Droit à la déconnexion ? Objection numérique ?

Comment procéder ?

Un élément de réflexion réalisé par le Collectif nantais de vigilance écologique et citoyenne (CNaVEC) ?????? formé à l’occasion

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À la suite d’une conférence sur le Linky et sur la 5G et son monde, nous, Nantais, membres de l’association Résistance 5G et de plusieurs collectifs, avons débattu lors des Universiades d’été organisée par les zadistes de Notre-dame-des-Landes en 2020 de ce sujet : que pouvons-nous faire pour contrer la numérisation accélérée du monde que l’on nous impose avec ses conséquences désastreuses : sanitaires, liberticides et écocides ?

Si la nécessité d’une urgente campagne d’objection numérique a fait l’unanimité, la question s’est posée du meilleur moyen d’enrayer la Machine. Plusieurs options ont été envisagées dont celle d’un statut d’objecteur numérique.

Mais un large consensus a fini par se dégager : se battre pour obtenir un droit universel à la déconnexion (qui implique la non-connexion) : la numérisation ne doit-être qu’une option, donc non-obligatoire. Comme étaient présentes des personnes étrangères, cette universalité devait s’étendre au plus grand nombre de pays.

Nous avons continué à discuter du sujet entre nous et nous en avons reparlé aux Zad’Envies à l’été 2022. Depuis, nous avons commencé à faire circuler cette idée.

Nous avons déjà reçu des échos favorables venus d’Allemagne, de République tchèque, de Grande-Bretagne et des États-Unis. ACCAD puis nous avons déjà mené cette campagne durant l’année en France.

Voici l’argumentaire qui fait que le droit universel à la déconnexion a prévalu sur les autres options, notamment celle d’un statut d’objection numérique.

Prenons le cas d’une mère de famille à qui l’on veut imposer le tout-numérique à l’école et à la maison et qui n’en veut pas, exige un retour aux manuels papier. Si elle demande l’application du droit, cela ne peut qu’embarrasser l’administration scolaire. Une seule personne peut faire appliquer un droit universel. En revanche, si elle est la seule (ou avec une poignée de parents) à exhiber sa carte d’objectrice numérique, elle n’aura aucune chance d’être entendue.

Julien veut prendre le train et n’a pas de mobile parce qu’il n’en veut pas ou qu’il l’a perdu. Il n’y a plus d’humains dans la gare, tout est numérisé. S’il existe un droit universel, la SNCF est obligée d’appliquer le droit et donc de conserver un guichet avec un humain qui lui fournira un billet papier qu’il paiera avec de la monnaie physique. Il y aura nécessité pour la Société de préserver un peu de « l’ancien système », contrainte par la Loi. A contrario, comment Julien s’en sortira-t-il avec sa carte d’objecteur numérique puisqu’il ne peut pas s’appuyer sur le droit universel à la déconnexion et qu’il fait partie des rares personnes à ne pas avoir de smartphone ?

Peu-on croire sérieusement que la SNCF ouvrirait un guichet spécial pour les objecteurs munis de leurs cartes ? Imaginons aussi la scène avec le contrôleur.

Même pour une personne déterminée, cela en deviendrait vite épuisant. Comment les derniers humains travaillant dans les derniers services publics (CAF, Amélie, Impôts, La Poste etc.), comme les personnes dont ils ont la charge, victimes de la « dématérialisation » imposée, se défendront-ils avec une carte montrant leur statut d’objection numérique (il y aura peu d’objecteurs, soyons réalistes) ? En revanche, un droit universel à la déconnexion (et donc de nonconnexion) soulagerait de facto tout le monde, fonctionnaires et usagers, mettant l’État dans une situation de contradiction juridique s’il persiste à tout numériser.

Prenons le cas de la CAF. La « dématérialisation » a été un moyen très efficace de supprimer des fonctionnaires et de permettre ainsi de priver de leurs droits des milliers de personnes. Pour avoir discuté avec quelques fonctionnaires locaux, syndiqués ou pas, KO et assez perdus, nous avons évoqué que soit inscrit dans le droit la possibilité de choix entre la pseudo-« dématérialisation » ou pas. Inutile de dire qu’ils étaient plus que d’accord.

Alors imaginons le cas de l’obtention d’un statut (particulier et non universel) d’objecteur numérique dans ce cadre-là :

1. Combien de fonctionnaires accablés et dépassés oseront demander leur carte prouvant leur statut d’objection, vu les pressions de leur hiérarchie (à supposer que les syndicats le leur conseillent, ce qui n’est pas gagné du tout) ?

2. Surtout, combien d’écrasés du Système feront la démarche de demander un statut d’objecteur numérique, à supposer qu’ils en seront informés ? Savoir qu’ils peuvent, par la loi générale, être préservés de l’obligation de numérisation changerait considérablement la donne, de toute évidence, nous semble-t-il. Une association sera toujours susceptible de leur faire connaître leur droit.

Enfin, s’il y a bien un fait universel, hélas, c’est la généralisation d’un capitalisme électronumérique sans visage de contrôle des populations, ce à l’échelle mondiale, des USA à la Chine en passant par l’Europe. En face, les diverses oppositions ont une fâcheuse tendance à se fragmenter en exigeant des droits divers particuliers : celui des Noirs, des LGBT, des femmes, des divers « techno-lutteurs » etc. Par exemple, il est regrettable, pour nous, que la laïcité ne soit pas un droit universel à l’échelle mondiale puisqu’il respecte le droit à la pratique religieuse et la liberté de conscience.

