Prise de position de la mairie de Villeurbanne en réunion de conseil municipal en date du 9 octobre 2023
Depuis plusieurs années, les inégalités d’accès aux services publics et aux droits liées au déploiement du numérique à tous les niveaux de l’action publique, sont de plus en plus marquées, objectivées et rendues publiques notamment à travers les rapports annuels du Défenseur des droits.
Dans une société devenue dépendante du numérique et de ce qu’il représente en termes d’optimisation de moyens, de facilitation d’accès, de dépassement des contraintes d’ouverture des services, l’État, les agences publiques et les collectivités territoriales ont développé vers des services publics numériques afin d’offrir de nouvelles possibilités de réaliser ses démarches administratives et d’accéder à ses droits en ligne.
Par exemple, en octobre 2017, l’État lance le programme Action Publique 2022, avec pour objectif de bâtir un nouveau modèle de politiques publiques qui prennent en compte la révolution digitale pour bénéficier à la fois aux citoyens et aux administrations et c’est aujourd’hui près de 220 des 250 démarches phares de l’État qui sont dématérialisées. De même, la Ville propose à ces citoyens et citoyennes, une soixantaine de démarches réalisables en ligne, à tout moment.
Cependant, cette numérisation est bien souvent accompagnée d’un recul de la présence des institutions concernées sur le territoire, d’une fermeture des guichets, et de la création d’une nouvelle complexité pour des publics peu à l’aise avec le numérique et les démarches administratives. L’Insee estime que 17 % de la population est aujourd’hui en situation d’illectronisme, et 1 usager sur 3 manque de compétences de base pour faire ses démarches sur internet. Le Défenseur des droits souligne dès 2019 les effets délétères de cette numérisation à marche forcée, qui a pour conséquence un transfert de charge de l’administration vers l’usager, à la fois en termes financiers (équipements en matériel; abonnement) mais aussi en termes de compétences (administrative et numérique) et in fine une inégalité d’accès au service public, de potentielles ruptures de droits et une augmentation des non recours. Et ce, d’autant plus que la numérisation de certains services publics ne s’est pas nécessairement accompagnée d’une simplification des démarches pour les usagers.
Face à ce constat, les mesures mises en place par l’État d’une part et les collectivités d’autre part, pour doter les plus précaires en matériel et les accompagner vers le numérique restent insuffisants et ne correspondent pas toujours à la réalité sociale.
En effet, les citoyens sont de plus en plus confrontés à des démarches pour lesquelles ils se trouvent démunis et pour lesquelles ils ne trouvent pas d’alternative par un contact physique ou même téléphonique comme le montre la récente enquête réalisée conjointement par 60 millions de consommateurs et du défenseur des droits sur le taux de réponses téléphoniques des institutions.
La dégradation de l’accès aux services publics est compensée de facto par les associations et les services publics de premières lignes (mairies) qui s’organisent pour accompagner les usagers dans l’accès aux services publics et ce avec des moyens limités. Elle ouvre, en outre la porte à un secteur privé lucratif via des plateformes proposant aux usagers de payer pour effectuer leur démarche à leur place.
Le rapport du Défenseur des droits de 2022 « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », souligne que les agents de la fonction publique voient la numérisation comme une « dégradation de la qualité des services publics dès lors qu’elle se traduit par une perte de contact humain et par la fermeture de services ».
C’est dans ce contexte, et dans le cadre de son travail sur la stratégie d’égalité d’accès aux droits sociaux et aux services publics que la ville de Villeurbanne souhaite promouvoir un droit au non-numérique pour ses usagers.
Affirmer un droit au non-numérique des citoyens c’est, d’une part, considérer que la charge de l’adaptation ne doit pas reposer sur l’usager mais bien sur l’administration. C’est d’autre part, garantir une égalité d’accès aux droits pour tous les usagers en laissant le choix dans la modalité de prise de contact et pour effectuer ses démarches. C’est permettre enfin au regard des transformations sociétales des dernières années et de celles à venir, de faire vivre le service public dans le respect de deux de ses trois piliers fondamentaux : l’égalité et l’adaptabilité.
Affirmer un droit au non-numérique, ce n’est en aucun cas refuser les gains et bénéfices apportés par la technologie pour faciliter la réalisation des services publics, ni refuser de continuer à intégrer les évolutions sociétales et technologiques pour renouveler les liens entre l’administration et les usagers. Le numérique est une voie possible pour accéder au service public, il ne peut en aucun cas être la seule voie d’accès.
Cet engagement vient en complément d’actions d’inclusion et de médiation numérique que la Ville a engagé avec la structuration d’une mission d’inclusion numérique et la mise en place de permanence d’accompagnement aux démarches, par un médiateur numérique, dans les structures de la Ville à compter de septembre 2023.
Finalement, pour permettre l’instauration de ce droit au non-numérique pour les citoyens et citoyennes, usagers du service public villeurbannais, la Ville souhaite engager un travail concret à travers deux actions principales :
- être exemplaire sur la mise en œuvre du droit au non numérique en interne en proposant une alternative systématique qui soit acceptable pour l’usager (en termes de délai, de déplacements en guichets etc. ) et s’assurer de leur mise en œuvre effective,
- organiser une veille sur le territoire afin d’objectiver les ruptures d’égalité d’accès aux droits sociaux et au service public en lien avec le numérique et d’interpeller les différentes institutions concernées sur ces dysfonctionnements observés, et ainsi permettre d’appuyer une prise en compte de cette question à l’agenda national.
Après en avoir délibéré, le conseil municipal décide à la majorité d’approuver l’engagement de la Ville en faveur d’un droit au non-numérique dans l’accès au service public municipal.