalité directe ne peut être établie, rien ne fait preuve. Le même raisonnement se reproduit sur les ondes : les effets néfastes attribués aux ondes ne seraient que des « extrapolations hasardeuses » dans la mesure où rien ne permet d’établir de corrélation irréfutable avec le téléphone portable. De fait, les facteurs permettant d’établir les corrélations ne sont pas aisément isolables dans notre monde pollué par une quantité plus ou moins infinie de polluants et de déchets industriels.

L’autre argument de réfutation du danger repose sur la possibilité d’atténuation des ondes :

« Pour l’instant, nous n’avons repéré aucun effet des ondes millimétriques sur les cellules. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en l’état actuel de la recherche, nous ne connaissons qu’un seul effet possible des ondes sur leur environnement. C’est l’effet thermique, celui qui permet à votre eau de bouillir au four à micro-ondes. Et les puissances utilisées en télécommunications, quel que soit le type d’ondes, sont trop faibles pour générer un tel échauffement », précise le biologiste Yves Le Dréan, enseignant-chercheur à Rennes-I.

Les ondes seraient trop faibles pour nous affecter. Elles suffisent pourtant déjà à augmenter la température corporelle des insectes. Et si tout est connecté, notre exposition pourrait basculer de la petite dose sans effet à une exposition généralisée et permanente, dont personne ne peut prévoir les effets. À ce jour, si la Suisse et la Belgique, entre autres pays, ont mis en place des moratoires ralentissant l’avancée des travaux, l’installation de la 5G ne continue pas moins son avancée à l’échelle planétaire, suivant une progression rapide et silencieuse, que quelques sabotages, quelles qu’en soit leur motivation, ont l’audace de rendre visible.

La pandémie actuelle accélère de toutes façons la centralité d’internet. A grande échelle, l’internet des objets pourrait être présenté comme un outil de distanciation sociale, et d’environnement assisté dans les usines, les maisons et les villes. Potentiellement, si les concepteurs de la 5G réussissent, ils esquisseraient une transformation de la majorité des infrastructures de production et de circulation.

Le virus n’entraine pas qu’une crise sanitaire, l’enjeu est même de ne pas se laisser réduire à des corps vulnérables qui n’exigent qu’une réponse sécuritaire. Face à la 5G, sans rien lâcher sur la dangerosité des ondes, il s’agit tout autant de ne pas les laisser réduire les enjeux à des questions d’évaluation des dangers sur la santé. Une infrastructure ne se définit pas seulement par les possibilités qu’elle offre ou non, comme s’il n’était question que de l’apparition d’outils. Internet partout met en jeu le monde et les manières d’y vivre. La compagnie de smarts objets dans un milieu connecté est aussi peu désirable que de vivre et travailler derrière un écran. Nous ne manquons pas seulement de capacité de débits, de connexions ou d’automatisation comme nouvelles clés du futur. L’absence de connexion, dans le désert ou ailleurs, importe bien plus que des antennes. Si la 5G, telle que prévue et exposée ici, est encore loin d’être au point, il faut sans aucun doute participer à provoquer l’échec de son installation.