Un droit universel peut être bafoué par un régime autoritaire mais ne peut pas se prêter à l’ostracisation, si tant est que nous restions encore dans un État de droit, évidemment.

Le droit universel est à la base de la philosophie du droit qui a permis la Révolution française et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Pour nous, la philosophie de l’universalité du droit est la seule qui pourrait, peutêtre, nous sauver de la fragmentation sociale, du communautarisme, des repliements identitaires, quelle que soit la légitimité de la cause défendue.

Pour nous, la numérisation intégrale forcée de nos sociétés est si grave sur le plan d’un humanisme étendu à tout le vivant, ne serait-ce que pour nos libertés dans ce qu’il reste de nos États de droits, ici et là, qu’elle nécessite d’urgence un droit humain universel à la déconnexion. Ce droit nécessiterait même d’être inscrit dans notre Constitution.

Le risque de vouloir obtenir un statut d’objecteur numérique est de nous automarginaliser de fait. Est-ce que cela dérangera vraiment le Pouvoir qui commande la Machine ? Nous en doutons fortement. Nous risquerions de devoir montrer à tout bout de champ notre carte avec un @ barré. Et très probablement avec un QR Code d’identification. Beaucoup risqueraient d’abandonner. Quelle en serait l’efficacité sinon de se distinguer parmi la foule indifférente des gens rivés à leur smartphones dont il faudrait être très optimistes pour croire qu’elle s’amenuisera ?

Toute personne doit avoir le droit absolu de ne pas avoir d’ordis ni d’ordiphones énergivores, coûteux obsolescents et non-écologiques – donc, de ne pas devoir aller sur des plateformes pour ceci et cela alors qu’on l’y oblige de plus en plus. La connexion doit être un libre choix, pas une obligation.

Avec le droit universel à la déconnexion, pas besoin de papier pour prouver son droit au refus : « M. le bureaucrate, Mme la Ministre, M. le marchand, voyez ce qui est inscrit dans le marbre de notre Loi républicaine. Alors appliquez le droit.

Envoyez-moi ça par la Poste et en papier recyclé, s’il vous plaît ».

Le droit à la déconnexion implique de pouvoir refuser la captation systématique de nos données, d’interdire la technique de l’opting out (qui ne dit rien y consent).

Une fois encore, ceci ne devrait pouvoir se faire sans notre assentiment.

Pour nous, le combat pour obtenir un droit universel à la déconnexion sera un combat de longue haleine, beaucoup plus difficile à obtenir, nous semble-t-il, qu’un statut marginal (minimal et défensif) d’objection numérique qui ne nous semble pas pouvoir déranger plus que cela le Big System à tendance technototalitaire : « Les Amish ont obtenu la carte d’objnum qu’ils réclamaient, ils peuvent être contents, on les a calmés. Ils se sont eux-mêmes juridiquement parqués dans une sorte de réserve administrative indienne à la marge du Système, alors qu’ils y végètent ! » C’est bien le danger, alors qu’avec un droit universel, même Macron et Breton (repentis sous l’effet de quelque grâce numérique ou autre…) peuvent faire valoir le droit à la déconnexion… et il n’y aurait plus alors d’ « Amish » vs « TechnoProgressistes » – nous serions alors toutes et tous égaux en droit, numérisé.es ou pas, aurions un libre choix de nous connecter ou pas, sans distinction.

En résumé :

Parmi les 22% qui seraient sans ordi ni tablette, les 15% sans connexion Internet, combien feront l’effort de demander le statut, seront dans la capacité d’en faire la démarche ? 5% ? 10% en étant très optimistes ? Peut-on penser qu’on leur accordera une dérogation pour ceci et cela, qu’on arrêtera spécialement pour eux la numérisation intégrale des services publics et de tout ? Ou les laissera-t-on plutôt s’épuiser dans leur martyre de « fracturés numériques », et pour les objecteurs statutaires, s’époumoner dans leur lutte militante à la marge contre les avancées de l’inéluctable « Progrès » ?

Un statut nous particulariserait : nous appartiendrions à la tribu des « gaulois réfractaires » du numérique avec le grand risque d’être très vite réduits et mis à l’index par un pouvoir autoritaire, tandis qu’un droit universel protège toutes les minorités sur ce sujet ou un autre (à condition, bien sûr, de rester dans le cadre d’un État de droit, mais nous continuerons à nous battre pour cela) sans avoir besoin de montrer sa carte tout le temps pour tout.

A la suite du débat public sur la 5G à Nantes, nous avons obtenu que les services publics ne soient pas intégralement dématérialisés alors que la Métropole en avait manifesté l’intention. Cela est donc possible, mais reste local, fragile et provisoire, non encadré par le droit. Le généraliser au pays de façon intangible ne pourrait passer que par la Loi.

Il s’agit donc de faire le choix le plus efficace et judicieux d’une option politique et juridique face à l’extrême gravité des enjeux. Et il faut aller très vite, sans se tromper de voie.

La question est de savoir si les deux requêtes parallèles, de philosophie et de stratégie si différentes, voire opposées, sont compatibles, si elles ne risquent pas de se parasiter mutuellement. C’est un risque réel.